Romain Lucazeau s’est imposé en 2016 comme une nouvelle plume de la SF hexagonale sur laquelle il fallait compter : avec Latium, il signait un impressionnant space opera où se mêlaient influences gréco-latines et sense of wonder typiquement britannique, dans le sillage du regretté Iain M. Banks. Il revient en cette rentrée littéraire là où on ne l’attendait pas, loin du roman-fleuve qui l’a fait connaitre. La Nuit du Faune est à la fois d’une ambition démesurée et d’une simplicité désarmante. Conçu sur les bases d’un poème théogonique, il met en scène une étrange fillette nommée Astrée et un faune avide de connaissance dans un futur lointain où la civilisation terrienne n’est plus qu’un mythe.
Ce qui commence comme un conte pour enfant vire très vite à la fable métaphysique : Astrée emmène le faune dans un voyage supraluminique aux confins du monde connu, afin de le confronter aux mystères de l’espace et de la création même. Méta-civilisations belliqueuses, entités galactiques omnipotentes et autres révélations sur la nature profonde de l’univers sont au menu de cet époustouflant voyage littéraire qui s’impose à la fois comme un hommage à la proto-SF de Cyrano de Bergerac et comme une vibrante déclaration d’amour à la force démiurgique de l’imagination.
Au départ, La Nuit du Faune était un poème en prose. On pense aux récits théogoniques d’Hésiode.
Oui, il y a aussi une influence prégnante des romantiques allemands et de leurs chants de la nature. Je voulais déployer une sorte de description du monde en allant chercher du merveilleux dans les interstices de la science. Une description du monde réenchantée par l’imagination, mais dans les contraintes de la science. Sachant qu’aucun éditeur significatif ne publie plus de poésie en prose, la bascule s’est faite très vite entre la forme poétique et le conte, j’ai voulu aller chercher du côté du conte pour enfant qui glisse progressivement vers le conte philosophique.
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Ici, votre geste poétique rejoint la tentation démiurgique.
Tout à fait. Il s’agit de raconter le monde tel qu’on voudrait qu’il soit, de ré-enchanter les espaces silencieux et infinis de la science. J’ai voulu imaginer comment pourraient s’intriquer nos connaissances scientifiques avec l’existence des dieux et des puissances cosmiques. Il s’agit d’utiliser le matériau scientifique pour faire de la poésie, il s’agit de poétiser le monde, de retrouver la poésie du cosmos derrière l’univers désenchanté des modernes. Il s’agit d’un cheminement existentiel, celui de l’héroïne Astrée, qui dit qu’elle est devenue folle parce qu’il n’y a plus rien à découvrir. Elle repart en voyage pour retrouver l’émerveillement, tout comme je suis reparti en écriture. [...]
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