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Cérémonie d’ouverture des JO 2024 : Pas si pire

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Publié le

28 juillet 2024

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Le Barnum délavé et bien-pensant conçu par Thomas Jolly laissait percer quelques moments de grâce entre les nombreux plis de graisse inclusive et diversitaire.

On a dormi sur la Cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024. Pas pendant (on préparait des biscuits en même temps), sur. La consternation relative à l’instant t – quand même étiré sur 4 heures – s’est adoucie à la revoyure de plusieurs séquences au matin (et oui, on ne recule devant rien). C’était à bien y réfléchir, et toutes proportions gardées, un spectacle honorable dans le genre kermesse inclusive « venez comme vous êtes », quoiqu’un peu trop dilué (et pas que par la pluie). L’exercice était difficile, avec plein de figures imposées. Beaucoup de libres ont péché, mais globalement, le directeur artistique Thomas Jolly a réussi à en mettre plein la vue, surtout à ceux qui l’ont courte. 

Évacuons d’emblée, les extases wawa de la gauche culturelle et les cris d’orfraies de la droite outrée, la cérémonie n’était ni transcendante, ni sataniste. C’était tout simplement la parfaite illustration du goût petit-bourgeois de l’Empire occidental – ou plutôt d’une de ses dépendances jadis glorieuse – dans ce qui est probablement sa phase terminale (qui peut durer ad vitam, ceci dit). Exit le kitsch populo de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de Rugby 2023 qui avait fait grincer des dents dans les gazettes subventionnées avec sa France Amélie Poulain et son coq malappris. Le kitsch petit-bourgeois confine Amélie à quelques passages – notamment l’ouverture (mal) filmée très Jeunet avec Zidane en porteur de flamme qui tourneboule un café parisien (ou dionysien en l’occurrence). Le plus du style petit-bourgeois début XXIe est de saupoudrer de références au jugé, sans queue ni tête, à l’image de Marie-Antoinette tenant la sienne décollée, avant un joli zoom-arrière sur la Conciergerie. Le tableau, l’un des plus marquants, est dynamité par le métal, puissant et inédit en ces circonstances, de Gojira, dont les membres étaient habilement disposés sur la façade. La mezzo de Marina Viotti se mariait presque harmonieusement à l’ensemble sur un Ça ira conclu par des serpentins de sang, bel effet à l’écran, douteux sur le fond mais qu’importe. Il faut bien voir que Thomas Jolly ne réfléchit pas au sens de ce qu’il agence (il n’y en a manifestement pas) mais à l’impact visuel.

Jolly est au gothique ce que le comique troupier est au comique : du gothique troupier, accessible à tous.

La particularité de ce metteur en scène est d’œuvrer sur un théâtre de texte qu’il va infléchir du côté des images avec des scénographies riches en sons et lumières, accouchant ainsi de spectacles criards, pimpants et vides. Pour ce faire, un imaginaire gothique fantaisie, très burtonien, est souvent convié, notamment dans ses Shakespeare. La pauvre Marie-Antoinette devient ici le cavalier sans tête de Sleepy Hollow dont le cheval est prélevé et recyclé plus tard en monture métallique du porteur sans tête-Yamakasi, fil rouge du spectacle tout droit sorti du jeu vidéo Assassin’s Creed. Jolly est au gothique ce que le comique troupier est au comique : du gothique troupier, accessible à tous. Les racines chthoniennes du genre sont éliminées au karcher, ne reste qu’une surface présentable, même pas inquiétante qui fait d’une ancienne prison une maison de poupée.


Les grands récits étant morts, il faut accumuler les petits, les singularités, les miscellanées. La puissance est évacuée dans l’eau trouble de la Seine. Pour la première fois dans l’histoire des cérémonies olympiques, le corps des athlètes passe au second plan, même pas, au troisième, filmé de loin derrière le bastingage des vedettes et bateaux-mouches. L’inconvénient de ces corps en nos temps de furieuse égalité est qu’ils sont véritablement puissants et plutôt masculins (même les corps féminins). On les remplacera à l’écran par des danseurs attifés d’immondes fringues androgynes, corps intermittents du spectacle plus faillibles  et par les déclinaisons pratiquement infinies du peuple de l’alphabet LGBTQIA+.L’inclusion n’est plus que l’autre nom, désormais acceptable, du patronage. Le numéro d’Aya Nakamura sur fond d’Institut de France est à cet égard parfaitement néocolonial. Si l’on considère les paroles des tubes Pookie et Djajdja dans son medley additionné d’Aznavour, la chanteuse face ou contre la Garde républicaine devient une fille à soldats se défendant de son état et se faisant difficilement comprendre dans un sabir inaccessible à ses peut-être futurs clients. Pour ce qui est de l’empouvoirement, on repassera. Mais comme on l’a déjà dit, le sens n’a pas d’importance, il faut du symbole, des femmes puissantes invisibilisées jaillissant de colonnes phalliques pour la plus grande joie de téléspectateurs guatémaltèques ou qataris s’interrogeant sûrement sur nos curieuses coutumes du cru.

La laideur, Jolly l’a compris, est l’unificatrice par excellence.


