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Poème : Les gueux du Languedoc

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Publié le

6 avril 2020

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C’était alors en France, et par toute la terre
Le retour en puissance des grands rideaux de fer

 

Un virus du Levant faisant fi des frontières
Tenait siège devant chaque porte cochère

Il trouvait logement, en passant les parois,
Dans les poumons des gens. Et les tuait, parfois

Jusqu’à l’institution de la Salpêtrière
Ce virus, ce dragon, coursait les infirmières
Il avait réussi cet exploit, cet affront
D’en confisquer les lits et d’en salir le nom

Monsieur le Président avait dit : « Citoyens,
C’est le confinement, restez chez vous demain »

Je m’étais réfugié en pays catalan
Nous vivions en tribu, dans un mas, à l’ancienne
Buvions du Byrrh en fût pour aller de l’avant
Ça n’était pas si dur de vivre en quarantaine

Un matin sur le pouce
Je fus pour quelques courses
Manquantes à notre exil
Contraint d’aller en ville

L’autoroute filait de Thuir à Perpignan
J’étais seul au volant, j’étais seul au levant

Un brouillard de passage au pays du soleil
Conférait aux parages un climat de corneilles

Je remarquai d’abord que sur la voie déserte
Les oiseaux de tous bords avaient quitté leur hêtre
Pour y faire leur nid ; du progrès et du vide
La nature a horreur, et reprenait la bride

Et les premiers truands investissant la place
Etaient geais ou bruants, étourneaux ou rapaces

Jusqu’ici tout allait, c’était plaisant de voir
Qu’après cinquante années de bitume illusoire
Un congé de voitures de quinze jours à peine
Rendait à la nature son rang de souveraine

Mais je croisai bientôt à cent kilomètres-heure
Un bien drôle d’oiseau sur la bande d’urgence
Assez paisible, au fond, sans reproche et sans peur
Allait un vagabond, sur l’asphalte en errance

Outre son vieux barda et son froc élimé
Un détail me frappa : bien que sorti du bois
Il avait pris le soin d’enfiler un keffieh
Pour protéger son groin du virus aux abois

Je n’eus jamais su dire de quelle bordée
Sortait cet épervier sans roues, ni domicile
De quelle Palestine ou de quelle Judée ?
D’un repère de punks, ou tout droit de l’asile ?

Mais à bien y penser, c’était sans importance

Avait-on déjà vu, depuis la tendre enfance,
Quelconque hurluberlu flâner sur l’autoroute,
A dix pieds du talus ? Moi pas, sans aucun doute

Cette image d’un homme sur la route à péage
C’était en République un début de naufrage
Un trouble dans ses flux, c’était pour celle-ci
Son âme, s’il en fut, qu’on mettait en sursis

*

Mais si rappelle-toi, diriez-vous, somme toute
Les migrants à Calais d’un camion, d’une soute
Syriens et Népalais descendaient sur la route
Et cherchaient à gagner Londres coûte que coûte

Et cherchaient à gagner en marchant sur la mer
Pour des rêves amers, des idées d’abondance
Naissant de la détresse et vivant de croyances
L’Angleterre-promesse, l’Angleterre-chimère

Une jungle de vie qu’un messie d’aujourd’hui
N’eut pas manqué d’aimer ; sans doute prêtant l’ouïe
A l’un de ces petits du chemin de Damas
Pour un tour en ferry, il eut laissé sa place

C’était une autre histoire, ces ombres en dérive
Damoiseaux migrateurs sur nos humides rives
Ne seraient pas comptés par la maréchaussée
Au nombre des cinglés marchant sur la chaussée

Ainsi mon fugitif était curiosité

*

J’entrai dans Perpignan. Une mouche volait
Les derniers braves gens refermaient leurs volets

Et même les gitans, barons à Perpignan
Habitants du trottoir depuis la nuit des temps
Après que leur doyen par le virus atteint
Lors d’un gala d’adieu contamina les siens
Semblaient bon an mal an garder l’isolement
Et honorer le mort de leurs baraquements

Je croisai cependant un fourgon de l’armée
Et craignis un instant que ses quatre gradés
Ne veuillent sur-le-champ voir mon laisser-passer
Ou quelque document, bleu blanc rouge griffé

Pourtant, les sentinelles étaient indifférentes
A la fraude éventuelle d’un petit bourgeois
S’imaginant rebelle et bravant la patente

Plus loin dans la ruelle, je compris pourquoi

En effet, remontant jusqu’aux Rois de Majorque
Je les vis peu à peu, les gueux du Languedoc

A chaque peste, on sait, reviennent les lépreux

A l’air libre et fiévreux, il ne restait plus qu’eux

Une vision d’horreur que tous ces sans-abris
Se traînant de douleur, et par la faim surpris,
Exhortaient les passants familiers du pourliche :
« Au secours, bonnes gens ! Donnez-nous une miche ! »

Mais les anges gardiens étant indisponibles
Ne tombait dans leur main qu’une aumône intangible

L’épidémie semblait, comme une injuste preuve,
Avoir découragé les mille bonnes œuvres ;
Où zonaient à cette heure ces humanitaires
Chevelus au grand cœur, parrains de la misère ?

Et aux pauvres en grappe, il ne restait plus guère
Qu’à pisser tout leur vin dans un baroud amer

Parmi eux, l’air béat, certains aux gestes las
Semblaient dire tout bas : « je veux en rester là »

Il s’en faut donc d’un rien, une grippe un peu âpre
Et c’est une cité, celle d’un antipape
Qui la veille fredonne, mais sur l’argile assise,
Devient ville fantôme quand le sort improvise

 

 

Floran Loire

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