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Reportage en boboland

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Publié le

18 février 2019

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C’est une jolie rue pavée du 9e arrondissement, vitrine d’un urbanisme nouvelle formule. Des plantes ont remplacé les places de parking, priorité piétons, roulez au pas. Fini le bruit, le béton, le gris : l’homme et la nature reprennent leurs droits sous la gomme bienfaisante des architectes municipaux de Paris.
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Sa proximité avec la rue des Martyrs sonnait comme une injonction à faire peau neuve. Cette artère centrale qui mène à Montmartre est devenue le fleuron d’une nouvelle manière de vivre en ville. C’est le poumon d’un quartier qui s’est configuré au mode de vie des nouveaux bourgeois n’ayant de bohême que le libertarisme hédoniste qui leur sert de conscience politique.

Anciennement surnommée « la nouvelle Athènes » en référence sa prolificité culturelle et artistique, le quartier des Lorettes est aujourd’hui affublé du surnom de « SouthPi » (pour South Pigalle). Brooklynnisation oblige : il fallait faire cool.

Le combo poussette-basket, apanage d’une génération qui a vieilli sans s’en rendre compte, y est de rigueur. Des salariés du tertiaire battent en masse le pavé d’une rue où l’existence des commerces traditionnels est menacée par la prolifération de boutiques mono-produits qui vendent à l’envie des mozzarellas responsables, des cupcakes éthiques et autres pâtisseries solidaires. Un genre d’empire culinaire du bien où l’on dépense un luxe d’artifices délirant pour faire croire à la simplicité et à l’authenticité.

La bonne vieille confiture de votre grand-mère à un prix auquel, ni elle ni aucun producteur de fruit, ne pourrait se la procurer. Et en même temps… le comptoir en verre tactile, les slogans décalés des agences de publicité, la crémière sexy et la déco rétro-chic, ça n’est pas gratuit.

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On remplace le producteur et ses convictions politiques un peu rances par un vendeur disruptif à barbe de trois jours qui n’a jamais vu pousser un légume, développant ainsi le mythe d’un produit auto-généré, conçu du Saint-Esprit et arrivé là par la grâce des flux dématérialisés.

Les fromages sont du terroir mais cachez cette terre que l’on ne saurait voir. Les vins sont bien de chez nous mais ne vous aventurez pas à définir ce que « chez nous » signifie, ça serait de mauvais goût. Et puis de toute façon, chez nous c’est aussi chez vous. Exit donc l’ancien bar-tabac-pmu où se croisaient chaque matin le Figaro du petit patron et le ballon de rouge de l’ouvrier. On fait sauter les vieux zincs pour les remplacer par des bars en bambous de Chine sur lesquels on mange, face à la vitre, des dim-sum, nouilles japonaises et autres bobùn.

Bien plus ouvertes à la différence et inclusives, ces enseignes n’ont de dissuasif que le prix du café. D’ailleurs, désolé Monsieur, mais on ne sert que des Latte Machiatto ici. Tant pis. Ceux pour qui le bistrot est la dernière patrie iront chercher ailleurs le réconfort que prodigue la proximité des âmes seules.

Cette petite rue adjacente a elle aussi fait son aggiornamento. Sur la cinquantaine de mètres qu’elle couvre on trouve pêle-mêle une pâtisserie rock (allez savoir), un salad-bar vegan, un vendeur de crèmes-brulées traditionnalo-branché… Et, au milieu de la rue, une devanture rouge dont l’enseigne affiche en lettres peintes «Jardinage, bazar, encadrement».

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Dernier vestige d’une époque résolue, cette droguerie un peu délabrée garde fièrement sa place au milieu de la rue. On y vend tout et rien, de l’essentiel et de l’appoint. Dernier symbole d’une vie de quartier sans amazon prime ni supermarché.

En s’approchant de plus près on constate que le rideau de fer est baissé, même en pleine journée. On peut y lire une affiche indiquant « Fermé pour cause de décès ». Une lettre adressée à José, pilier de l’ancien quartier, installé là depuis toujours en moustache brune et blouse de boutiquier, explique qu’il a collé là cette affiche avant d’aller commettre l’irréparable.

Ne trouvant plus sa place, il l’a sans doute cherchée ailleurs.

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