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La petite cuisine des « woke »

Ce sera l’un des grands sujets politiques de l’époque qui s’ouvre. Alors qu’elle secoue le monde anglo-saxon, l’idéologie woke a pénétré pour de bon en Europe, sous l’action de la gauche radicale. « Il faut effectuer un travail d’hygiène intellectuelle pour décrypter tous ces concepts que l’on nous inflige avant que la classe médiatique ne les normalise » nous conseillait Mathieu Bock-Côté en juin dernier, de son poste québécois de sentinelle.

C’est à cette tâche que s’est attelée la Fondapol – Fondation pour l'innovation politique, think-tank « libéral, progressiste et européen » dirigé par le politologue Dominique Reynié – en publiant il y a quelques jours un rapport tout à fait éclairant sur les ressorts idéologiques du wokisme et son influence concrète sur le corps social. Brossant un tableau complet des problématiques en jeu, ce travail de grande qualité a été rédigé par Pierre Valentin, étudiant en master science politique à l'université Paris-2 Panthéon-Assas et diplômé en philosophie et politique de l'université d’Exeter.

Faisant du principe diversitaire l’horizon du politique et érigeant la victimisation en ressort de mobilisation, l’idéologie woke n’est mûe que par la pulsion purement négative de destruction de l’ordre existant et de ses groupes dominants, à savoir l’homme blanc-hétérosexuel-valide

Sa conclusion est très nette : faisant du principe diversitaire l’horizon du politique et érigeant la victimisation en ressort de mobilisation, l’idéologie woke n’est mûe que par la pulsion purement négative de destruction de l’ordre existant et de ses groupes dominants, à savoir l’homme blanc-hétérosexuel-valide occidental. « Si l’on peut croire que le wokisme s’attache à chérir les minorités en tant que telles, […] l’Autre n’est chéri qu’en tant qu’il est utile à déconstruire, non en soi. D’ailleurs, s’il refuse ce rôle destructeur, il se verra lui aussi diabolisé, signe de son rôle purement instrumental dans le logiciel woke » conclut l’auteur.

Le wokisme, dernier avatar du postmodernisme

Auto-appellation née dans la communauté afro-américaine, « être woke » signifie être « éveillé aux injustices que subissent les minorités dans les pays occidentaux », à l’opposé des masses inertes qui, non éduquées aux injustices sociales, ne seraient pas capables de discerner le racisme, sexisme et autre validisme à l’œuvre systématiquement dans nos sociétés.

Appuyé sur les travaux d’Helen Pluckrose et James Lindsay, le rapport trace une droite ligne entre wokisme et postmodernisme. Refusant l’existence même de la scientificité et de l’objectivité, ces progressistes radicaux considèrent, à l’instar de Michel Foucault, que le savoir existant est une production du pouvoir, sans rapport donc avec la connaissance. Dès lors, c’est l’identité du pouvoir qu’il faut questionner. C’est à partir de cette hypothèse que le discours méritocratique-universaliste peut être déconstruit, car il ne serait que la façade rhétorique d’un pouvoir détenu par les hommes blancs pour maintenir leurs positions sociales, tout en discriminant sans vergogne les minorités en tout genre.

Lire aussi : Mathieu Bock-Côté : « Fanatique et résolue, cette minorité idéologique est prête à aller jusqu’au bout » 1/2

Autre belle intuition du rapport : le wokisme serait la troisième phase du postmodernisme. Après l’ère de la déconstruction et de l’injonction morale serait venue celle de l’injonction dissimulée dans la description : « La théorie critique de la race ne se demande plus si du racisme existe dans une certaine interaction sociale (une évidence, à leurs yeux), mais bien comment celui-ci se manifeste ». De là, un cercle vicieux : « Une fois plongé dans ce paradigme, leur survie académique [dépend] de leur capacité à dénicher des injustices raciales invisibles au commun des mortels ». La logique est sans fin, et mène à l’intersectionnalité, théorisée par Kimberlé Crenshaw, et idée d’après laquelle « il est possible de discriminer ou de subir des discriminations selon plusieurs axes, comme un individu au milieu d’un carrefour pourrait être percuté par des voitures provenant de différents côtés ». Parti des problématiques raciales et sexuelles, le wokisme atterrit aux questions de surpoids (fat studies) et de handicap (disability studies), l’objectif étant toujours de débusquer toutes traces de normes sociales pour les déconstruire par « l’exception » et de les présenter – par des inégalités statistiques – comme une discrimination sociale systématiquement appliquée. C'est que, in fine, tout doit se valoir – pensée relativiste dangereuse qui participe par exemple à la banalisation de l’obésité, pourtant maladie chronique particulièrement grave. [...]

