Le premier prix Jean-René Huguenin a été décerné vendredi soir à l’Hôtel littéraire Swann, rue de Constantinople, sur les hauteurs de Saint-Lazare. Le jury est dirigé par Maxime Dalle, directeur de la revue littéraire Raskar Kapac, qui ne cache pas son intérêt pour tout ce que la littérature compte d’incendiaire, de mousquetaire et d’oublié. Pas étonnant que ce prix honore donc le souvenir d’Huguenin, météore de l’après-guerre, écrivain mort à vingt-six ans dans un accident de la route en septembre 1962, une semaine avant Nimier d’ailleurs, cruelle coïncidence. De sa courte vie, Huguenin n’a laissé qu’un roman doux et torturé, La Côte sauvage. Sans imagination, on pourrait dire que voilà un destin bien hussard, et il vrai que le jeune homme ne cachait pas ses sympathies droitières et avait collaboré à plusieurs revues dirigées par Nimier, Blondin and co. Bref, chacun aura compris que le prix Jean-René Huguenin ne se déroule pas exactement dans une ambiance France Inter.…
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Yannick Haenel a toujours défendu une vision sacerdotale de la littérature, attribuant à cet art une perspective métaphysique, et cela autant au sein de la revue Ligne de risque qu’il a fondée en 1997 avec François Meyronnis, que dans ses premiers romans, tous chargés d’épiphanies, de révolutions intérieures, de dérives lumineuses, comme Cercle, qui le fit connaître en 2007. Se réclamant des romantiques allemands et des surréalistes, d’Artaud, Bataille et Lamarche-Vadel, Haenel descend aussi de Chrétien de Troyes et des premiers romanciers français multipliant les quêtes, les merveilles, la tension érotique et les apparitions, thèmes qu’il parvient à rejouer dans l’espace le plus contemporain qui soit, comme dans ce Trésorier-payeur, où notre écrivain s’intéresse à l’univers qu’on penserait le plus opposé possible à son imaginaire. Une gageüre remarquable, donc, que l’auteur s’est mis en tête de relever après s’être lui-même confié au hasard.
Un beau dispositif
Dans la première partie du livre, Haenel rapporte sa participation à une exposition, en avril 2015, organisée dans les locaux de l’ancienne Banque de France à Béthune, transformée depuis en centre d’art, et que la nouvelle directrice des lieux voulait consacrer à la notion de dépense chez Bataille, histoire que la mue s’opère au sein d’une cohérence ironique. C’est à cette occasion que l’écrivain se passionne pour un ancien employé qui aurait été surnommé « le trésorier-payeur », et qu’il lui consacre une salle en la meublant d’un grand désordre et de quelques fétiches. [...]
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Il y a eu Claude Sautet pour parler de Romy Schneider, il y a eu Hervé Guibert pour parler d’Isabelle Adjani, il y a eu Gérard Depardieu pour parler de Catherine Deneuve et il y aura eu, enfin, Pascal Louvrier pour parler de Fanny Ardant dans Une femme amoureuse.
L’auteur précise que ce n’est point une biographie, mais un roman, car Fanny est un personnage romanesque. L’on dirait même que l’ouvrage est un long poème épique et que Fanny en est la muse, obsédante, féérique, à la croisée des chemins entre cette apparition qui hante le poète chez de Cool, la Belle dame sans merci de Keats et l’ange qui embrasse l’artiste chez Cézanne. En entamant un verre de rouge, accompagné de la chanson Amoureuse de Véronique Sanson, chantée en duo avec Fanny Ardant, l’auteur se livre à l’inspiration qui noircit les pages. On l’imagine écrire avec tant de facilité, cet auteur qui devine tout de Fanny, car elle se trouve près de lui. Par le biais de lettres ou à coups de rendez-vous, la découverte de cette femme se fait petit-à-petit, sur le temps long. D’abord parce qu’elle est férocement pudique (un ravissant paradoxe), ensuite parce qu’elle sait très bien garder le mystère, cet attribut un peu flou dont se réclament toutes les femmes et qui échouent presque toutes à s’en revêtir. C’est qu’il leur manque la discrétion, la vraie, celle qui fait rougir, et le rougissement ne se simule pas.
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La Femme amoureuse, certes, mais on aurait pu l’appeler La Femme tout court, et Pascal Louvrier en fait l’éloge comme Guillaume de Lorris parle de sa rose. L’auteur brosse le portrait de Fanny comme un poète et l’ode commence par un blason. Des phrases qui s’enchaînent glorifient cette partie de Fanny qui touche à la fois son corps et parle de son esprit : sa voix. On entendrait presque Louvrier déclamer « la voix dans la nuit, c’était vous ! », et oui, c’était elle, sa voix fournaise : « le feu qui couve, la flamme qui jaillit, l’embrasement qui consume ». Lorsqu’elle parle, Fanny Ardant a tout d’une fiévreuse : « Elle détache les mots, puis retient une syllabe au fond de la gorge, accélère sur le suivant, bouscule l’autre, avec une pointe de raucité, un mot encore étiré, soupiré, puis absorbé par la fièvre de la passion ». Sainte Thérèse de Lisieux alitée se serait bien saisie de cette frénésie, mais il lui manquait la brûlure dans la chair et Fanny en a souffert, elle. [...]
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Il sera une fois la DéMo, la démocratie mondiale. Tout ne sera plus que paix, clonage, productivité et divertissement. Libérés de différents soucis, comme se reproduire, avoir des convictions et penser, la posthumanité vivra un rêve éveillé : programmés avant leur naissance, accouchés depuis des utérus artificiels, assistés en permanence, euthanasiés à point et compostés responsablement, les posthumains connaîtront enfin le paradis terrestre où toute douleur peut être effacée des mémoires et où le métavers permet toutes les rencontres et toutes les fusions.
Mais dans la pièce de Fabrice Hadjadj, Jeanne et les posthumains, tout se détraque ! Voilà qu’une jeune femme, Joan 304, employée chez ArkMarket, a conçu naturellement, horresco referens ! un enfant, avec l’aide prétendument involontaire d’un homme, le tout sur les conseils d’un « ange ». Comment diable cette caissière (excellemment interprétée par Jeanne Chauvin), conçue pour être servile, a-t-elle pu ainsi contester son déterminisme, affirmer l’animalité de l’humanité, prétendre qu’un monde spirituel existe objectivement et même qu’un humain peut exister sans être assigné à une tâche utile ?
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Il faut juger Joan d’Ark, lui faire avouer son crime, lui faire comprendre que son ange n’est qu’une manifestation d’un trouble psychique ou la preuve d’une manipulation sophistiquée par les ennemis de la démocratie, il faut qu’elle consente à renoncer à elle-même. Nous assistons aux interrogatoires de Joan 304, plus feutrés que ceux que subit Jeanne d’Arc mais non moins hargneux : Vito 633 et Corolla 47 sont tout à la fois intrigués, inquiets et furieux (les acteurs réussissent parfaitement à être tout à la fois tendus par l’épreuve et conformes à l’autorité bénigne qu’ils représentent). Ils veulent que Jeanne rentre dans le rang. Qu’ils l’accusent d’être folle (Vito) ou complice malgré elle d’ennemis inconnus (Corolla), la démarche est la même : elle doit abjurer, reconnaître que ce qui la meut est un mensonge, elle doit abdiquer sa volonté et sa liberté pour réintégrer la loi commune, celle du marché qui a réglé le monde comme on organise une usine. [...]
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L’Incorrect numéro 73
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