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Fruit pourri d’une révolte compréhensible contre la représentation techniquement parfaite du réel, l’art d’aujourd’hui a sombré, derrière ses discours savants, dans une simplicité redoutable qui tue l’esprit.
À l’origine de l’art contemporain, il y a la volonté – consciente ou non – d’augmenter l’esprit dans l’art, au détriment d’une forme dont il nous dit qu’elle en est l’habit superfétatoire. Poursuivant la représentation d’un idéal grec parvenu dans la peinture renaissante à son acmé, les beaux-arts ont franchi un point de non-retour après lequel la peinture, si elle s’acharnait dans la voie d’une imitation du réel sensible, ne pouvait plus aboutir qu’à la surreprésentation ; soit à la transgression totale du but que s’était imposé l’art – révéler la forme idéal du sensible – pour en devenir, par une transposition trop appuyée du monde et par un trop plein de virtuosité technique, la caricature.
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Nul ne s’émerveille de la ressemblance entre le Christ déposé au tombeau de Philippe de Champaigne et le corps qu’aurait vraiment eu le Messie ; au contraire, on est frappé par cette beauté qui nous impose l’idée de la mort, reflétée dans ce corps peint et à peine incliné dans la perspective. À l’inverse, l’art pompier, malgré ses prétentions idéalistes, n’est pas « beau », il se contente de « faire vrai ». Ayant épuisé toutes les ressources de la représentation, il s’essouffle de redoubler ses efforts dans sa direction… In cauda venemum, l’image « telle quelle » ne pouvait aboutir à autre chose qu’à sa propre fin.
Il suffit d’ailleurs de considérer les films sur lesquels on voit Picasso ou Pollock peindre, pour comprendre que la dextérité et la précision du trait précèdent le chaos des visages et l’embrouillamini des giclées.
En leur ordre, ils sont des classiques, des baroques, des antiques aussi, voire des néandertaliens, peut-être, comme Nicolas de Staël dont la peinture retourne vers la figure sous la lumière méridionale et dans ce sépulcre qu’elle n’a plus quitté depuis : son geste fut, avec celui de quelques autres, le dernier à marquer une véritable progression, au sens où Baudelaire l’entendait, une progression morale de l’art en direction de l’esprit. Et cette progression, c’était, par l’esprit, le retour à l’enfance, l’élan nietzschéen vers cette gratuité qui obligeait Picasso à tenter de peindre de nouveau à la façon dont un enfant dessine, l’esprit figurant moins l’intelligence raffinée et complexe que le souffle simple et originel grâce auquel la glaise s’anime.
La technique disparaît au profit de la production industrielle
En cela, l’art contemporain, s’il prend le pli de l’esprit parce que c’est selon lui le seul qui existe – aussi bien dans ses prétentions artistiques que dans sa forme spéculative qui lui permet d’être coté en bourse – ressemble plus à un pompiérisme de l’esprit qu’à son animation. Abandonnées, la dextérité et la nécessité du geste juste puisque n’importe désormais que l’interprétation de celui-ci. En fait, l’art contemporain prend l’esprit au pied de la lettre, et c’est à partir de cette lettre qu’il écrit son nom sans jamais se poser la question de sa grammaire. Il ne figure plus que la vénération idolâtre d’un esprit désaxé qui gagne en direction ce qu’il perd en force. Si bien que l’idée même d’une technique finit par disparaître au profit d’une production des œuvres calquée sur celle de la production industrielle.
On produit en série, comme si l’on voulait mettre en lumière le fantôme dans la machine et, en le mettant en lumière, l’isoler de telle façon qu’avec Descartes, on ne comprenne plus les liens subtils qui unissent le corps et l’esprit. Un homard en plastique, à Versailles, devient une interrogation sur la place de l’art, un plug géant, trônant au milieu de Vendôme, en vis-à-vis du ministère de la Justice, interroge sur… ? Bien sûr, on trouvera toujours matière à justifier après coup – quand on sait la réponse, facile d’inventer la question de manière à ce qu’elle colle idéalement – mais plus encore, l’esprit de l’art contemporain double toujours ses assertions : il radote et indique l’esprit en utilisant l’esprit. Il désigne l’évidence sans plus permettre aucune révélation particulière et équivoque. L’ambiguïté, la nuance, les interprétations, autant de notions qui augmentent la valeur d’une œuvre et qui disparaissent au profit de l’univocité, dans une sorte de réponse unique à un QCM. Il y a le message de l’œuvre et au-delà rien.
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On imagine les conséquences si l’art, sous sa forme contemporaine/conceptuelle, imposait à l’ensemble de l’intelligence ses règles et son mode de fonctionnement. Chaque découverte ne vaudrait et ne serait utilisée qu’en fonction d’un but précis, l’atome ne servirait alors qu’à chauffer ou à détruire, à la guerre ou au confort, mais jamais aux deux à la fois. On vivrait, au choix, dans le monde des bisounours ou dans celui du diable, pour le bien ou pour le mal, sans penser que l’un peut générer l’autre et que d’un mal, felix culpa, peut advenir un plus grand bien ou, horresco referens, que la volonté du bien annonce trop souvent l’empire du mal et qu’il règne avec plus de force quand on l’appelle celui du Bien. « Qui veut faire l’ange fait la bête », nous rappelle Pascal ; en d’autres termes l’esprit sans la lettre, ne donne pas plus d’esprit, mais plus, toujours plus, de lettre.
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