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Le père Christian Venard est prêtre au diocèse aux armées depuis 1997. Il tient un blog sans langue de bois et revient ici sur les racines du scandale Jean Vanier.
« Nombre d’icônes du catholicisme français des années 1980-2000 sont en passe toutes, d’être déboulonnées du piédestal sur lequel les avaient placés ceux-là mêmes qui aujourd’hui pleurent leurs errances », écrivez-vous à la suite des révélations faites au sujet de Jean Vanier. Quelle est la cause de tous ces abus sexuels ? Est-ce le fruit de l’esprit de mai 68 dans l’Église comme le soulignait encore récemment Benoît XVI ?
C’est un propos que l’on prête à Benoît XVI, mais qui est en partie erroné. Certains de ses opposants n’ont voulu retenir que cela, alors que sa pensée est, bien sûr, plus complexe. La cause première de tous ces abus remonte d’abord au péché originel, qui inscrit le mal dans le cœur de l’homme. On n’a pas attendu mai 68 pour savoir que l’homme était pécheur et capable de telles monstruosités. En revanche, ce qui est nouveau, c’est le contexte de « libération » sexuelle des années 60 et 70 qui a décuplé les possibilités d’un tel mal, en le banalisant et en le relativisant. L’Église est incarnée et ne vit pas hors du monde, il était donc logique que les chrétiens subissent aussi l’influence délétère de la révolution intellectuelle, morale et spirituelle qui a touché tout l’Occident et déstabilisé l’Église à travers ses membres, clercs ou laïcs.
« Il faut bien se remettre dans le contexte des terribles années de l’après-Concile, quand il était plus important pour les supérieurs de pourchasser les prêtres en soutane ou en clergyman, les réfractaires au grand n’importe quoi liturgique qui tenait lieu de messe, que de soutenir les fidèles dans la foi catholique et de réprimer les prêtres, religieux et autres figures charismatiques aux mœurs déviantes », dites-vous encore. Quel lien entre la crise de l’Église et les scandales sexuels ?
C’est d’abord une crise de l’autorité et des autorités. Quelqu’un avait remarquablement vu cela à l’époque, c’était Jean Madiran : il a été caricaturé et ostracisé par la suite ; mais quand on relit ses pages, on admire sa clairvoyance. On pourrait d’ailleurs citer ici nombre des collaborateurs de sa revue La Pensée catholique.
Les institutions pourrissent d’abord par la tête et c’est quand les autorités n’exercent plus les responsabilités qui leur ont été confiées que les choses commencent à vaciller dans l’Église.
Les institutions pourrissent d’abord par la tête et c’est quand les autorités n’exercent plus les responsabilités qui leur ont été confiées que les choses commencent à vaciller dans l’Église. Rappelons-nous que dans les années 70-80, il fallait parfois faire des kilomètres pour trouver une messe qui ressemble, à peu près, à ce qui était prévu par les normes liturgiques réformées. Guillaume Cuchet a très bien analysé cette déchristianisation dans son ouvrage Comment le monde a cessé d’être chrétien. Il faut avoir le courage des mots : dans ces années-là, tout ce qui était hétérodoxe avait pignon sur rue et trouvait, sinon le soutien, à tout le moins la passivité des évêques. Qu’on se rappelle aussi les romans de Michel de Saint-Pierre, notamment Les nouveaux prêtres, pour comprendre le climat de l’époque…
Des voix se sont élevées, certains s’appuyant sur la tradition liturgique de l’ancien missel, d’autres sur l’adoration eucharistique, les charismes et la louange, d’autres encore, comme le père Gouze, sur le chant grégorien et la tradition musicale de l’Orient chrétien. Ainsi, se sont créés des îlots qui résistaient à la décomposition ambiante du catholicisme français. Ceci a généré des situations où des personnalités courageuses et atypiques ont suscité des communautés nouvelles avec un vrai dynamisme missionnaire, tout en étant souvent livrées à elles-mêmes, hors de tout contrôle de la hiérarchie ecclésiale. C’est dans ce contexte que les abus de toute sorte ont été rendus plus faciles.
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À cela s’ajoute le rétrécissement sociologique du catholicisme français : le 1,5% de Français catholiques pratiquants sont aujourd’hui très marqués par un côté bourgeois, avec beaucoup d’entre-soi. De là naît à la fois une certaine mondanité, où l’on n’ose pas affirmer clairement la vérité, car elle remet en cause les liens sociaux tissés dans des petits cercles de respectabilité. On préfère alors la compromission en taisant les scandales. J’espère que cette époque est derrière nous, mais je rejoins le pape François, quand il dénonce la mondanité des clercs et des baptisés !
Déjà, saint Paul devait lutter contre ces tendances, certains s’écriant « Je suis de Paul », d’autres « Je suis d’Apollos »… Et l’Apôtre de rappeler qu’il n’y a plus ni juifs, ni païens, ni esclaves, ni maîtres dans la Foi en Jésus !
