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Des causes et des responsabilités de la guerre en Ukraine

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Publié le

12 mai 2023

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Alors que l’ «Opération militaire spéciale» en Ukraine entre dans son quinzième mois, les éléments de langage de la propagande russe continuent à être employés sans vergogne par les relais du Kremlin. Le «coup d’état de Maïdan», les «15 000 morts du Donbass» et autres très foireux «accords de Minsk», autant d’arguments fallacieux employés pour justifier une guerre de conquête. Retour historique sur les causes et responsabilités de la guerre en Ukraine.
DR-3

La Rus’ de Kiev est à l’origine le berceau culturel du monde slave. Elle se voit emportée dans les tumultes médiévaux que connaît l’Europe orientale bouleversée par les mongols au XIIe siècle. Successivement principauté slave indépendante, puis rattachée au duché de Pologne-Lituanie, avant de se définir comme «État cosaque», elle est ensuite, au XVIIIe siècle, partagée entre les empires russes et autrichiens. L’Ukraine connaît une éphémère première tentative d’indépendance (menée par l’armée noire anarchiste de Nestor Makhno) entre 1917 et 1922. Ensuite «République socialiste soviétique d’Ukraine», rattachée à l’URSS, elle connaît sous la terreur stalinienne, la terrible «extermination par la faim» de l’Holodomor (de 2 à 5 millions de morts). Le ressentiment des Ukrainiens envers leurs «frères russes» trouve là son premier aliment. Victime des crimes de guerre nazis engendrés par l’opération Barbarossa, elle participe par millions aux sacrifices nécessaires à la chute du IIIe Reich. Les Ukrainiens subissent ensuite le joug soviétique jusqu’en 1991. 

1991: l’Ukraine proclame son indépendance 

Lorsque l’URSS disparaît, la République d’Ukraine proclame son indépendance par référendum le 1er décembre 1991 : 92% des Ukrainiens votent en sa faveur. Toutes les régions ukrainiennes (oblasts), sans exception, y compris les russophones, y compris la Crimée, se prononcent en faveur d’une Ukraine souveraine et indépendante du «grand frère» russe. En 1994 est signé le mémorandum de Budapest qui stipulait qu’en échange du transfert vers la Russie des armes nucléaires soviétiques en possession de l’Ukraine, celle-ci verrait sa souveraineté et son intégrité territoriale garantie… par la Fédération de Russie. 

Lire aussi : Débat : Ukraine, la guerre des mots 

Mais Moscou ne l’a jamais acceptée  

De 1992 à 2004, deux présidents se succèdent à la tête de l’Ukraine, Léonid Kravtchouk et Léonid Koutchma. Tous deux sont des héritiers typiques du système soviétique. Ils maintiennent les mêmes «directeurs rouges» aux postes de direction de l’État, empêchent l’Ukraine de se développer économiquement, assassinent journalistes et opposants, se corrompent avec les oligarques, corrompant ainsi la société ukrainienne. Se mettant délibérément «dans la main de Moscou», ils sont en réalité des hommes de paille de la Russie, empêchant l’Ukraine de connaître le destin auquel elle aspirait pourtant. 

Le peuple ukrainien a donc regardé vers l’Ouest 

Le 21 novembre 2004, nombre d’Ukrainiens rejettent le résultat de l’élection présidentielle qui donne la victoire au premier ministre pro-russe Ianoukovitch, qu’ils considèrent comme truqué. La révolution orange débute. Des centaines de milliers d’Ukrainiens manifestent sans violence devant le parlement. Sous la pression, le pouvoir doit organiser une nouvelle élection : cette fois c’est le candidat pro-européen, Viktor Iouchtchenko, qui l’emporte. Pendant deux mois, Vladimir Poutine refusera de reconnaître la défaite de «son» candidat. Mais sous la pression de la rue et des manifestations quotidiennes, Ianoukovitch finit par céder et laisse son rival occuper la présidence. Que nombre d’organisations sous influence des gouvernements européens et américains aient soutenu le peuple ukrainien dans cette «révolution de couleur» est indéniable. Qu’une majorité d’Ukrainiens aspiraient à se détacher de la tutelle de Moscou l’est aussi. 

Pendant deux mois, Vladimir Poutine refusera de reconnaître la défaite de «son» candidat.

Poutine n’oubliera pas. Et il s’est déjà vengé. Dès le début de la campagne présidentielle, en septembre 2004, il a fait empoisonner Viktor Iouchtchenko. L’intoxication à la dioxine lui ravagera progressivement le visage tout au long de son mandat présidentiel de 2005 à 2010. Le mandat de Iouchtchenko sera un échec car il devra constamment composer entre son alliée pro-européenne Ioulia Timochenko (finalement discréditée pas des accusations de corruption) et son rival revanchard Ianoukovitch, désireux de remettre Kiev dans le droit chemin de Moscou.  

