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Les faits divers sont révélateurs. Quand Le Parisien du 6 août 2018 consacre un article à « l’insoutenable lenteur administrative après l’accident mortel de son mari », accident survenu le 4 juin 2017, nous devons bien sûr être a ttentifs au drame d’une mère et de ses trois enfants, mais aussi au fait que l’inertie de l’administration en charge de l’enquête.
Un dysfonctionnement du service public à retardé l’indemnisation de manière inadmissible, augmentant ainsi la détresse de ces malheureux pour lesquels les fonctionnaires devraient au contraire agir vite et bien. Hélas, cette institutrice et ses enfants ne sont pas les seuls à pâtir de la lenteur d’une administration ou de la justice. Songeons par exemple aux enfants victimes de mauvais traitements parentaux, allant parfois jusqu’à l’inceste, dont la lenteur des procédures, préliminaires puis judiciaires, prolonge le martyr. Et n’oublions pas les dysfonctionnements, heureusement moins dramatiques, mais agaçants et parfois très gênants, qui font « poiroter » des dizaines de milliers de Français ou de visiteurs étrangers pour l’obtention d’un permis, d’une carte, ou de tout autre document officiel.
Au regard des impôts que nous payons, et des dettes que contractent l’Etat et la sécurité sociale, tout cela en principe pour financer des services publics rendant vraiment service à la population, la qualité disons très inégale des dits services publics incite vraiment à se demander si notre pays est convenablement gouverné et administré.
Le citoyen est aussi un client
Être Français, Allemand, Australien ou Japonais ne signifie pas seulement être prêt à donner s’il le faut sa vie pour sa patrie ; c’est aussi un ensemble de devoirs moins héroïques, comme de payer des impôts et des cotisations sociales, d’obéir à certaines règles, et de se comporter en toute circonstance de façon responsable et respectueuse du bien commun.
En contrepartie de ses devoirs, le citoyen a des droits : pouvoir compter sur des administrations efficaces et courtoises est l’un d’eux, particulièrement important. Dans le cas cité plus haut, cette citoyenne institutrice et mère de famille et ses enfants avaient le droit de disposer rapidement des résultats de l’enquête menée pour déterminer les circonstances et les causes de l’accident qui a coûté la vie à leur époux et père. La lenteur administrative qui entraîne de graves conséquences, comme la prolongation d’une très pénible ignorance et la gêne financière, devrait être sanctionnée, sauf si elle résulte d’un cas de force majeure, et des indemnisations pour les dommages infligés devraient être prévues.
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Les mots « client » et « fournisseur » ne résument évidemment pas, à eux seuls, ce que sont l’un pour l’autre un citoyen et une administration. Certaines administrations remplissent des fonctions régaliennes, ou quasi-régaliennes, qui relèvent d’une autre dimension. A l’époque où les jeunes Français étaient « appelés sous les drapeaux », ils ne constituaient pas des « fournisseurs » au sens classique du terme, même s’ils fournissaient bel et bien leur activité à l’armée et donc à leur patrie. De même, l’automobiliste qui roule autre part que sur une autoroute privatisée n’est-il pas complétement assimilable à un client de l’Etat ou de la collectivité territoriale chargée de cette voie de circulation. Néanmoins, le conscrit avait bien quelque chose d’un fournisseur de services, méritant à ce titre quelques récompenses ; et l’automobiliste est bien, dans un certain sens, le débiteur de l’institution publique dont relève la voie de circulation sur laquelle il roule : c’est pour cela, entre autres, qu’il contribue aux dépenses publiques.
En payant ses impôts, et particulièrement les taxes très conséquentes qui forment la plus grosse partie de la facture acquittée à chacun de ses passages à la pompe, l’automobiliste acquitte une sorte de droit de péage forfaitaire pour toutes les voies mises à sa disposition. Les administrations ne nous fournissent pas des services gratuits, nous les leur payons, soit de manière assez ciblée comme avec les taxes sur les produits pétroliers, soit de façon plus forfaitaire comme avec la TVA et l’impôt sur le revenu.
Dans les affaires publiques comme privées, le client doit être (raisonnablement) roi
Si la ponctualité est la politesse des rois, elle est aussi la qualité attendue de tous nos fournisseurs : le livreur de pizza, le plombier, la SNCF … et les administrations ! Quand les PTT en était une, ils avaient des clients : cela n’a pas attendu le passage aux entreprises Orange, La Poste et la Banque Postale. Et si les tribunaux ne sont pas destinés à fonctionner de manière commerciale, il n’en reste pas moins que les personnes physiques et morales qui s’adressent à eux pour obtenir justice – un bien dont l’importance, à l’instar de celle des traitements médicaux, se laisse oublier un peu au quotidien, mais apparaît avec force en certaines circonstances – en attendent un service prompt et de grande qualité.
