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Mourir en Dada, mourir en Delerm

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Publié le

5 novembre 2019

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Cela fera bientôt exactement cent ans que Tristan Tzara est descendu d’un train gare de Lyon pour déchaîner à Paris l’incendie Dada (janvier 1920). Ce fut une ivresse terrible, une grande destruction créatrice, comme un brasier consumant la tradition pour révolutionner l’art, la pensée, la sensibilité en Europe. Pourtant, derrière cette exaltation juvénile aussi géniale que démente, s’étendait l’ombre de la Grande guerre. Le moteur de Dada ? Comment recycler la mort.

 

Une forme de nihilisme actif et bizarrement fertile. De quoi ridiculiser les timides paradoxes du bouddhisme zen. La vie et la mort de Jacques Rigaut en témoignent, lui, le suprême symptôme, le martyr, c’est-à-dire le « témoin », d’une génération sacrifiée comme aucune autre. De quoi ridiculiser tous les « réfugiés » de guerre actuels qui bénéficient aujourd’hui d’une invraisemblable complaisance de la part des descendants des sacrifiés de Verdun.

Si l’on veut nous tuer, que l’on sache que nous nous serons tués nous-mêmes avec beaucoup plus de talent que ne pourront jamais en faire preuve nos ennemis, aussi fanatiques soient-ils.

L’Europe mourrait en Dada, mais avec quel talent, quelle énergie, quelle ironie contagieuse ! Quelle finesse, quel éclat, quelle splendeur dans le suicide ! C’était encore d’une vitalité explosive, d’une lucidité supérieure, d’une élégance qui se montrerait aujourd’hui tellement inaccessible pour les kamikazes en jogging. Ah, nous chutions, oui, certes, mais de quelle hauteur ! Combien de figures durant la descente, quelle chorégraphie précédant le crash, et d’humour, et d’esprit, et de génie jusque dans l’autodestruction. Combien de laudateurs du bonheur globalisé seraient aujourd’hui capables de montrer autant de force ? Si l’on veut nous tuer, que l’on sache que nous nous serons tués nous-mêmes avec beaucoup plus de talent que ne pourront jamais en faire preuve nos ennemis, aussi fanatiques soient-ils.

 

Lire aussi : Les dieux ont soif

 

Mais on ne meurt plus en Dada, non, on meurt en Delerm, aujourd’hui, le col lâche, la cravate terne, des pellicules sur l’épaulette, en s’excusant auprès de la belle-famille. Si le père, Philippe, n’a pas écrit que des saloperies, il aura néanmoins lancé une mode, ou plutôt une dernière manière d’agoniser en France, un modus moriendi qui consiste à palper les haricots avant le dernier râle, se dire qu’on aura eu de bons petits bonheurs malgré tout, et qui valaient bien qu’on n’éteigne pas immédiatement les spectres. Le fils débarqua juste après 2001 et le début de la nouvelle guerre mondiale (« De quoi parle-til ? », s’interrogent, incrédules, les éditorialistes de France Inter). Vincent s’en vint avec son name dropping et sa mélancolie sans drame, sa manière de nous rassurer, de chanter sans souffle des souvenirs moyens, mâle blanc castré se recroquevillant en mendiant des caresses pour expirer au coin du feu – mais en mode « cosy », « the cosy way of dying »… What a shame, darling…

C’est la France étroite, confinée, muséale, crève-petit, qu’on nous vend depuis trop longtemps, qui n’aime s’ouvrir aux autres qu’à condition qu’on piétine son cadavre, qui récite « Fanny Ardant » ou « Agnès Varda » en broutant son Télérama comme une vieille pute regrette ses charmes devant le trottoir déserté.

Son dernier album, Panorama, fait écho à la même hypotension qu’il y a dix-sept ans. Du Delerm élastiquement épandu sur son rien et qui ne sèche toujours pas, trop empreint de lui-même, de références et d’auto-références. C’est la France étroite, confinée, muséale, crève-petit, qu’on nous vend depuis trop longtemps, qui n’aime s’ouvrir aux autres qu’à condition qu’on piétine son cadavre, qui récite « Fanny Ardant » ou « Agnès Varda » en broutant son Télérama comme une vieille pute regrette ses charmes devant le trottoir déserté.

 

Mourir en Dada, passe encore. Mourir en Delerm : impossible. Alors il va bien falloir renaître, quitte à effrayer tout le monde.

 

 

Romaric Sangars

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