Sur ce terreau naît l’idolâtrie qui transforme rapidement quelqu’un en gourou aux yeux des fidèles. C’est une forme de paresse intellectuelle, de mondanité pusillanime, que de s’en remettre exclusivement à un homme, évêque, prêtre ou laïc, en canonisant ses écrits et en idolâtrant sa personne. Ce n’est pas faire preuve d’intelligence ou d’obéissance, c’est juste développer un esprit de chapelle, de clan, contraire à l’esprit de communauté chrétienne. Déjà, saint Paul devait lutter contre ces tendances, certains s’écriant « Je suis de Paul », d’autres « Je suis d’Apollos »… Et l’Apôtre de rappeler qu’il n’y a plus ni juifs, ni païens, ni esclaves, ni maîtres dans la Foi en Jésus !
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Vous dites aussi : « Ce n’est pas la trop grande sacralisation du clerc qui a été la source de ces déviances ; mais bien au contraire sa désacralisation, qui dérivait à la fois de la perte du sens du sacré dans le trésor le plus précieux de l’Église, sa sainte liturgie, et des mouvements idéologiques qui traversaient la société occidentale tout entière ». Pouvez-vous expliciter cela ?
La figure du prêtre a été désacralisée. Or, le peuple de Dieu a besoin de voir dans le prêtre, le signe de la présence vivante du Christ. Il y a dans le cœur des hommes une attente de cet ordre. Le prêtre sait bien lui-même qu’il est pécheur et qu’il sera toujours une image imparfaite du Christ. C’est une tension permanente, mais qui existe aussi pour chaque baptisé.
Lorsque l’on diminue la portée transcendante du témoignage que le prêtre doit porter du Royaume à venir, on ne voit plus la nécessité pour lui du célibat sacerdotal et l’on trouve normal qu’il ait une vie sexuelle.
À partir des années 50, on a voulu faire du prêtre – du baptisé aussi – un homme comme tout le monde, alors qu’il est mis à part pour conduire les hommes à Dieu. Lorsqu’on amoindrit la figure du prêtre, lorsque l’on diminue la portée transcendante du témoignage qu’il doit porter du Royaume à venir, on ne voit plus la nécessité pour lui du célibat sacerdotal et l’on trouve normal qu’il ait une vie sexuelle. C’est du relativisme ! Le fait de vouloir ouvrir le sacerdoce aux hommes mariés témoigne d’un manque de foi dans la beauté du sacerdoce. Je ne porte bien sûr aucun jugement sur la foi de ceux qui prônent une telle mesure, mais j’affirme que c’est un manque de confiance dans l’Unique Berger qui appelle toujours des âmes sacerdotales à Le suivre, dans un don radical de leur être.
De même, pendant des siècles, les curés étaient inamovibles, on ne pouvait les muter sans leur consentement, ce qui permettait au prêtre de se sentir vraiment responsable devant Dieu des paroissiens qui lui étaient confiés, comme le montre l’exemple du curé d’Ars. En fonctionnarisant les prêtres et en les mutant fréquemment, on a fait disparaître quelque chose de la beauté de cette relation, qui s’en est trouvée amoindrie. Cela a cassé quelque chose dans ce lien vertical entre Dieu, les prêtres et les paroissiens, même si cela n’empêche nullement de saints prêtres d’exercer un très beau ministère aujourd’hui encore.
Vous parlez enfin de la persistance d’un certain cléricalisme dans l’Église…
Il ne s’agit plus du cléricalisme ancien, par lequel le prêtre voulait régir la vie sociale des fidèles, et donnait son avis sur tous les sujets de société, du cinéma à la politique. Une telle époque est, heureusement, révolue. En revanche, j’appelle cléricalisme l’état d’esprit qui envisage les charges dans l’Église comme un pouvoir, non pas un service d’autorité mais une potestas que l’on s’arroge, dont on abuse et dont on fait sentir les effets sur les autres. Ceci est valable à tous les niveaux de la hiérarchie, de la Curie romaine, à l’évêque diocésain, à la responsable diocésaine de la pastorale ou celle qui fait les bouquets de fleurs dans l’église…
Ce qui devrait caractériser toute forme de responsabilité dans l’Église, c’est l’auctoritas, dont découlent des vertus.
Une telle situation, conjuguée à la désacralisation du clerc, peut conduire à des abus de pouvoir. Ce qui devrait caractériser toute forme de responsabilité dans l’Église, c’est l’auctoritas, dont découlent des vertus : le devoir d’exemplarité, la magnanimité paternelle, une certaine force qu’on appelle virilité (dont les hommes n’ont pas l’apanage), etc.
J’appelle à mes vœux une restauration de l’intelligence catholique (en commençant par un catéchisme digne de ce nom), afin de rétablir l’autonomie de la conscience, qui n’a pas à se soumettre sans discernement à n’importe qui, ou n’importe quoi, même et surtout, dans l’Église. Dans la crise de gouvernance que traverse aujourd’hui l’Église, nous aurions beaucoup à apprendre des communautés et ordres religieux anciens, dont les règles ont fait leur preuve pendant des siècles. Cela pourrait nous conduire à la vraie décléricalisation du pouvoir ecclésial et ce serait une forme de sagesse !
Propos recueillis par Benoît Dumoulin
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