Ce petit livre se présente comme le récit d’un itinéraire intellectuel mais, comme l’indique Chantal Delsol en préface, il est bien plus : la peinture d’une âme. Pierre Magnard est un homme en porte-à-faux de son époque. Né au Maroc, amoureux de la France, il découvrit adolescent un pays en plein reniement. De même, hanté par la question du sens à l’ère du nihilisme triomphant, il fut, avec Jean-François Mattei, Pierre Boutang et quelques autres, un adversaire radical de ce nihilisme sophistiqué porté par Deleuze, Bourdieu, Foucault et Derrida qu’il eut pour condisciples ou collègues. Ce récit est aussi celui de grandes rencontres : celles de Jean Beaufret, son professeur de philosophie à Henri IV, de Heidegger, Plotin, Montaigne, de Pascal enfin à qui il consacra un maître ouvrage.
Pour une jeune collaboration, votre complicité musicale est étonnamment affirmée. Qu’avez-vous trouvé l’un chez l’autre ?
Gabriel Bismut : L’intérêt pour les mélodies et le respect des compositions. Ce n’est pas souvent le cas en jazz. Maurizio avait cette générosité, cet égard pour la beauté d’une mélodie. Ça m’a touché et mis en confiance, en plus de sa carrière bien fournie. La première fois qu’il m’a proposé une session, c’était sans but précis, mais assurément pour « faire de l’original ».
Maurizio Minardi : J’ai d’abord trouvé chez Gabriel un sens de la mélodie qui me rappelle Ennio Morricone. Puis il y a chez lui beaucoup d’écoute et d’interaction. Et sa part d’improvisation est énorme ! Tulipano Nero est un morceau que j’ai composé il y a 25 ans. La structure est restée la même, mais Gabriel a enlevé le morceau avec une énergie et une manière que j’adore. Ce n’est plus tout à fait le même morceau. Et il pallie, au violon, l’absence de batterie. On se répartit tour à tour la polyrythmie, c’est central dans notre quartet. [...]
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Il a beau débuter sa carrière de cinéaste en plein Nouvel Hollywood, son premier film, Un frisson dans la nuit (1971), qui sort deux ans après Easy Rider, ne brille pas par son désir de faire moderne. Au contraire, et ses films suivants le confirmeront : Clint Eastwood se veut un auteur classique, le dernier héritier de l’âge d’or d’Hollywood, le fiston d’Howard Hawks et de John Ford, et ce même si ses maîtres furent Don Siegel et Sergio Leone. Son style connut bien quelques escapades baroques (L’Homme des hautes plaines, 1973 ; Pale rider, 1985 ; ou Minuit dans le jardin du bien et du mal, 1997), on ne se débarrasse pas de la trilogie des dollars si facilement, Eastwood est toujours franc et frontal quand il filme. Chez lui, les caméras ne gigotent pas « pour faire vrai », ni ne s’élèvent au bout d’une grue pour « faire riche ». Sa mise en scène, discrète, est au service de l’histoire. Seule la véracité de sa narration et de ses personnages lui importe. Une main qui agrippe une portière dans Sur la route de Madison (1995) ou un simple champ-contrechamp d’un gamin dans un hélico et du dormeur « étendu dans l’herbe où la lumière pleut » dans Un Monde Parfait (1993), lui suffisent, Eastwood n’a besoin de rien de plus pour radiographier l’âme humaine. [...]
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Tout a débuté en 1998 avec la sortie du premier album de Basic Celtos, un groupe de RIF (Rock Identitaire Français) qui avait eu l’idée astucieuse de mélanger des rythmes hip hop avec de la musique celtique. Par la suite, une poignée de militants identitaires blancs se sont engouffrés dans la brèche avec plus ou moins de succès. Au départ, l’idée était plutôt louable : noyés dans un océan d’individualisme exacerbé, de libéralisme cynique et d’islamogauchisme, les rappeurs d’ultra-droite avaient toutes les cartes en main pour régénérer un style et après tout, le rap pouvait se montrer un moyen efficace pour faire passer des messages politiques auprès de la jeunesse.
Little Zombies est votre premier long-métrage. Le projet fut-il facile à monter étant donné votre ambition parfois démesurée ?
Je ne vous cacherai pas que le tournage fut difficile, mais il fut surtout amusant, excitant, sans que j’aie à faire aucune concession. Je pense que le point crucial a été d’avoir avec moi une équipe dont le regard était dirigé dans la même direction que le mien. Certes, les producteurs avaient des raisons de s’inquiéter, mais j’ai pu mettre à profit mes dix années de travail dans la publicité pour leur présenter des prévisions rassurantes et leur expliquer la valeur intrinsèque d’un film comme celui-ci. Financièrement, nous avons touché le fond en cours de projet, mais j’ai obtenu la permission de mettre le tournage en pause et de partir moi-même à la recherche d’argent.
