La Déclaration des droits de l’homme, en 1789,avait libéré la société de la religion. A partir de 1948, lors des grandes déclarations des droits d’après-guerre, une jurisprudence modérée avait prévalu, donnant des limites à la liberté d’expression, avec l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ( 1966 ) auquel s’ajoutait, dans un article 20, une restriction additionnelle interdisant « toute propagande en faveur de la guerre, tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui inciterait à la discrimination, l’hostilité ou la violence. » Recommandation était faite, également, aux Etats, de faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale, et de tenir compte du contexte social, ethnique ou religieux. Cette jurisprudence, respectueuse des « droits d’autrui », ne posa pas de problème majeur jusqu’au moment où des pays musulmans relancèrent le débat sur le blasphème. En même temps, on assistait, dans nos civilisations occidentales à ce que Grégor Puppinck appelle « la migration du sacré. »
Cette jurisprudence, respectueuse des « droits d’autrui », ne posa pas de problème majeur jusqu’au moment où des pays musulmans relancèrent le débat sur le blasphème. En même temps, on assistait, dans nos civilisations occidentales à ce que Grégor Puppinck appelle « la migration du sacré. »
A la fin des années 1990, l’Organisation de la Coopération islamique ( OCI ) tente d’introduire, dans le droit international, les notions nouvelles « d’islamophobie » puis de « diffamation de l’islam » et de « diffamation des religions». Le but est, conformément à la Déclaration des Droits de l’homme en islam,adoptée au Caire en 1990, de ne pas contrevenir à la loi islamique dont l’article 22 interdit de s’attaquer au sacré et à la dignité des prophètes. L’importance numérique des états membres de l’OCI permet l’adoption, par les Nations Unies et le Conseil des droits de l’homme, de résolutions condamnant la diffusion de « stéréotypes négatifs » afin de lutter contre le rejet de l’islam, après les attentats de New York, Madrid, et Londres. Deux mois après l’affaire des caricatures de Mahomet, en 2005, l’OCI insiste sur la responsabilité, dans cette lutte contre la diffamation des religions, sur la responsabilité des Etats.
Elle voudrait que les résolutions prises par la communauté internationale deviennent contraignantes : l’OCI se heurte alors aux gouvernements occidentaux. Après des débats, l’ONU rejette, finalement, en 2011, la notion de « diffamation des religions », avec l’adoption de la Résolution 16/18 du Conseil des Droits de l’homme, renvoyant à l’article 20 du Pacte de 1966. En janvier 2013, Le Haut Conseil des Nations Unies aux droits de l’Homme ( HCDH) adopte le Plan d’action de Rabat recommandant l’abolition des lois sur le blasphème. Le droit protège les personnes non les religions ou les croyances. La critique religieuse n’est pas assimilable à une critique raciale. Le droit à la liberté de religion et de conviction et le droit à la liberté d’opinion et d’expression sont intimement liés. La liberté d’expression ne peut être restreinte qu’en cas d’incitation à « la violence imminente. »
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Comment, dès lors, concilier la liberté d’expression avec d’autres droits de l’homme, dans des sociétés culturellement diverses ? La CEDH fait le choix, en 2017, de privilégier les « choix anticonformistes des personnes » dissociés du fait religieux, lequel cesse d'être une donnée sociologique. Dans le même temps, au sein même des sociétés occidentales, on assiste au retour d'une nouvelle forme de blasphème, avec l’interdit pesant sur tout ce qui porte atteinte aux « valeurs » libérales du vivre ensemble. Pour Grégor Puppinck, c’est le retour à ce que Mona Ozouf appelle, dans La Fête révolutionnaire, un « transfert de sacralité » : celui d’une sacralité, centrée sur la religion catholique, à une sacralité centrée sur une nouvelle religion, celle de la patrie. » On dirait maintenant : la République. De nouvelles valeurs apparaissent, à protéger absolument : celles d’égalité, de non discrimination et de diversité. Et cela, au prix de contradictions juridiques. Grégor Puppinck résume parfaitement les choses. « La Cour sanctionne les discours racistes, négationnistes, antisémites, homophobes, en raison de leur teneur (…) en l’absence même de victime directe. Plus encore, elle frappe ces discours, déclarés contraires aux « valeurs » de la Convention, d’une sorte d’excommunication, les privant ainsi de toute protection de la Cour européenne… Ces discours, jugés illégitimes, sont donc indéfendables, à l’inverse des discours antireligieux qui ont acquis une légitimité de principe (…) Or, il devrait être possible de pouvoir critiquer tout ce qui fait l’objet de choix humains. »
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