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Philibert Humm : Dérailler : méthode

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Publié le

24 octobre 2024

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C’est tout auréolé du succès de Roman fleuve, que Philibert Humm confirme son talent et son allant d’écrivain-aventurier en débarquant en cette rentrée avec un Roman de gare aussi cocasse que grisant. Un peu Peter Pan lucide, un peu collègue d’Antoine Blondin, notre jeune auteur a beau préférer les véhicules précaires, il est parti vite sur la voie du succès, et, quoi qu’il ne se fie qu’à la désinvolture du hasard, on sait déjà qu’il ira loin.

Vous évoquez au début de Roman de gare, le succès de Roman fleuve, prix Interallié. Racontez-nous cette histoire intermédiaire entre les deux romans.

Le succès de Roman fleuve m’a complètement dépassé. Ce n’est pas de la fausse modestie : je n’étais pressé par rien, surtout pas par mon éditeur et j’ai écrit ce livre en pensant faire marrer les copains et deux cents types autour. Il s’est d’ailleurs très peu vendu durant les premiers mois, et quant à moi, le contraire m’eût étonné. Et puis soudain, il s’en est vendu des brouettes ! Aujourd’hui encore, je suis assez incrédule. S’il y a mille raisons pour expliquer un insuccès, un succès demeure toujours mystérieux. Fort de ce succès, je n’ai, en tout cas, plus foutu grand-chose. Et puis je me suis dit qu’il fallait que je tente de renouveler l’exploit et me suis donc mis en route durant l’été 2023, partant sur le rail avec l’ami Simon.

L’aventure est devenue presque impossible dans un monde comme le nôtre et à la fois, tout est tellement balisé qu’il suffit d’enfreindre un rien les règles pour retrouver son frisson. Comment vivez-vous ce paradoxe ?

Oui, c’est pour moi une évidence : de nos jours, tout a été satellisé, en deux clics on se retrouve dans un faubourg de Jakarta, alors on se demande où se trouve l’aventure et je crois qu’elle est sur le trottoir d’en face, à un pas chassé du sillon que tout le monde emprunte. Il est vrai qu’il est difficile, aujourd’hui, pour l’aspirant-aventurier, de trouver des lieux que Sylvain Tesson n’a pas foulés, mais il n’est pas venu à la gare de triage de Villeneuve-Saint-Georges ! Et ça me va bien parce que les budgets alloués à mes expéditions sont assez faibles.

Vous vous êtes beaucoup renseigné sur l’univers des trains de marchandises, j’imagine, ne serait-ce que pour n’avoir pas d’accident. Qu’est-ce qui le distingue le plus de l’univers ferroviaire classique ?

D’une manière générale, dans les récits de voyage, le moment que je préfère, ce sont les préparatifs. J’adore cette partie. Alors là, malheureusement, j’avais peu de prédécesseurs, du moins en France, sur la voie du hoboïsme. Mais enfin, je me suis renseigné, notamment sur les risques encourus, et ils étaient réels ! Évidemment, il vaut mieux ne pas se casser la gueule d’un train en marche, mais sinon le principal risque est celui que fait encourir l’arc électrique. Je me suis renseigné auprès de mon grand-père cheminot qui vivait avant l’invention du principe de précaution, et qui m’a assuré que jusqu’à un mètre de la caténaire, je ne risquerais pas grand-chose. Les dépliants de la SNCF conseillent, eux, de rester à plus de trois mètres. J’ai visé entre les deux. Alors oui, c’était dangereux, mais ce n’est pas le danger qui m’intéresse en tant que tel. Non, ce qui est intéressant, c’est l’inconfort, parce qu’il révèle les caractères, transcende les personnages, rend héroïques les minables et inversement. Et puis l’inconfort ramène à l’essentiel, et le voyage : c’est le dépouillement.

