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Rohingyas : lutte contre « l’islamisme » ou « génocide » ?

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Publié le

30 novembre 2018

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Présentés comme essentiellement victimes des persécutions de l’armée birmane, plusieurs centaines de milliers de Rohingyas musulmans vivent actuellement dans des camps de réfugiés au Bangladesh depuis 2017. Installé en Asie, Didier Treutenaere révèle dans un ouvrage les biais des médias occidentaux.

 

Qui sont les Rohingyas ? Oumma.com, premier site islamique francophone, a fréquemment insisté sur leur islamité, soulignant la mobilisation du « monde musulman » dans son ensemble à leur profit. Plusieurs auteurs ont quant à eux souligné la négation de l’identité des Rohingyas par l’État birman : je pense en particulier  au livre d’un certain « Habiburahman », rédigé par la journaliste Sophie Ansel, dont le titre est évocateur (Rohingya, tu n’existes pas !, aux éditions La Martinière). L’identité des Rohingyas est visiblement un enjeu, mais que cachent ces controverses ?

La question de l’identité des « Rohingyas » est fondamentale, au point que l’utilisation-même de cette étiquette fait l’objet d’un violent rejet de la part de la majorité de la population comme du gouvernement du Myanmar ; le moindre emploi de ce mot par des organes de l’ONU ou des diplomates étrangers fait l’objet de virulentes réactions. La raison, que la bien-pensance étrangère fait mine de ne pas comprendre, en est simple : le Myanmar, composé à 30 % d’une multitude (135) de minorités ethniques « de souche », ne peut refuser à ces ethnies une certaine autonomie (le degré d’autonomie étant au cœur du débat politique) sans prendre le risque d’une prolongation à l’infini des puissantes rébellions armées qui déchirent le pays depuis plus d’un demi-siècle ; si les « Rohingyas » étaient reconnus comme une ethnie de souche du Myanmar, ils pourraient prétendre à une autonomie de la zone où ils sont majoritaires, et y construire, c’est l’une de leurs revendications, un dar-al-islam, un « foyer islamique » homogène, débarrassé des « infidèles » et appliquant la loi coranique, la charia.

 

L’identité des Rohingyas est une construction récente. Didier Treutenaere

 

Nous pouvons récupérer le titre du livre que vous citez, et affirmer : oui, les « Rohingyas » n’existent pas ! Ils ne sont pas une ethnie de souche du Myanmar, mais une population allogène en provenance de la région bengalie de Chittagong, issue de l’immigration de masse mise en œuvre à partir des années 1850 par le colonisateur britannique (ses recensements décennaux en donnent la preuve incontestable). Les représentants de ces immigrés revendiquaient d’ailleurs le rattachement des districts qu’ils occupaient à l’Empire britannique, puis au Pakistan oriental devenu le Bangladesh ; durant la seconde guerre mondiale, enrôlés par les britanniques dans une milice, la Volunteer Force,  les Bengalis musulmans luttèrent contre les indépendantistes birmans (un temps alliés aux Japonais), procédant au passage à une féroce épuration ethnique et religieuse des zones sous leur contrôle. Leur projet de scission ayant échoué, ils se découvrirent soudain, au lendemain de l’indépendance birmane, en 1948, une identité propre et un nom.

 

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Sans l’histoire ou la géographie, la question « Rohingya » est incompréhensible : l’immigration bengalie musulmane ne concerne que les districts frontaliers de l’État Rakhine (l’ancien Arakan), une région excentrée mais d’un grand intérêt économique (ses réserves de gaz naturel, notamment, sont parmi les plus importantes du monde), géostratégique (son port en eau profonde, ses oléoducs et gazoducs permettent à la Chine un approvisionnement plus rapide et plus sûr) et identitaire (depuis huit siècles, sa frontière sépare le monde musulman du monde bouddhiste).