En 2008, la Russie intervient (déjà) en Géorgie pour en détacher les provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du nord. Cette intervention de Poutine sème le trouble en Ukraine entre les partisans de la ligne dure envers la Russie, les modérés et les prorusses. Mais Iouchtchenko a déjà pris une initiative, qui sera décisive pour l’avenir de l’Ukraine. En effet, dès 2007, commencent les négociations pour la mise en œuvre d’un accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, prélude à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union. Ce projet d’accord visant à rattacher l’Ukraine à l’ouest de façon irréversible est la véritable cause de la guerre qui fait rage aujourd’hui. 

En 2010, parvenant habilement à discréditer ses adversaires Iouchtchenko et Timochenko auprès d’une opinion publique déçue par les promesses de la révolution orange, Ianoukovitch, l’homme du Kremlin emporte l’élection présidentielle. 

Sans surprise, il renoue avec les pratiques en vigueur avant la révolution orange, renforce les pouvoirs de l’exécutif sur le parlement et les médias, assigne à résidence son opposante Timochenko… et accorde à la Russie ce que veut le Kremlin. Il signe ainsi la prolongation jusqu’en 2042 de la base russe de la mer Noire à Sébastopol. Mais le 21 novembre 2013, sous la pression de Vladimir Poutine il commet une erreur qui entraînera sa chute et fera basculer l’Ukraine dans la violence. Il annonce qu’il ne signera pas l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne pourtant prévu de longue date pour être signé le 29 novembre 2013. 

Avec la révolution de Maïdan, les Ukrainiens se proclament Européens 

Dès cette annonce, des foules grandissantes, d’abord composées d’étudiants puis de toute la société civile, se rassemblent sur la place de l’indépendance de Kiev, la place Maïdan, en brandissant des drapeaux ukrainiens et européens. Ces manifestations vont rapidement dégénérer, la police tentant de dégager la place. Du 21 novembre 2013 au 22 février 2014, la place Maïdan, occupée par les tentes et les barricades, devient le lieu d’un affrontement quotidien entre manifestants et forces de l’ordre. Les premiers morts tombent sous les matraques, les pierres, les cocktails molotov puis sous les balles des policiers et des tirs des snipers des deux camps. L’extrême droite (dont nombre de militants formeront le régiment Azov intégré aujourd’hui à la 3e brigade d’assaut de l’armée ukrainienne) est en première ligne et repousse avec succès les assauts de la police antiémeute. Au bout de deux mois de violences (82 morts), face à une foule plus décidée que jamais, Ianoukovitch abandonne et s’enfuit à Moscou le 22 février 2014. 

Contrairement à ce qu’affirme la propagande prorusse, la «révolution de Maïdan» n’a pas été un «coup d’état» organisé par l’étranger mais bien une révolution populaire et spontanée provenant d’un peuple refusant qu’on lui vole son destin européen.

L’extrême droite (dont nombre de militants formeront le régiment Azov intégré aujourd’hui à la 3e brigade d’assaut de l’armée ukrainienne) est en première ligne et repousse avec succès les assauts de la police antiémeute.

Dans l’Ukraine révolutionnaire, la fracture linguistique est utilisée par les deux camps (bien qu’elle soit en partie artificielle, le président Zelenski, par exemple, étant lui-même russophone) pour attiser les conflits. Brandissant l’arme linguistique, le parlement (Rada) décide, le 23 février 2014, d’abroger la loi sur les langues régionales en retirant le statut de langue officielle au russe (ainsi qu’au roumain, au hongrois et au tatar de Crimée). Cette loi ne sera pas appliquée et, le 28 février 2014, le président par intérim Oleksandr Tourtchynov y opposera son véto. Mais cette erreur des révolutionnaires ukrainiens va être immédiatement exploitée par la Russie. 

Moscou va alors s’impliquer directement 

De février à mai 2014, des manifestations sont organisées dans les régions majoritairement russophones de l’est et du sud du pays (Crimée, Donetsk, Louhansk, Odessa). Dès le 26 février, en Crimée, des militants prorusses assistés par des agents russes commencent à s’emparer des bâtiments gouvernementaux. Des milices séparatistes armées se forment, renforcées et encadrées par des spetsnaz russes, cagoulés, sans insignes ni drapeaux. Elles finissent par s’emparer de toute la péninsule de la Crimée. Le 16 mars 2014, un référendum est organisé dans la péninsule proclamant le rattachement de la Crimée à la Russie à 96,77%. Le 17 avril, le président russe affirme que « derrière les forces d’autodéfense de Crimée, bien sûr, se trouvaient nos militaires ». 