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La vraie magie de l’aventure n’est pas forcément là où l’on croit…

Oui, on était des hobos, c’est-à-dire des vagabonds et les vagabonds s’engagent sur des trains de marchandise sans savoir où et quand ils partiront et sans même savoir s’ils partiront. À la gare de triage, on est montés dans un wagon choisi au hasard, on s’est planqués dedans et on a attendu. Rien n’indiquait que ce convoi-là ne resterait pas trois jours à quai, comme ça arrive ! On a pris beaucoup de plaisir à ce lâcher-prise, à cette école du laisser-aller, bien que cette sensation de ne pas savoir où l’on va finisse par devenir épuisante. Je l’avais approchée durant un voyage en autostop effectué il y a quelques années en arborant une pancarte où était inscrit : « N’importe où ». C’était épuisant à plusieurs titres, notamment parce que le conducteur qui vous prend, en général, se confesse à vous, si bien qu’à la fin de la journée, on est épuisé par l’accumulation de récits qu’on a reçus.

Mais il y a également cette ivresse d’être livré à l’inconnu que vous décrivez si bien lorsque vous vous retrouvez installés sur ce wagon plat, à l’air libre…

Absolument : on avait onze ans, Gros Simon et moi ! Adultes, on a de moins en moins d’occasions de désobéir. Les gens l’ont vécu durant le confinement, quand on nous racontait des désobéissances un peu minables, comme d’aller déjeuner chez le gars d’en face en se prenant pour Jean Moulin ! Avec le recul, je me rends bien compte que nous étions redevenus des enfants : on avait sans cesse l’impression d’être épiés, surveillés, de courir un grand danger, alors que les trois cheminots qui nous ont vus passer au loin, ce n’était pas non plus la Gestapo. Mais comme tous les enfants, on se racontait des histoires, on était des fugitifs sans poursuivants ! J’essaie de calquer le rêve dans le réel, de le faire entrer là-dedans, et parfois, c’est au chausse-pied ! Lorsqu’on naviguait sur la Seine sur un bateau en plastique, j’avais l’impression d’être Vasco de Gama. Là, c’était la même chose, on avait beau se contenter de traverser l’Auvergne, on se prenait pour Jack London ou Kerouac. Peu importe ! Au fond, c’est l’histoire de Don Quichotte.

« On parle de comptoirs de voyageurs, mais le simple comptoir d’un café permet de se barrer extrêmement loin »

Cela dit, c’est un changement de degré dans l’aventure, mais pas de nature.

Absolument, c’est l’intention qui fait le voyageur, pas d’avoir le passeport tamponné. Je crois vraiment qu’on peut aller très loin sans s’éloigner outre-mesure. On parle de comptoirs de voyageurs, mais le simple comptoir d’un café permet de se barrer extrêmement loin, comme on le lit dans le Monsieur Jadis de Blondin.

D’ailleurs, il y a du Blondin dans votre style…

Il m’a inspiré énormément, j’adore sa tristesse gaie et comme il insuffle de la fantaisie à chacune de ses phrases. Je trouve d’ailleurs que c’est l’élégance suprême la manière dont il transpirait pour écrire, comment il travaillait si scrupuleusement ses textes, pour ensuite faire en sorte que ça ne sente pas la sueur et virer les échafaudages. C’est qu’on sue vraiment quand on essaie d’écrire bien et d’autant plus dans le champ de l’humour qui est très difficile. Je crois que susciter le rire est encore plus exigeant que de susciter les larmes. Le rire est sans doute moins universel que les larmes, il est plus culturel et fait appel à davantage de références. C’est sérieux, de faire le drôle.

Le plan du livre coïncide avec le plan du voyage, et vous remplissez le premier avec les événements du second. Comment articulez-vous ou corrigez-vous les choses ?

