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Saint Lazare outragé !

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Publié le

15 juillet 2020

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Avant même de penser à vos destinations de vacances, jugez l’état de vos gares ! Un billet caustique du détonant Patrick Eudeline.

C’était si beau la Gare Saint-Lazare. Avant. Comme toutes les gares parisiennes, pour sûr ! Mais celle-là… Comme dans la chanson de Colette Dereal, on avait envie d’y donner des rendez-vous d’amour. Finalisée pour l’exposition universelle, on aurait dit que le mot « steampunk » avait été inventé pour elle. Pur rêve Belle Epoque, elle semblait destinée à être dessinée par Tardi. Pour un peu, on y aurait cherché Adèle Blanc Sec pour l’éternité. Boire un verre, assis dans un des cafés Art Nouveau, en regardant le manège du serveur bougon, ou les gens se presser, valise a la main, c’était bien là un plaisir de Parisien. On avait eu le temps de flâner Salle des pas perdus, ou dans une des nombreuses galeries. On pouvait y aller – ce péché – sans train à prendre. Juste pour le plaisir : improductif. C’était si beau la Gare Saint-Lazare.

DE LA GARE POÉTIQUE À LA GARE MONDIALISÉE

Je suis Gare Saint-Lazare. Justement. J’ai un train à prendre, figurez-vous. Et… c’est un cauchemar. Il n y a plus rien. Plus rien… Qu’une façade. Quarante années de travaux, de plans d’urbanisme, de décisions d’énarques incompréhensibles sont passés par là. Oh ! Chiffres à l’appui, ce n’est pas pour cela qu’il y a plus de lignes et de trains. C’est même largement le contraire. Non il fallait… il fallait juste moderniser, ruiner l’historique Salle des pas perdus en la transformant en centre commercial bétonné de trois étages, remplacer les anciens commerçants (dont un légendaire disquaire, le Discobole) par d’autres, appartenant à des chaînes. Établissements d’ailleurs fermés le plus souvent ou désertés. Et – bien sûr ! – plus de cafés dans le Hall d’embarquement, ni même, d’endroits avec places assises… Juste une « croissanterie » à emporter. Une croissanterie dont vous connaissez l’enseigne, l’odeur en bombe et l’apparence : ce sont les mêmes partout. Le hall étant classé, ils n’ont pu trop le massacrer, ils se sont donc contentés de le réduire à son strict minimum, de l’enserrer entre des portiques et tourniquets, d’y interdire toute vie.

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Sinon, des l’entrée sur la rue Saint-Lazare, ce sont désormais des escalators, des halls et couloirs froids tous semblables, où on se perd toujours et encore, des portiques et portillons avec scanner, afin d’entrer et de ressortir – une fois le code barre de votre ticket validé – pour, éventuellement, si vraiment le désir d’un café ou d’attendre assis se fait par trop irrésistible, accéder à l’unique et immonde Starbucks, si fonctionnel qu’il en est un outrage aux étages intermédiaires. Mais c’est le seul endroit avec sièges. Il faut dire qu’ils ont détruit le passage suspendu qui conduisait du Hall à l’attachant café Terminus. Ah ! Ils ont écrit « Patrique » sur mon gobelet. Ça va avec le reste. Le pire, c’est que cela ne leur suffit pas, apparemment. C’est officiel : ils veulent forer plus encore, rajouter escalators et enseignes mondialisées, paraît-il. Enserrer un peu plus ce qu’il reste de la Gare Saint-Lazare au sein d’un complexe commercial… Mais n’est ce pas déjà ce qu’ils ont fait ? 

De la Gare de jadis, donc, ne reste pour solde de tous comptes que la verrière digne d’Eiffel. Ils n’ont osé y toucher. Il faut donc lever les yeux aux cieux pour retrouver Paris. Normal au fond : c’est aux cieux que se trouvent les morts.

P.S. amer : Il y a tant de portiques et portillons désormais qu’il est devenu absolument impossible de prendre le train sans payer, ni même sans l’exact document scanné, QR codé, validé, dûment checké, de « brûler le dur », en un mot. Je n ai pu m’empêcher d’avoir une pensée émue pour tous les hobos, beatniks, poètes à semelles de vent de jadis. Et même pour mon aventureuse et coupable jeunesse, avec ses aléas de l’aventure, et quand il fallait payer… le prix du voyage était somme toute raisonnable. Aujourd’hui ?

Rêver ? Voyager ? Allons ! Circulez ! Y a rien à voir !

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