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Il est désormais habituel que des évènements géopolitiques soient reçus hystériquement en Occident. Les manifestations iraniennes n’échappent pas au phénomène, témoignant d’une ligne de fracture profonde. Et si l’on essayait de regarder les évènements sans biais idéologique ?
Comme à l’accoutumée, certains commentateurs prennent en otage les manifestants, y voyant des combattants laïques et progressistes en lutte contre une théocratie oppressante, quand les motivations des protestataires sont pourtant diverses. L’entêtement idéologique les aveugle, les empêche de saisir la complexité de l’Iran contemporain qui s’est déjà partiellement engagé sur la voie de la modernisation. On ne retient de l’Iran que l’eschatologie propre aux mollahs, leur volonté de conquête et les institutions uniques au monde qu’ils ont forgées. Les rossignols des carnages s’empressent de pousser à la révolution, excités par l’odeur du sang. Pourtant, un autre pays existe, qui se dévoile notamment dans le cinéma d’Abbas Kiarostami, beaucoup plus riche que ne le laissent parfois supposer les images qui filtrent à travers nos médias.
Un grand peuple tiraillé par des aspirations contradictoires
De l’autre côté, on s’attache à voir dans les protestations d’une partie de la jeunesse une simple manipulation du marionnettiste « atlanto-sioniste », comme si le système politique iranien était un régime idéal, une utopie consensuelle correspondant à l’être profond de son peuple. On nie aux Iraniens leur capacité à s’indigner sincèrement, à refuser les manifestations les plus étouffantes d’une oligarchie religieuse qui infantilise sa population. Il est vrai que les outrances verbales de l’administration Trump n’aident pas, montrant une Amérique adepte des changements brutaux, voulant que le monde islamique soit fait d’un bloc pour transposer la stratégie qui avait permis la chute de l’ex URSS, alors que les deux situations sont extrêmement différentes.
Reste, au milieu, un grand peuple tiraillé par des aspirations contradictoires, divisé en courants antagonistes à la manière de ce qu’on a pu constater en Turquie lors du dernier référendum gagné de justesse par Recept Tayyip Erdogan. Ali Vaezi de l’International Crisis Group déclarait à propos du mouvement spontané, né le le 27 décembre à Mashhad (deuxième ville du pays par le nombre d’habitants) : « Ce n’est ni une révolution ni un mouvement politique, mais plutôt l’explosion des frustrations sur la stagnation politique et économique que la population iranienne avait refoulées ». La hausse des prix des matières premières, les fermetures d’établissements bancaires, et, surtout, le budget de l’Etat voté par le Parlement en décembre ont fait exploser la colère populaire.
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C’est parce qu’Hassan Rohani a souhaité une plus grande transparence qu’il s’est exposé à la vindicte. Ainsi, en dévoilant les montants alloués pour les fondations religieuses, les centres de recherche, les institutions non-élues liées au régime ou les mouvements religieux étrangers, le président de l’Iran a ouvert la boîte de Pandore. Comment tolérer, quand on a les plus grandes peines à trouver de l’argent pour se nourrir, que le budget soit si généreux envers le clergé ? C’est cette injustice qui a poussé les Iraniens dans la rue.
Une opportunité politique pour Rohani ?
Au commencement, d’ailleurs, les tenants d’une ligne dure opposés à Rohani avaient assez bien accueilli le mouvement, avant que certains slogans ne dénoncent le guide suprême, ou, prenant des accents nationalistes, ne fustigent les sommes données aux Palestiniens ou au Hezbollah. Habile, Rohani a fait le dos rond, n’employant la violence d’Etat qu’avec prudence. Oh, bien sûr, l’Iran est un régime autoritaire qui n’hésite pas à bloquer la messagerie Telegram, mais le président Rohani a aussi rappelé que la population était « libre de critiquer le gouvernement et de manifester », gardant à l’esprit que l’emploi de la force brute l’exposerait aux critiques étrangères tout en radicalisant les oppositions internes.
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Du reste, sa patience paye. Les premières manifestations favorables au régime ont commencé à réunir des foules importantes. Ne l’oublions pas : Hassan Rohani a été élu avec une majorité confortable, sans qu’aucune fraude n’ait pu être constatée. L’Iran aurait d’immenses difficultés à se remettre d’une crise durable, ce dont la population a parfaitement conscience. En rêvant un peu, on peut s’autoriser à penser que ces manifestations inédites en Iran, très différentes de celles de l’année 2009, seraient susceptibles de constituer une opportunité politique pour le pondéré Hassan Rohani, en le conduisant à militer pour une réforme des institutions iraniennes, où les religieux disposent d’un trop grand pouvoir. L’Iran pourrait progressivement se transformer en une théocratie parlementaire semblable à ce qui prévaut en Grande-Bretagne, le guide suprême ayant moins de leviers d’action politique mais conservant un poids symbolique important dans les institutions. Et un jour, peut-être, devenir une République aconfessionnelle sur le modèle turc au terme d’un processus consensuel.
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