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Gouvernement des juges : les légistes contre le peuple

« En matière de lutte contre l'immigration ou le terrorisme, les "sages" du Conseil d'État et constitutionnel ont toujours défendu une vision maximaliste de la liberté individuelle. On constatera qu'en matière sanitaire, en parfaite incohérence, c'est l'inverse. L'occasion de rappeler que ce que l'on appelle "État de droit" et que les démocraties libérales occidentales sacralisent volontiers repose sur les interprétations à géométrie variable de juges administratifs irresponsables devant le peuple. »

Cette observation, que je trouve sous la plume d’Alexandre Devecchio, est factuellement exacte, aussi bien pour ce qui concerne la jurisprudence de nos « hautes cours » que pour ce qui concerne la notion d’État de droit telle qu’elle est aujourd’hui employée. En revanche, il n’est pas certain qu’il y ait incohérence lorsque nos juges se montrent un jour maximalistes en matière de libertés individuelles et le lendemain minimalistes, selon qu’il s’agisse d’immigration ou de politique sanitaire.

Lire aussi : Préserver la paix publique ou préparer la guerre civile ?

L’erreur est de croire que, pour les membres du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel (ou de n’importe quelle « cour suprême », qu’elle soit nationale ou européenne), les libertés individuelles pourraient avoir un contenu substantiel, qu’elles pourraient être un ensemble de normes objectives et immuables qu’il s’agirait simplement d’essayer de concilier entre elles. Elles ne pourraient avoir un tel contenu que si elles étaient considérées comme des normes de droit naturel, ou a minima comme des transcriptions positives de normes de droit naturel. Une telle conception est, par exemple, énoncée très clairement dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ou bien dans la Déclaration d’indépendance américaine. Les droits civils et politiques qui sont mentionnés dans la DDHC (comme la liberté de parole ou la légalité des peines) peuvent se déduire presque géométriquement des « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » qui sont rappelés à l’article deux.

Mais il y a belle lurette que la notion de droit naturel n’est plus prise au sérieux dans les facultés de droit – sauf très rare exception –, pour ne pas dire qu’elle est l’objet d’un mépris presque universel parmi les juristes les plus éminents, et assurément parmi ceux qui peuplent nos cours suprêmes. Dès lors, les libertés publiques ne sont rien d’autre que ce que les juges décideront qu’elles sont à un moment ou l’autre : « ipse dixit » pourrait être leur devise ; et l’État de droit, dont on nous ramone incessamment le conduit et dont certains se servent comme d’un gourdin pour taper à bras raccourci sur les pays d’Europe de l’Est qui refusent l’ordre européen, n’est en vérité rien d’autre que l’État actuel du droit que l’on tente sans vergogne de faire passer pour intouchable. [...]

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Éric Zemmour, adepte de l’étatisme ?

Éric Zemmour porte l’espoir d’une candidature présidentielle refusant les oukases d’une gauche moralisatrice vénérant entre autres, à l’inverse des libéraux, les administrations aussi pléthoriques qu’inefficaces. Pourtant, débattant avec David Lisnard, Éric Zemmour a développé une critique acharnée du libéralisme. Il a paradoxalement déclaré cette pensée responsable de la bureaucratisation de l'État depuis 40 ans. D’après l'auteur du Suicide français, notre pays a détruit l'efficacité de son organisation administrative bonapartiste en mettant en œuvre une série de réformes libérales qui auraient rogné progressivement ses pouvoirs au profit des instances européennes, de la régionalisation, ainsi que par la multiplication des autorités indépendantes et autres agences parapubliques.