Ces derniers – et pas que – ont échappé, censure d’Etat oblige, à tous les tableaux queer, le grotesque trio à la BnF inspiré du très surcoté Jules et Jim avec ses gandins maquillés et ses rapiéçages d’Arlequin, avant une partie à trois où on peine à imaginer la grue qui parviendra à obtenir de quiconque, fille incluse, une bandaison en bonne et due forme. La laideur, Jolly l’a compris, est l’unificatrice par excellence. Le tableau qui a fait le plus scandale – terme désormais impropre pour la fadeur transgressive généralisée – voit Katerine sur un lit de victuailles, déguisé en Schtroumpf-Dionysos dans son plus simple appareil (plus une guirlande de fleurs ajustée où il faut) se lancer dans un hymne de maternelle dernière section sur la nudité. Au Couvent des oiseaux, on criera au blasphème, mais la pseudo-Cène, plus une bacchanale statique, est filtrée ici par la représentation des orgies felliniennes du Satyricon et au second degré par leur parodie goscinnienne dans Astérix chez les Helvètes ; le festin de chair, quant à lui, renvoie à une splendide photo de Bernard Faucon où des mannequins vont se nourrir d’un adolescent vivant ou au repas final du film de Peter Greenaway, Le Cuisinier, le voleur, la femme et son amant.

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Ce spectacle pharaonique (130 millions) est vraiment écologique sur un point : toutes les références sont recyclées, c’est la Foir’fouille du cultureux en folie. Ce qui n’empêche pas l’émotion de poindre parfois, sans qu’on sache pourquoi. L’un des plus beaux exemples est le Jeux d’eau de Ravel interprété par Alexandre Kantorow sous une pluie battante qui clapotait sur son piano, poésie involontaire massacrée par les commentaires affligeants de Daphné Burki, dont on découvrait l’existence. Cette lamentable Princesse souris affublée d’un hideux bonnet de marin était à la fois la styliste de la chose et la commentatrice des efforts de la troupe. Sa voix pompeuse et pénétrée de Madame Verdurin faisant la leçon laissait parfois échapper des sanglots et des couinements retenus à grand mal. Elle gâchait à peu près tout ce qui tenait. Le summum fut atteint quand elle conclut une correcte interprétation d’Imagine par Juliette Armanet et Sofiane Pamart en qualifiant la chanson de John Lennon d’anticapitaliste, avec une gourmandise dans la voix, juste avant de s’extasier devant un costume conçu par Dior, son ancien employeur. L’autopromotion ne s’arrêtait pas là, puisque le tableau à la BnF montait fugacement un livre de Leila Slimani, co-autrice du scénario avec entre autres Patrick Boucheron, granthistorien officiel. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, ce que confirme le clip publicitaire pour Vuitton, généreux sponsor du spectacle, inséré dans la cérémonie.

Il faut voir la séquence comme un 100 mètres où après un mauvais départ, la chanteuse handicapée par une maladie neurologique incurable va se reprendre et se dépasser


Toutes ces critiques d’hélas peine-à-jouir (mais au moins n’est-on pas un gogo éjaculateur précoce) tombaient devant l’admirable pyrotechnie, le point d’excellence chez Jolly, qui culminait avec l’apparition de la vasque-montgolfière et son allumage par Marie-Josée Perec et Teddy Riner. Le plan très spielbergien de son envol (Rencontres du troisième type) n’empêchait pas son design de lorgner vers L’Oeil-ballon, célèbre dessin d’Odilon Redon. Une fois toutes les babioles sociétales laissées le long de la Seine (les drags, le climat, l’Histoire de France rose bonbon), on pouvait enfin admirer des athlètes à la retraite récente ou ancienne, dont l’émouvant Charles Costes, cycliste dernier médaillé olympique vivant en 1948 (quelqu’un pour prévenir les organisateurs qu’on ne laisse pas un centenaire en fauteuil sous une pluie battante sans parapluie ?)

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Ce retour des corps sportifs mènera au climax absolu de la Cérémonie d’ouverture : l’interprétation par Céline Dion de L’Hymne à l’amour sur la Tour Eiffel. Il faut voir la séquence comme un 100 mètres où après un mauvais départ, la chanteuse handicapée par une maladie neurologique incurable va se reprendre et se dépasser. Au bout de la ligne droite, le visage de l’interprète se décompose littéralement devant l’angoisse de la dernière strophe, comme si celle-ci était inatteignable, et que l’effort accompli jusque-là ne pouvait être soutenu plus longtemps. Un plan face caméra la montre soudain, immense professionnelle donnant tout ce qu’elle a, comme on dit vulgairement, et achevant sa performance sur une note parfaite. On regrette que la régie ait enchaîné sitôt la chanson achevée sur un plan lambda de Tour Eiffel illuminée, faute de goût et absence d’à-propos qui auront souvent marqué la réalisation.


Mais tout petit-bourgeois que soit le spectacle concocté par Jolly, Slimani et Cie, on appréciera le rire blixenien du Diable, ce Triomphe de la Volonté final qui d’un corps souffrant aura fait jaillir le plus bel exemple de transcendance sur ces rives-ci du Spectacle.

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