Quel a été le déclic qui vous a donné l’envie d’écrire ce scénario où sont traités tellement de grands thèmes, de l’enfance aux chansons populaires ?
Je crois que tout a commencé lorsque j’ai appris l’existence du « Blue whale challenge », un « jeu » de défis sur internet qui a poussé plusieurs adolescents russes au suicide. Par le passé, comme mon personnage, j’ai été moi aussi victime de harcèlement scolaire, et j’en ai tiré une méthode pour apprendre à l’affronter. J’ai ensuite conçu ce film dans l’espoir de faire passer un message à ce sujet. On trouve dans le récit de mon film de nombreux éléments venant de ma propre histoire. J’ai aussi tenté d’y montrer la vanité de notre société et de notre modèle économique que j’ai pu observer durant la dizaine d’années au cours desquelles j’ai travaillé dans la publicité. [...]
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Notre dossier avait bien pour vocation d’engager une réflexion polémique sur le nouveau genre dominant du village global : le rap. Certains nous applaudirent dès la couverture, d’autres nous conchièrent sans nous avoir lus. On nous traita de bourgeois pour ne pas s’extasier devant Booba. Il y a sans doute des bourgeois à L’Incorrect, ou qui seraient assimilés comme tels, comme sont représentées bien d’autres réalités sociologiques, mais il se trouve que les journalistes qui ont réalisé ce beau dossier ne coïncident pas franchement avec l’archétype. En outre, on voit bien la dialectique primaire à l’œuvre derrière l’épithète : le rap est la musique des « quartiers », des pauvres, la critiquer signifie forcément qu’on se trouve dans la classe adverse, du moins selon le schéma binaire des marxistes. Mais c’est encore ne nous avoir pas lus, puisque nous disons précisément que le rap est aujourd’hui la musique de tout le monde, des bourgeois blancs y compris, voire même de certains nationalistes ou identitaires européens (cf. le papier de Mathieu Bollon). Nous ne nous sommes donc jamais situés sur ce plan.
Simplement, nous nous foutons des exceptions, l’angle de notre dossier était d’analyser un phénomène général, et qu’il y ait quelques individus réellement talentueux ou doués d’une intelligence normale ne change rien à notre constat sur la moyenne, et sur la moyenne émergeante
Enfin, beaucoup y sont allés de leurs exemples de rappeurs témoignant une réelle maîtrise de notre langue et que si nous nous y connaissions, nous serions au courant. Outre que leur liste dépasse rarement trois ou quatre noms, toujours les mêmes, et que nous connaissions, notre dossier ne nie pas cette possibilité, et Ralph Müller, que nous avons interviewé, cite lui-même les quelques rappeurs pour lesquels il conserve une estime, simplement, nous nous foutons des exceptions, l’angle de notre dossier était d’analyser un phénomène général, et qu’il y ait quelques individus réellement talentueux ou doués d’une intelligence normale ne change rien à notre constat sur la moyenne, et sur la moyenne émergeante (pas les deux trucs indés pour mélomanes qui n’entraient pas dans le cadre de notre propos). Bref, tel fut notre angle d’attaque : une mise en perspective d’un genre saisi dans son histoire et sa globalité les plus manifestes pour en ébaucher une critique socio-esthétique.
LA PHILOSOPHE DU RAP
En réponse, dans Marianne, Kévin Boucaud-Victoire interviewe Benjamine Weill afin de défendre l’honneur du rap. Bien : nous sommes tout ouïe. Formée en philosophie, cette jeuniste exaltée a rédigé un livre à la gloire du rap et s’était déjà longuement exprimée sur Alohanews pour évoquer le sexisme du milieu : un petit morceau d’anthologie où, à l’instar d’un sociologue de gauche, l’experte ès hip hop joue sur la permanente confusion des registres et un glissement insidieux tout au long de sa démonstration pour réussir à caler la réalité récalcitrante sur son mantra idéologique. Non, le rap n’est pas sexiste, et quand il l’est, ce n’est pas lui qui l’est, mais l’Occident monothéiste qui le vampirise à son insu, parce qu’on sait bien que l’Occident monothéiste est manichéen donc sexiste, CQFD. Il y aurait trop à dire sur cet invraisemblable tour de passe-passe (il n’y a pas que l’Occident qui soit monothéiste, et ce qui caractérise le catholicisme est son opposition au manichéisme, par ailleurs, les centaines de concubines des empereurs chinois auraient eu à redire sur l’égalité des sexes) – quoi qu’il en soit, c’est cette spécialiste qui vient désormais éclairer nos consciences rapophobes.