« La communauté internationale » fait donc preuve de fausse naïveté lorsqu’elle s’étonne du refus du Myanmar de composer avec sa minuscule minorité musulmane, omettant que la moyenne nationale de 5 % de musulmans devient 35 % dans l’État Rakhine et 80 % dans ses zones frontalières : accepter la reconnaissance des « Rohingyas » reviendrait à entériner (et à accentuer) un « grand remplacement » depuis l’origine refusé et combattu par les Arakanais et les Birmans.

 

Les Rohingyas sont instrumentalisés par une guérilla musulmane ayant ses bases au Bangladesh. Didier Treutenaere

 

Le gouvernement birman s’est récemment déclaré « prêt » à accueillir les Rohingyas, déplacés au Bangladesh voisin depuis l’été 2017. Le rapatriement, encadré par l’ONU, serait donc imminent et souhaité par le Myanmar d’Aung San Suu Kyi. Pourtant, de nombreuses ONG font part de « l’inquiétude » des populations, qui risqueraient toujours la persécution de milices et de l’armée birmanes. Le 24 octobre dernier, l’ONU a d’ailleurs maintenu ses accusations de « génocide » des Rohingyas par la bouche de l’Indonésien Marzuki Darusman. Difficile, dans ces conditions, de comprendre la cohérence des événements…

En novembre 2017, sous la pression internationale, et sans grand enthousiasme, le Myanmar a signé avec le Bangladesh un accord strictement bilatéral portant sur le retour des réfugiés ; sous la pression de l’ONU, la réticence du Myanmar à la participation d’organes extérieurs a été levée, l’appui du Haut-Commissariat pour les réfugiés et du Programme de développement des Nations Unies ayant été accepté en juin 2018. Le mécanisme consiste en un retour, planifié sur 2 ans, de 300 réfugiés par jour ; les retours sont volontaires et précédés de la preuve du fait que ces réfugiés résidaient bien auparavant au Myanmar et qu’ils ne figurent pas sur des listes d’insurgés ; le rythme lent et le passage préalable par des camps d’accueil et de transit permettrait un retour ordonné dans des lieux préalablement sécurisés et viabilisés par les autorités. 700 000 habitants des camps du Bangladesh et 100 000 déplacés des camps du Rakhine devraient être ainsi réinstallés.

 

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Les obstacles à ce retour sont multiples : le principal est l’exigence des leaders « rohingyas » et des agences de l’ONU de la reconnaissance préalable d’une « ethnie Rohingya » et de l’octroi d’une pleine citoyenneté jusqu’ici refusée ; un autre obstacle de taille naît de la propagande islamiste et de son écho dans les ONG sur la volonté « génocidaire » des Birmans, une propagande que viendrait infirmer la réinstallation ordonnée et paisible des premiers milliers de réfugiés ; les responsables des camps de réfugiés favorables aux opérations de retour sont d’ailleurs menacés ou assassinés par les islamistes. Nul doute que tous ceux qui ont intérêt à la déstabilisation du Rakhine et du Myanmar, et ils sont nombreux, ne laisseront pas s’amenuiser la masse des réfugiés qu’ils ont contribué à créer et qu’ils instrumentalisent si bien.

Une question plus fondamentale subsiste : celle de la possibilité d’un retour paisible et durable à la situation antérieure ; deux précédents échecs jettent un doute très sérieux sur cette « solution » : en 1978, la junte militaire du Général Ne Win lançait l’opération « Dragon royal » dans le nord de l’État Rakhine destinée, déjà, à éradiquer les guérillas qui, depuis leurs bases du Bangladesh et avec l’appui visible de ses autorités, combattaient pour la création d’une enclave musulmane autonome pour le « peuple Rohingya » ; mais aussi à opérer un « tri » entre les populations déjà présentes auparavant et les masses d’immigrants illégaux fuyant la misère et les terribles famines du Bangladesh ;  ce tri, mené sans ménagement, provoqua la fuite vers le pays voisin de plus de 200 000 musulmans ; la Birmanie et le Bangladesh étant parvenus à un accord sur le retour des réfugiés, 180 000 revinrent effectivement.

