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Volodymyr Yermolenko : « Je crois dur comme fer en la pérennité de la nation ukrainienne »

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Publié le

12 mars 2022

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Volodymyr Yermolenko est un philosophe et journaliste ukrainien vivant à Kiev. Maitrisant parfaitement notre langue, il a bien voulu répondre à nos questions depuis son pays et sa ville, qu’il ne quittera sous aucun prétexte.
Russie

Comment définiriez-vous l’identité ukrainienne ?

Il faut d’abord comprendre que le plus important pour nous est l’identité politique et civile. Nous n’avons pas une conception allemande de la nation, une conception strictement ethnique. Ce qui nous distingue c’est d’abord notre rapport à la vie politique et sociale. Nous appelons cela Hromada, qu’on pourrait grossièrement traduire en français par « communauté » même si ce mot a un sens peut-être plus large. La Hromada existe en Ukraine mais aussi en Biélorussie, il s’agisait à l’origine de groupes de paysans qui se réunissaient pour traiter des affaires locales à l’échelon communal ou dans un regroupement de communes. C’est le premier atome de la nation ukrainienne que cette gouvernance locale qui entraine des droits comme des obligations à ceux qui y participent. L’idée c’est que les membres de la Hromada sont avant tout des individualités et non des pions. Cela ressemble d’ailleurs un peu à ce que vous connaissez en France. Nous défendons nos identités locales et sommes animés par des idéaux démocratiques, voire même républicains. Nous nous sommes construits en opposition à la tyrannie. En Russie, tout le monde dépend du Tsar, c’est une société ultra-verticalisée. Ca n’a jamais été le cas en Ukraine. Les révoltes contre les pouvoirs successifs ont été nombreuses dans notre histoire.

Notre société civile est donc extrêmement forte et soucieuse de ses libertés, de ses droits. Elle tire aussi sa source dans la tradition cosaque zaporogue, des guerriers libres des steppes qui n’ont jamais cédé à l’arbitraire. Au 19ème siècle, les paysans de Russie étaient soumis au servage. En Ukraine aussi, mais les révoltes étaient multiples, car les paysans ukrainiens étaient et sont pour beaucoup des descendants de cosaques. C’est quelque chose qui a été montré dans la littérature russe et ukrainienne, mais aussi chez vous en France. Prosper Mérimée a écrit Les Cosaques d’autrefois par exemple, ouvrage bien connu en Ukraine. Un personnage comme Nestor Makhno était bien plus qu’un anarchiste, il croyait lui aussi à l’idée politique des communautés autonomes et en réseaux. Nous pensons que notre peuple est capable de prendre lui-même les décisions qui le concernent et qu’il ne doit pas dépendre du bon vouloir d’une seule personne, que ce soit un Tsar, Staline ou Poutine. C’est cela le plus important à retenir de l’identité civile ukrainienne qui par certains aspects présente des similarités avec l’identité civile française.

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Dans son essai « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens », Vladimir Poutine semble nier la singularité de l’Ukraine. Est-ce un discours classique en Russie ?

Oui, c’est plutôt classique. Je dirais que cela remonte au XIXème siècle. Les auteurs russes distinguaient alors la « Grande Russie moscovite » des petits Russes d’Ukraine et de la Russie blanche, c’est-à-dire la Biélorussie. Vous savez, le discours de Poutine est encore plus archaïque que celui qui avait cours durant la période soviétique ! L’époque soviétique acceptait qu’il y ait trois nations différentes, avec leurs frontières et leurs administrations respectives. L’idée de Poutine c’est de remonter à la Rus de Kiev où les principales villes d’envergure étaient situées dans l’Ukraine contemporaine. C’est aussi ce qui innerve les discours et les thèses d’intellectuels influents comme Douguine ou plus encore Soukov. C’est du reconstructivisme, car pour eux l’URSS fut aussi un crime contre la Russie. Poutine ne comprend pas l’Ukraine. Il croit que les Ukrainiens sont des Russes. Ce qu’il appelle nazisme ukrainien et qui a entrainé l’argument de la « dénazification » est un paravent pour exterminer l’idée nationale ukrainienne.

Pourtant, Poutine et son administration présentent des traits communs avec l’URSS. Non ?

Je pense que c’est plus grave que ça. Le soviétisme n’est pas un concept stable. Vous avez l’URSS des années 20 et son lot de répressions mais aussi de renaissances nationales. Vous avez aussi l’URSS d’Holodomor et du goulag. Le soviétisme de Brejnev n’est pas celui de Staline. Vladimir Poutine s’inscrit beaucoup plus dans une filiation stalinienne. Il veut revenir sur la transformation de l’empire en une confédération de Républiques avec leurs frontières. C’était aussi le projet de Staline.

« L’objectif final de Vladimir Poutine est de renverser l’ordre politique en Europe. »

Volodymyr Yermolenko

Comment jugez-vous le travail d’influence de la Russie sur les classes politiques des pays occidentaux ?