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Les administrations doivent prendre des dispositions dans le sens « service du client ». Pour les justiciables, qui sont les clients de la justice, les délais sont excessivement longs : on se croirait revenu en 1950, à l’époque où il fallait attendre plus d’un an pour que vous soit livrée votre 2 CV Citroën ou 4 CV Renault. Mais la rapidité n’est pas tout ; la fiabilité, notamment, a une grande importance. Les hommes politiques et les hauts fonctionnaires nous rebattent les oreilles avec le passage à la numérisation et les merveilles qu’elle est censée accomplir ; mais trop souvent l’informatisation des services débouche sur des moutons à cinq pattes, dont voici quelques exemples : le logiciel de paie des armées (« Louvois ») ; celui qui fut élaboré pour la gestion des commandes passées par les administrations centrales (« Chorus ») ; celui créé pour être l’interface entre le RSI (Régime social des indépendants) et les chefs de petites entreprises ; ou encore, ces temps-ci, la « plateforme d’affectation » dite Parcoursup, qui ridiculise notre enseignement supérieur.
Comment rendre les administrations efficaces ?
Se plaindre d’avoir une administration courtelinesque est aisé ; proposer des réformes adéquates est une autre paire de manches. Mais un proverbe, fruit d’une longue observation, fournit une clé d’entrée : « le poisson pourrit par la tête ». Nos administrations sont malades, non pas exclusivement, mais principalement, parce qu’elles sont trop souvent dirigées – du ministre au chef de bureau – par des personnes qui n’ont pas les compétences requises.
Parmi les hommes politiques et hauts fonctionnaires, bon nombre se gargarisent de grands discours modernistes axés notamment sur les miracles de la numérisation, tarte à la crème des discours officiels. Surfer sur les thèmes à la mode peut servir à progresser dans sa carrière : c’est une des raisons pour lesquelles beaucoup d’administrations produisent à grands frais des services de qualité médiocre. Il faudrait avoir le courage (et les moyens juridiques) de sanctionner, y compris par un licenciement, certaines erreurs et certains manques de discernement dont les citoyens contribuables (et donc clients) n’ont pas à faire les frais. Là où le client est roi, ceux qui le servent mal ne sont pas à leur place, et la France ne disposera pas des administrations de grande qualité dont elle a le plus grand besoin tant que la réussite à un concours prestigieux, suivie par la constitution méthodique d’un gros carnet de relations utiles, comptera plus que la compétence dans la nomination à des postes où il faudrait de vrais chefs, compétents humainement et techniquement, et capables de réfléchir par eux-mêmes.
Comment nos ministres sont-ils choisis ? Le plus souvent pour une raison politicienne : il faut donner un os à ronger à telle composante de la majorité, voire essayer de créer une scission dans une composante de l’opposition en jouant sur l’attrait du maroquin pour « débaucher » une de ses personnalités. Pour nous limiter à un quinquennat, prenons par exemple celui de Nicolas Sarkozy, durant lequel seulement deux nominations paraissent avoir eu cette caractéristiques : le choix d’Eric Besson, ex secrétaire national à l’économie du PS, comme secrétaire d’Etat à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques, puis ministre du développement de l’économie numérique, et enfin de l’immigration et de l’intégration ; et celui de Jean-Pierre Jouyet, qui avait été membre du cabinet de Jacques Delors, puis directeur adjoint du cabinet de Lionnel Jospin à Matignon, comme secrétaire d’Etat aux affaires européennes puis secrétaire général de la présidence de la République. Si l’on passait au quinquennat actuel, nettement plus de deux « débauchages » pourraient être listés.
Bien entendu, les choix de ministres appartenant à la majorité relèvent eux aussi, dans un bon nombre de cas, de calculs politiciens qui ne débouchent pas nécessairement sur de bonnes performances du point de vue de la direction des services, et donc de l’efficacité de ceux-ci. Mutatis mutandis, il en va de même pour les nominations des directeurs d’administrations centrales et des chefs de service : l’action gouvernementale n’est pas conçue comme devant être centrée sur la compétence, la performance et l’amour du travail bien fait. Il est impératif, pour rendre les administrations plus efficaces, de mettre à leur tête des hommes et des femmes ayant d’excellentes qualités de managers, de meneurs d’hommes, et un grand souci du service rendu au public. Si l’impulsion ne vient pas des ministres et des directeurs d’administration centrale, « les services », comme on dit, ne se mettront pas suffisamment « au service » de la population, et le client-citoyen n’en aura ni pour son argent ni, ce qui est encore plus important, pour son désir de pouvoir être fier d’être Français.
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