 

 

En 1991 et 1992, la multiplication des opérations de guérilla menées par la Rohingya Solidarity Organisation  contraignit le Myanmar à une nouvelle opération de contre-insurrection ; comme celle de 1978, elle avait pour objectifs de neutraliser les insurgés et d’expulser les immigrants illégaux ; et, comme elle, elle provoqua la fuite vers le Bangladesh de plus de 200 000 « Rohingyas » ; 150 000 réfugiés revinrent progressivement.

Les points communs entre les événements de 1978, 1991-1992, 2016-2017, sont évidents : une guérilla musulmane ayant ses bases au Bangladesh, accompagnée d’une pression démographique bengalie, provoque des réactions militaires massives et l’exode de centaines de milliers de villageois. L’existence de deux précédents catastrophiques sur le plan humanitaire renforce l’idée que les insurgés djihadistes de 2016-2017 devaient nécessairement s’attendre à une riposte de même ampleur que les précédentes ; tel était donc vraisemblablement leur objectif, avec l’avantage nouveau, compte tenu de la démocratisation du Myanmar, d’une médiatisation plus importante et de la garantie d’une ingérence onusienne.

De ces expériences passées une interrogation surgit : qu’est-ce qui permet de dire que la troisième opération de retour des Bengalis musulmans va, elle, réussir ? Et ne sera pas suivie dans quelques mois ou dans quelques années de nouveaux conflits ? Aucun des facteurs, aucun des intérêts ayant abouti à cette manipulation de provocation-répression n’a en effet disparu et ne disparaîtra comme par magie ; bien au contraire : le contentieux accumulé a radicalement accentué le rejet des « Rohingyas » par la grande majorité de la population.

 

Aung San Suu Kyi n’est pas prisonnière de la junte. Elle est attachée à l’identité de son pays. Didier Treutenaere

 

On se souvient des présentations médiatiques unanimistes d’Aung San Suu Kyi, des années 1990 jusqu’à ses victoires électorales des années 2010. Luc Besson a d’ailleurs consacré un film hagiographique en 2011, The Lady, à cette héroïne luttant pour les Droits de l’Homme, contre la junte de Naypyidaw… Mais les ONG semblent en train de faire volte-face. Depuis le 12 novembre, Aung San Suu Kyi n’est plus « l’ambassadrice de conscience » d’Amnesty International, qui met en cause sa politique à l’égard des Rohingyas. Comment expliquez-vous cette évolution des ONG, dont l’engagement semble largement dépasser les actions humanitaires de terrain ?

« La » communauté internationale a tenté d’ériger l’évolution du Myanmar en exemple, d’en faire un laboratoire de la philosophie, de la stratégie et des recettes « mondialistes ». Ce pays semblait un sujet idéal : près d’un demi-siècle de dictature militaire (1962-2011) ; deux révolutions écrasées (1988, 2007) ; un retour progressif à la démocratie sous l’effet d’une forte pression intérieure et extérieure (depuis 2011) ; une figure féminine charismatique  (Aung San Suu Kyi), modérée et « mondialisée » (prix Nobel de la Paix 1991) ; une élite que l’on pouvait estimer assoiffée de liberté et donc ouverte aux solutions démocratiques et libérales occidentales ; une population majoritairement bouddhiste et donc imaginée comme paisible, voire passive ; une mosaïque d’ethnies aux identités fortes semblant exiger des solutions multiculturalistes ; l’existence d’une minorité musulmane permettant de démontrer les vertus du « vivre ensemble » ; et enfin l’omniprésence des agences de l’ONU et des ONG.