Mon nom était écrit sur l’eau d’Olivier Bleys, Denoël, 239 p., 19 €
En 1969, le grand événement est l’alunissage prévu par Apollo 11. Les Spautz viennent d’acquérir un téléviseur pour assister à l’évènement. Le père est catégorique, l’appareil dont l’écran sera retourné contre le mur deviendra un meuble comme un autre après le spectacle. Or, ce soir-là, le destin de cette famille luxembourgeoise va basculer d’une façon à la fois loufoque et dramatique, reléguant les nouveautés du jour au second plan. Le patriarche autoritaire, désormais handicapé, tient à faire de son fils Gabriel le futur dirigeant de l’agence Lumière de l’Est, l’entreprise de pompes funèbres qui fait sa fierté. Évidemment, le jeune Gabriel n’a pas la vocation et devra lutter contre ses propres démons pour tenir – trahir ou s’aligner ? En bout de course, quelques rebondissements bien vus vont venir semer le trouble. Un petit roman au héros charmant, riche en anecdotes amusantes et en faux-semblants, comme une fable initiatique enjouée autour du monde funéraire et des questions d’héritage. Alain Leroy[...]
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Le livre qui a fondé le genre, le Guerre et Paix du cyberpunk, c’est bien sûr Neuromancien : tout Gibson est déjà là, et avec lui toute l’essence du mouvement. La célèbre phrase d’ouverture annonce le ton : « Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service ». Gibson emprunte autant à la beat generation qu’à sa propre expérience d’informaticien et modèle un futur à la fois dystopique et réaliste, dans une langue poétique hantée par l’électricité et la théorie des flux. Gibson invente carrément la notion de « matrice » et met le hacker au centre de la contre-culture, prophétisant les Anonymous et autres lanceurs d’alerte harcelés par les services de renseignement. Mené à un rythme ébouriffant, bourré d’inventions et de dialogues truculents, ce livre n’a rien perdu de son mordant et a même gagné avec les années une patine délicieusement synthwave.
Dr Adder, de K.W Jeter
Sans doute le roman le plus fou et le plus désespéré de cette sélection : interdit de publication pendant dix ans puis sorti quelques mois avant Neuromancien, Dr Adder est le premier roman d’un parfait inconnu, encore étudiant, mais il fait l’effet d’une bombe à fragmentation : K.W Jeter, 22 ans à peine, déglingue déjà tous les poncifs du style et fait le portrait d’une Californie au bord du précipice, ultra violente et nihiliste, tout en fusillant au passage ses propres idoles – Philip K. Dick se paye même le luxe d’une apparition sous les traits d’un animateur radio libidineux. Le Dr Adder du titre, c’est un chirurgien fou qui mutile et opère des prostituées pour les accorder aux fantasmes de leurs clients, et autour duquel gravite toute une faune hallucinée : gamins-snipers, poulets aux hormones doués de compassion, télévangélistes allumés, l’univers de Jeter reste malgré tout furieusement cohérent et d’une noirceur inégalée à ce jour. Ici, l’argument scientifique s’en tient au théâtre de la cruauté et on est plus proche d’un Burroughs connecté que d’un Gibson. Essentiel et intolérable à la fois.
Écrit en 1969, le roman-fleuve du britannique John Brunner obtient immédiatement le prestigieux prix Hugo et suscite une lame de fond dans le petit monde de la SF : bien avant l’apparition à proprement parler du mouvement cyberpunk, Brunner en pose les bases avec une description captivante et tout à à fait probable de l’avenir de nos sociétés : surpopulation, médiacratie, eugénisme et intelligence artificielle, tout est déjà là dans ce roman-choral où les destins de quelques outcasts se croisent jusqu’à la déflagration finale. Une œuvre-somme, prophétique, ultra ambitieuse, et qui eut le mérite de mettre un terme à toute la SF un peu datée des années 60 – si l’on excepte le grand Dick.
Mozart en verres miroirs,de Bruce Sterling
Une excellente anthologie de nouvelles qui montre bien toute l’étendue du mouvement cyberpunk, thématiquement ou stylistiquement. Les stars du genre (Gibson, Pat Cadigan, Bruce Sterling…) y croisent des plumes un peu oubliées mais tout aussi recommandables : on citera le mathématicien Rudy Rucker qui brode une étrange fantaisie métaphysique autour de la vie d’Houdini, John Shirley qui dépeint dans Freezone toutes les dérives du communautarisme ou encore l’excellente nouvelle Solstice de James Kelly qui prophétise la culture des rave parties et l’usage récréatif des drogues de synthèse par toute une jeunesse un peu trop dans le vent. Pas tant cyberpunk que « neuromantiques », comme le dit Sterling dans la préface, ces nouvelles donnent un excellent instantané de l’état d’esprit qui animait alors les écrivains de SF, entre célébration futuriste et inquiétude viscérale.
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