Avant que nous ne partions avec Simon depuis la gare de Villeneuve-Saint-Georges, j’avais eu quelques semaines pour imaginer ce qui allait se passer et les premières heures de l’aventure se sont passées rigoureusement comme je les avais imaginées. Une friche industrielle, une passerelle mangée par la rouille surplombant les voies, un vieux wagon à bestiaux hors d’âge où nous pénétrions… oui, tout cela était conforme à ce que j’avais imaginé. L’attente, le wagon qui ne part pas : tout cela était encore conforme. Sauf que le wagon est parti ! Et moi, j’avais imaginé les semaines précédentes que j’allais raconter l’histoire de deux mecs qui entrent dans le wagon, ferment la porte, rêvent et ressortent du wagon quatre jours après, en étant persuadés d’avoir fait le tour de France alors qu’ils ne seraient jamais partis. Comme on est partis, je me suis dit que ça marchait trop bien.

@benjamin de diesbach

Dans l’un des villages que vous traversez, vous parvenez à vous faire une mauvaise réputation…

Oui, il faut dire que plus vite qu’on ne le croyait, on s’est mis à puer. Mais à puer comme jamais on avait pué ! Au bout de trois semaines à camper dans les bois, on pue l’humidité, l’humus et le feu de camp. Là, on puait cette odeur mais on puait aussi le train, c’est-à-dire la graisse et le cambouis. Les deux formaient un bouquet vraiment très désagréable au nez.

Comment choisissez-vous votre compagnon de voyage ?

D’abord, c’est systématiquement un copain d’enfance ; ensuite, je le choisis en fonction du voyage. Tout voyage a son bon compagnon et j’aime bien jouer à l’armateur qui les enrôle. Pour la descente de fleuve en canoë, je trouvais marrant de recruter deux intellectuels. Là, j’ai usé d’un contrepied total parce que Simon est le contraire d’un intellectuel : il ressemble plutôt à un enfant sauvage. C’est un personnage en lui-même, il n’y a pas beaucoup besoin d’appuyer sur le stylo. Je l’ai toujours connu avec trois couteaux suisses à la ceinture et se comportant en incitateur à faire des bêtises. Dès qu’il y a une possibilité de péripétie, son œil frise et quand je l’ai appelé, il s’est montré partant sans même savoir ce que j’allais lui proposer. J’avais besoin de quelqu’un de pas trop froussard, parce qu’il fallait courir, se planquer et que, blague à part, c’était quand même une aventure assez éreintante. On entrait dans les gares la nuit, et le jour, on était dans les trains, donc on ne dormait pas. C’est pour cela que l’aventure a connu un terme prématuré.

Aussi brève soit-elle, votre aventure n’en comporte pas moins tous les aspects d’une grande aventure classique…

Je crois que les aventures courtes contiennent les aventures longues en raccourci. Si l’aventure avait duré six mois, on aurait ramené plus d’anecdotes, mais la trame narrative serait restée la même. Simenon avait schématisé sa trame narrative et elle est identique dans tous ses livres, quelle que soit leur taille. L’ivresse du départ, les éléments perturbateurs, les péripéties et la chute, qui est ici, assez littérale, mais j’avertis le lecteur en quatrième de couverture, aussi on ne peut me reprocher de le prendre en traître.

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La forme du livre est-elle influencée par le véhicule ?

Il est certain que le véhicule influe sur le rythme. Fatalement, Roman fleuve est plus un livre qui coule au fil de l’eau sans être très trépidant – parce que la Seine n’est pas un cours d’eau particulièrement tempétueux. Celui-ci correspond plus à une alternance de pics d’adrénaline et de longs moments d’ennui que j’essaie de tromper par des digressions. Mais il faut dire que le hobo passe son temps à attendre : que ce soit attendre dans le bas-côté qu’un train se pointe, ou, une fois dans le wagon, attendre que ça parte. Quand le train s’ébranle, il y a un pic d’adrénaline fabuleux, mais une fois qu’il roule depuis une heure…

Allez-vous constituer une trilogie avec un prochain voyage ?

Je me pose encore la question à ce jour. Vais-je continuer sur cette série ? Et si oui, que me reste-t-il ? « Roman policier », « Roman noir », « Roman d’amour »… Je songe plutôt à écrire le « Roman de trop » !

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