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L’impossible adoption de la loi de finances pour 2025

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Publié le

6 septembre 2024

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L’adoption de la prochaine loi de finances sera politiquement et juridiquement complexe voire impossible. Or les conséquences sont simples: sans promulgation, aucun impôt ne peut être légalement levé et aucune dépense ne pourra plus être engagée. Quelles solutions s’offrent au futur gouvernement? Analyse d’Arnaud Le Gall, maître de conférences en droit public à l’Université de Caen et avocat au barreau de Paris.
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Nul doute que l’adoption de la prochaine loi de finances initiale sera politiquement et juridiquement complexe. Le résultat des dernières élections législatives vient rappeler que les institutions de la Veme République doivent, en grande partie, leur stabilité au fait majoritaire. La présence systématique d’une majorité à l’Assemblée nationale a permis aux mécanismes constitutionnels, tels que l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un texte, prévu par l’article 49 alinéa 3, ou le vote bloqué, prévue par l’article 40 alinéa 3, de fonctionner correctement, c’est-à-dire de garantir la stabilité gouvernementale. Il en va de même de la procédure d’adoption de la loi de finances initiale, prévue par l’article 47 de la Constitution. Les délais rigoureux dans lesquels le Parlement doit se prononcer, 70 jours pour le Parlement dont 40 jours pour l’Assemblée, 20 jours pour le Sénat et les 10 jours restant pour la navette parlementaire, ont rationalisé la discussion du projet de loi de finances. Mais à l’issue de la discussion, il faut l’adopter et pour cela, il faut une majorité.

Plus d’impôt, ni de dépenses ?

Or ni la Constitution, ni la loi organique du 1er août 2001, qui a repris sur ces points l’ordonnance du 2 janvier 1959, n’ont prévu de procédure en cas de rejet du projet de loi de finances par le Parlement. La mise en œuvre du projet de loi par ordonnance, qui est la sanction radicale du non-respect du délai de 70 jours, est subordonnée à la condition que le Parlement ne se soit pas prononcé dans ce délai, c’est-à-dire qu’il n’ait pas émis de vote. Cette procédure ne s’applique donc pas en cas de rejet du texte. Cette apparente lacune n’en est pas une au regard des principes car, selon l’article 34 de la Constitution, si le Parlement est compétent pour voter la loi, il est également libre de ne pas adopter un projet de loi. En matière budgétaire, on s’en remet donc implicitement à la responsabilité des parlementaires dont on se dit qu’ils ne peuvent refuser à l’État les moyens de fonctionner. Car si la loi de finances initiale n’est pas promulguée avant le début de l’exercice, l’absence de vote de l’autorisation de recettes a pour conséquence qu’aucun impôt ne peut plus être légalement perçu. En outre, en l’absence de vote des crédits, c’est-à-dire des autorisations juridiques de dépenser, aucune dépense ne peut plus être engagée ni payée.

Si la loi de n’est pas promulguée avant le début de l’exercice, l’absence de vote de l’autorisation de recettes a pour conséquence qu’aucun impôt ne peut plus être légalement perçu.

Quelle solution à une absence de majorité ? Certainement pas celle des douzièmes provisoires, contrairement à ce qu’on peut lire ici et là. La loi organique de 2001, reprenant l’ordonnance de 1959, interdit le recours à cette pratique des IIIeme et IVeme Républiques qui consistait, en l’absence de budget adopté au 1er janvier de l’année, à exécuter par douzième le budget de l’an passé. L’opération était laborieuse et complexe, la gestion budgétaire n’étant pas linéaire au cours d’une année. En outre, au plan des principes, cette pratique méconnaissait le caractère de prévision de l’acte budgétaire. La valeur constitutionnelle du principe d’annualité budgétaire, qui découle de l’article 47 de la Constitution (CC n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001) et qui interdit tout budget partiel, proscrit définitivement cette pratique. En l’état du droit budgétaire, un texte qui la prévoirait serait donc contraire à l’annualité budgétaire.

Quatre solutions pour un budget

Trois solutions douteuses se présentent immédiatement à l’esprit. Tout d’abord, le dépassement volontaire du délai de 70 jours. Cette manœuvre impliquerait un bouleversement considérable, tant le respect de ce délai général et des délais propres à l’Assemblée et au Sénat rythme l’examen du projet. Mais elle ouvrirait, en théorie, la possibilité de mettre en œuvre le projet par ordonnance. Ensuite, le dépôt volontairement tardif du projet de loi de finances par le gouvernement ouvrirait la possibilité de recourir à la procédure d’urgence, prévue par l’article 47 de la Constitution et précisée par l’article 45 de la loi organique. Elle permet au gouvernement d’obtenir l’autorisation de percevoir les impôts par le vote de la première partie du projet ou par le vote d’une loi de finances spéciale, selon l’ampleur du retard. Les autorisations de dépenses, qui se limitent alors aux services votés, lesquels correspondent, globalement, à l’essentiel des crédits de l’année précédente, sont ouvertes par décret. Cette solution, qui, comme la précédente, s’apparenterait à un détournement de procédure, ne ferait toutefois que reporter le problème puisqu’elle ne dispense pas de l’adoption d’une loi de finances ultérieure. Enfin, le recours à l’article 16 pourrait être envisagé, tant les conditions prévues par cet article sont imprécises : l’absence de budget pourrait être présentée comme étant de nature à menacer de manière grave et immédiate les institutions et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

Lire aussi : Stéphane Rozès : Anatomie d’une crise

Une quatrième solution, provisoire elle aussi mais un peu moins douteuse au plan juridique, consisterait à ce que le gouvernement, comme ce fût le cas après l’annulation de la loi de finances pour 1980 par le Conseil constitutionnel, hypothèse alors non prévue par les textes, s’inspire de la procédure d’urgence afin d’obtenir l’autorisation de percevoir les impôts et de pouvoir prendre ainsi « toutes les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale » (CC n° 79-111 DC du 30 décembre 1979). Quelques mois auront alors été gagnés : c’est pour les politiciens un horizon déjà lointain.

Bien entendu, ces divers scénarios ne desserreraient pas le carcan européen qui enserre ce qu’il reste de souveraineté budgétaire des États. Mais n’entrons-nous pas dans une période d’instabilité où ce qui semblait jusque-là intangible pourrait subitement disparaître ?

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