L’analyse philosophique de la politique requiert deux dispositions distinctes mais néanmoins complémentaires, celle du psychologue et celle du phénoménologue, chacune participant à définir cet ensemble subjectif et objectif au sein duquel s’exerce et se construit la politique. Éric Sadin, scrutateur attentif et inquiet des nouvelles technologies, s’inscrit sans conteste dans la seconde catégorie, celle de la phénoménologie. Cependant, la singularité du monde tel qu’il se forme à présent, les technologies ayant largement investi le domaine privé pour influer jusque sur nos représentations, Facebook et Twitter étant par exemple désormais appréhendés comme des extensions de nous-mêmes, aussitôt que l’on s’intéresse à leur spécificité exo-squelettique, on découvre une anatomie humaine qu’elles bouleversent.
Dans son précédent livre, L’Ère de l’individu tyran, Éric Sadin étudiait justement, en en dressant la cartographie, l’impact de ces applications sur nos vies, comment elles redéfinissaient à l’avantage d’un égo hypertrophié jusqu’à en devenir malade notre rapport au monde pour nous transformer en une espèce de solitude sur pattes acharnée à exister en dépit de toute forme de communauté. Écrit peu avant l’épidémie, son livre eut le mérite de ne pas être prophétique mais, chose largement plus difficile, de dire le présent, pour reprendre Walter Benjamin que Sadin cite. Car transvasés dans le monde des apéros zoom et du distanciel, contraints de nous isoler par solidarité, la période fut forte en symboles à même de nous forcer à réaliser, en radicalisant nos habitudes, dans quel monde nous vivions depuis plusieurs années désormais : celui de l’hyper égotisme pulsionnel où chacun devenu son propre tyran s’oppresse en jouissant de son oppression. [...]
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