Je pense qu’ils ont une très grande influence sur la vie politique d’Europe occidentale. Il y a de nombreux collaborateur en Europe. On en trouve en Allemagne, en France, en République Tchèque, en Hongrie, en Italie, ou encore au Royaume-Uni. La clé c’est l’argent russe, les moyens financiers de Moscou qui draine des sommes énormes. Je crois qu’une partie de la classe politique européenne est corrompue. Cependant, on peut imaginer que les actes récents de Poutine ont discrédité la Russie et durablement entamé le capital de confiance que le pays inspirait partiellement à l’étranger.

Poutine a longtemps revendiqué et capté l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Je suis d’ailleurs scandalisé et attristé par le fait qu’il s’attribue entièrement cette mémoire en occultant le fait espas que les plus grandes souffrances de cette période ont été celles des Ukrainiens et des Biélorusses. C’est ce qui me dégoute dans le discours de « dénazification » de l’Ukraine. Notre pays a eu proportionnellement le taux le plus important de victimes. Nous aussi ndevons être célébrés pour la victoire sur le nazisme. La Russie montre très clairement maintenant qu’elle n’est pas seulement un pays agresseur mais inhumain, menant une guerre contre la population civile d’Ukraine comme elle l’a fait en Syrie. Hier c’était Alep, aujourd’hui c’est Mariupol. 

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Quels sont selon vous les véritables objectifs de guerre de Vladimir Poutine ? Va-t-il limiter son gain  au Donbass et à la reconnaissance de la Crimée ?

Je crois que l’objectif final de Vladimir Poutine est de renverser l’ordre politique en Europe, dans l’Europe entière. Les responsables du pouvoir russe au Kremlin le disent d’ailleurs ouvertement, ils ne s’en cachent même pas. Ils veulent tout simplement détruire l’Union européenne. Quand la Russie a envahi la Géorgie en 2008, tous les Ukrainiens ont compris qu’un jour ou l’autre ce serait notre tour. Et je vous dis maintenant que demain, ils viseront l’Europe. Les pays de l’OTAN doivent comprendre que la guerre avec la Russie finira par être inévitable, c’est ce que veut ce pouvoir. Si les buts de guerre de Poutine sont volontairement flous, c’est aussi parce que Poutine se ménage toujours des portes de sortie. Ses demandes sont minuscules par rapport à l’ampleur de l’invasion. Croyez-vous qu’il ait envoyé 200.000 hommes pour la reconnaissance de la Crimée et l’indépendance des deux Républiques séparatistes ? Croyez-vous aussi qu’il cherche à s’emparer de Kiev sans raisons ?

Il se dit souvent que l’Ukraine est un pays corrompu. Qu’avez-vous à répondre à ces affirmations ?

La corruption reste indéniablement un gros problème. Mais j’aimerais souligner que les réformes récentes ont diminué le niveau de la corruption en Ukraine. L’argent public a été correctement utilisé ces dernières années, notamment pour moderniser les infrastructures. Objectivement, la corruption a baissé même si elle reste présente. La meilleure preuve est d’ailleurs la résistance de notre armée. Elle ne s’explique pas uniquement par des considérations strictement militaires, mais aussi par une réforme administrative bien menée qui nous a permis de répondre efficacement à la menace et d’être bien organisés collectivement. L’Etat ukrainien n’est pas un Etat failli. C’est la grande différence par rapport à 2014.

« L’Europe a peut-être plus encore besoin de l’Ukraine pour se rappeler d’où elle vient. »

Volodymyr Yermolenko

Parlons un peu de l’avenir : l’Ukraine sera-t-elle demain une nation souveraine ?

Bien sûr ! Je crois dur comme fer en la pérennité de la nation ukrainienne comme Etat souverain Notre résistance est énorme et nous avons déjà traversé des périodes historiques difficiles. L’ennemi est plus fort mais il peut se démoraliser. Ses soldats ne sont pas motivés à l’idée de faire la guerre à l’Ukraine. Nous sommes plus motivés que les Russes, pour nous la victoire est vitale. Si l’Ukraine sort victorieuse du conflit, il est inévitable que l’Europe se rapprochera de nous plus étroitement. Nous serons même une source d’énergie démocratique pour tout le continent. Nous Européens devons cesser de nourrir de la méfiance envers nous-mêmes, de manquer de courage et de croyance en nos  valeurs. Les discours des Européens sont défaitistes, comme s’ils avaient intériorisé leur défaite et leur impuissance.  Ils ont le sentiment que l’Europe a perdu et qu’elle sort de l’Histoire. Je crois que nous pouvons vous montrer que l’idée européenne est toujours très forte. L’Ukraine a besoin de l’Europe. Mais l’Europe a peut-être plus encore besoin de l’Ukraine pour se rappeler d’où elle vient.

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