 

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Ce qu’il faut bien appeler la hargne actuelle de l’ONU et des ONG à l’encontre du Gouvernement du Myanmar et d’Aung San Suu Kyi est à la hauteur de leur déception, de leur découverte du gouffre séparant les rêves idéologiques de la réalité : contrairement à ce qu’estiment les bien-pensants les moins vindicatifs qui l’imaginent otage d’un pouvoir militaire s’accrochant au passé, Aung San Suu Kyi est attachée à l’identité, à l’unité et à la souveraineté de son pays et n’accepte pas les ingérences qui les remettraient en cause. Et, massivement, la population ne supporte pas les donneurs de leçons occidentaux qui brillent par leurs réussites en Irak, en Libye, en Syrie et ailleurs ; ici aussi le moindre dérapage verbal des ONG ou des organes de l’ONU se traduit par de fortes réactions allant jusqu’à la limitation ou à l’interdiction de leur présence.

La focalisation sur le sort des « Rohingyas » déforme totalement la vision de « la » communauté internationale sur ce qui s’accomplit au Myanmar ; un seul exemple suffit : renouant avec le processus amorcé par son père (et qui lui coûta la vie), Aung San Suu Kyi est parvenue en 2015 à un accord général de cessez-le-feu avec les représentants de 8 rébellions ethniques, suivi en 2016 par une conférence durant laquelle 17 rébellions ethniques sur 21 s’engagèrent à poursuivre le dialogue. Cette réussite justifierait à elle-seule le prix Nobel que certains rêvent stupidement de lui retirer.

 

En Asie, le bouddhisme est souvent une force de défense de l’intégrité nationale, au cœur de la société. Didier Treutenaere

 

À vous lire, on comprend que des puissances islamiques étrangères à la région, à commencer par l’Arabie saoudite, utilisent la question des Rohingyas comme un outil géopolitique. Mais qu’en est-il des réactions locales ? On sait les tensions identitaires particulièrement fortes dans certains pays de la région, parfois mises en scène par les médias occidentaux. Le magazine Time consacrait ainsi dès juillet 2013 sa une au moine Ashin Wirathu, « The face of buddhist terror », présenté en 2017 dans la presse française comme le « Hitler birman »…

N’en déplaise à l’ONU et à son lobby de l’Organisation de la Coopération Islamique, il existe bien, au Myanmar comme dans d’autres régions d’Asie (Jammu-et-Cachemire indien, sud de la Thaïlande, sud des Philippines…), une stratégie djihadiste servant à la fois ses propre buts et divers intérêts bien moins religieux, géopolitiques ou économiques (en particulier américains) ; l’inversion des responsabilités, des rébellions « défendant les musulmans contre les exactions de l’armée » à la place de rébellions djihadistes terroristes lançant leur peuple dans des cycles de provocation-répression, est une fable propagandiste. Il existe également, au Myanmar et partout en Asie, une radicalisation grandissante des communautés musulmanes, abondamment financées et endoctrinées par les puissances musulmanes régionales (Malaisie, Pakistan…) ou étrangères (Arabie Saoudite…), qui se traduit par l’adoption de pratiques jusqu’ici inconnues, comme le port de vêtements venus d’Arabie ou, plus grave, l’excision des femmes.

 

 

Ici encore, la virulence des médias occidentaux contre les moines bouddhistes engagés dans un combat identitaire face à ces avancées agressives de l’islam est à la hauteur de leur déception : le moine, admiré lorsqu’il combat pour la démocratie ou lorsqu’il s’immole par le feu, est montré du doigt et au mieux qualifié de sectaire et de chauvin lorsqu’il prolonge son combat par la défense de l’identité et de l’intégrité de sa nation. Cette déception repose sur une vision erronée du bouddhisme en Occident : si le bouddhisme s’est déculturé pour mieux s’exporter, la situation est bien différente en Asie où le bouddhisme est intégré dans les cultures des civilisations et indissociable de leur identité ; lorsque l’intégrité ou l’identité d’une nation sont menacées, les bouddhistes ne peuvent pas se désintéresser de sa défense ; et les communautés monastiques, plus éduquées et plus organisées, se retrouvent nécessairement en première ligne.

 

Didier Treutenaere, Rohingyas, de la fable à la réalité, Soukha, 2018.

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