Paul Schrader est une sentinelle, le porte-flingue du Nouvel Hollywood, au sens propre comme au figuré, puisque le cinéaste a développé très tôt une fascination pour les armes à feu. Certains disent qu’il en posséda même une par pièce, « en cas de coup dur ». Pourtant, comme son ami John Milius, il n’a connu que brièvement le feu des projecteurs et a laissé les honneurs aux autres. À la fois artisan, critique, scénariste, metteur en scène, Paul Schrader fait partie des électrons libres évoluant à la fois en marge et à l’intérieur du système. Sa carrière en dents de scie le prouve : pas vraiment à l’aise dans le grand bain des studios, sa filmographie est émaillée de ratages rocambolesques comme cette genèse de L’Exorciste au début des années 2000, cruellement stoppée en plein tournage par des producteurs frileux qui voyaient d’un mauvais œil la tournure trop réaliste prise par le film. Ou encore cette reprise pop et sulfureuse de Cat People, chef-d’œuvre du fantastique signé Jacques Tourneur, massacré par une post-production hasardeuse et le jeu erratique de Nastassja Kinsky.
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Penn et Antonioni dans le même lit
Le réalisateur n’est pas vraiment né sous les meilleurs auspices : élevé dans une famille extrêmement puritaine par un père psychopathe qui fouettait ses gosses à peu près tous les jours et leur interdisait la télévision, le cinéma et la musique rock, Schrader finira tout de même par se rendre à dix-sept ans dans une salle obscure, la boule au ventre. Il dira avoir fait un malaise en pleine projection : cette sensation de braver l’interdit et ce projecteur fendant les ténèbres provoquant même chez lui une hallucination biblique dans laquelle il se vit tiré vers l’Enfer par une procession de diablotins : une vocation était née. À New-York, il fréquente les bancs de la prestigieuse Columbia School of Arts, devient le protégé de la mythique Pauline Kael, redoutable critique connue pour ses envolées lyriques et ses détestations aussi brutales que respectées. À l’instar des cinéastes de la Nouvelle Vague en France, c’est donc par le biais de l’analyse que Schrader fait son entrée dans le monde du cinéma. En 1972, il publie un essai sur le cinéma « transcendantal », dans lequel il met en regard les œuvres d’Ozu, de Dreyer et de Bresson. Pas vraiment intéressé par l’aspect technique, Schrader voit davantage le cinéma comme une écriture délivrée des contraintes du langage et dont la force serait de pouvoir dialoguer avec l’inconscient. Admirateur des premiers brûlots du Nouvel Hollywood, dont le Bonnie and Clyde d’Arthur Penn, il rêve d’y incorporer cette liberté qu’il entrevoit chez les Européens ou dans le cinéma asiatique. Comme il le dira plus tard, son idéal de film c’est de « mettre Penn et Antonioni dans le même lit, en les forçant à baiser sous la menace d’un flingue, pendant que Bresson regarde par le trou de la serrure ». [...]
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