Dans les semaines suivantes, Vladimir Poutine tente de reproduire le même schéma partout où il le peut. Des militants séparatistes, épaulés par des agents russes et par des hooligans recrutés pour de l’argent (titouchkys), tentent de s’emparer des bâtiments gouvernementaux partout où ils le peuvent, à Kharkiv, Donetsk, Lougansk, Sloviansk et Marioupol. Des unités de forces spéciales russes opèrent dans toutes ces zones.  

La violence de rue va alors laisser place à la guerre 

Le 2 mai 2014 à Odessa, de terribles affrontements entre manifestants pro Maïdan et pro russes font une quarantaine de morts qui se terminent par l’incendie de la maison des Syndicats, camp de base des militants prorusses. À Karkhiv, Sloviansk et Marioupol, l’armée ukrainienne reprend le contrôle des bâtiments publics, chassant les milices séparatistes avant qu’elles aient eu le temps de s’organiser.  

Des milices séparatistes armées se forment, renforcées et encadrées par des spetsnaz russes, cagoulés, sans insignes ni drapeaux.

Dans les oblasts de Donetsk et Lougansk (Donbass) en revanche, les républiques populaires autoproclamées sont cette fois lourdement armées par la Russie. Les affrontements entre les séparatistes et l’armée ukrainienne commencent en juin 2014 : à cette date, c’est une véritable guerre civile qui s’est engagée.   

Les «accords de Minsk» 

À la fin août 2014, des troupes russes «régulières» sont directement engagées dans une offensive séparatiste, qui conduit l’Ukraine à signer le 5 septembre 2014 les accords de cessez-le-feu dits Minsk I. Ces accords ne sont que des accords impliquant un cessez-le-feu et l’arrêt de la conduite des offensives en cours. En aucun cas ils n’impliquaient autre chose qu’un gel de la situation militaire et ne comportaient aucune condition de règlement politique. Ce cessez-le-feu est presque immédiatement violé par les séparatistes, qui, le vent en poupe, repartent à l’assaut dès le 28 septembre 2014 de l’aéroport de Donetsk, dont ils s’emparent le 21 janvier 2015. Le 11 février 2015, les séparatistes ont conquis 550 kilomètres carrés de territoire ukrainien depuis les accords de cessez-le-feu de Minsk I.  

François Hollande et Angela Merkel portent une très lourde responsabilité quant à la suite des évènements en poussant l’Ukraine qui ne le souhaitait pas, à la signature des accords de Minsk II, le 15 février 2015. Un nouveau cessez-le feu est conclu, incluant un retrait des armes lourdes du front. Mais les accords comportent cette fois une dimension de règlement politique :  l’Ukraine reconnaît les autorités séparatistes. Le 17 mars le parlement ukrainien accorde une autonomie aux deux républiques populaires et donne à la langue russe dans ces régions un statut privilégié. En flagrance totale des accords de Minsk II, les autorités séparatistes organisent leurs propres élections présidentielles au sein de leurs «républiques» alors que seules des élections locales devaient y être organisées. 

Lire aussi : Ukraine : notre avenir s’y joue

Ainsi rien n’est réglé. De 2015 à 2022, les lignes de front se figent. Mais les bombardements (tirs de mortiers principalement) et les combats à l’arme légère se poursuivent.  Les «15 000 morts du Donbass» mis en exergue par la propagande russe se répartissent en 5000 combattants séparatistes, 5000 soldats ukrainiens et 5000 civils tués des deux côtés de la ligne de front. La guerre continue et pour cause : ainsi que l’a révélé, le 16 février 2023, Vladislav Sourkov, l’homme envoyé par Vladimir Poutine pour la gestion des opérations russes en Ukraine en 2014, les autorités russes n’ont jamais eu l’intention d’appliquer les accords de Minsk. 

Vers la guerre totale 

L’arrivée au pouvoir de Volodymyr Zelensky en avril 2019 va entraîner une baisse significative des affrontements et du nombre des morts. Les forces ukrainiennes reçoivent en effet la consigne de ne pas riposter de façon disproportionnée aux provocations séparatistes, afin de ne pas fournir de prétexte à une offensive russe de grande envergure. Qu’importe, alors qu’avant que la violence ne l’emporte en 2014, l’Ukraine n’a jamais voulu autre chose que de rejoindre l’Union européenne, alors même que la France et l’Allemagne n’auraient jamais accepté qu’elle rejoigne l’OTAN, alors même qu’aucune base militaire étrangère ne menaçait la Russie, celle-ci a vu dans la volonté d’émancipation de l’Ukraine de la tutelle russe un affront impardonnable. 

Las, constatant une situation figée, Vladimir Poutine se résout alors à tomber le masque. L’allocution télévisée, en langue russe, du président Zelensky, le 23 février 2022, exhortant le peuple russe à la paix, n’y change rien.  Quelques heures plus tard, aux premières heures du 24 février 2022, Vladimir Poutine s’engage dans un voyage sans retour pour des centaines de milliers de morts. 

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