Il faudrait cependant mettre Éric Zemmour au défi de citer le moindre théoricien libéral qui aurait pu se faire l'apôtre des réformes dénoncées. Il paraît extrêmement peu probable par exemple que Milton Friedman, contemplant l’organisation actuelle de l’administration française, déclare tout radieusement : « Voici le modèle étatique dont j'ai toujours rêvé ». En réalité, les programmes de décentralisation et de déconcentration mis en œuvre n'étaient absolument pas libéraux, mais bien plutôt sociaux-démocrates. Ils constituaient la victoire posthume de la gauche girondine sur le jacobinisme, la revanche de Lamartine, battu en 1848, face au bonapartisme. Ils tenaient de la philosophie politique et sociale d'Habermas, de la philosophie juridique de John Rawls, l’ensemble revu à la mode énarque. [...]

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Charles Thimon : « Le vent est renouvelable, pas les éoliennes »

L’éolien, présenté comme l’inévitable horizon de la transition énergétique, est-il une énergie aussi verte et renouvelable que ses partisans veulent le faire croire ?

Assurément non, le vent est renouvelable, pas les éoliennes. S’installant au gré des subventions, leur développement rappelle à bien des égards la fameuse ligne Maginot : profusion de béton, inefficacité annoncée, coût pharaonique, le tout porté par des dirigeants en quête de symbole à brandir. Alors qu’on stérilise à jamais près d’un hectare de terrain par éolienne, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili nous annonce que ce développement est « vital » pour la planète.

Heureusement, le récent appel de Stéphane Bern semble avoir permis à beaucoup de nos concitoyens d’ouvrir les yeux sur la véritable nature de ces aérogénérateurs. En dénonçant l’écocide provoqué par le développement anarchique des éoliennes, cet amoureux du patrimoine a, en même temps que la sortie de notre film, peut-être permis à une partie de nos concitoyens de se réveiller. C’est entendu, chaque moyen de production a ses contraintes, ses travers. Aucune énergie n’est tout à fait verte. Mais concernant l’éolienne, on assiste à un déluge d’informations biaisées ou de demi-vérités. La réalité est plus prosaïque : l’intermittence du vent fait que la puissance fournie par les éoliennes ne peut pratiquement jamais correspondre à la demande des consommateurs et qu’elle doit être associée avec des centrales pilotables.

La France s’apprête-t-elle aujourd’hui à délaisser l’énergie nucléaire au profit d’une transition complète vers les énergies dites « renouvelables » ? Est-ce une solution réellement envisageable ?

Vouloir remplacer du nucléaire par des éoliennes apparaît aux yeux de beaucoup d’observateurs comme une erreur historique : la France devrait dans ce cas forcément conserver d’autres centrales plus polluantes en réserve pour les jours sans vent ni soleil. Cela risque en plus de coûter cher : une centrale nucléaire, qu’elle soit utilisée ou non, coûte le même prix. En abaissant les recettes de cette industrie, on diminue d’autant les investissements nécessaires et par extension leur sûreté. Le tout sans le moindre impact sur le climat puisque le nucléaire français émet sur l’ensemble de son cycle de vie deux fois moins de CO2 par Kw/h produit que les éoliennes.

Lire aussi : Révélations : Pécresse et l’éolien, un business juteux

En réalité, alors qu’il est habituellement présenté sous le chapitre de l’action climatique, le soutien aux énergies renouvelables électriques a comme seul résultat pratique de contribuer à une diminution de la part du nucléaire. Chacun peut avoir son avis à ce sujet, mais on doute que les Français soient ravis d’apprendre qu’on prélève chaque année plusieurs milliards d’euros sur leurs factures d’électricité et leurs pleins d’essence exclusivement pour diminuer de quelques pourcentages la part du nucléaire dans le système électrique. Les pays européens avec la plus forte proportion de renouvelables sont aussi ceux qui paient leur électricité le plus cher. Alors que l’objectif de cette libéralisation était que la concurrence bénéficie aux consommateurs, la facture d’électricité a selon l’INSEE augmenté de 50 % en 10 ans. [...]

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Langues régionales : le provençal, Mistral perdant

Le provençal est la langue régionale la plus piquée de paradoxes. Déjà en ce que par provençal, on peut aussi bien entendre le dialecte parlé en Provence, dans l’Est du Languedoc et même jusqu’aux vallées occitanes du Piémont que « la langue provençale » par laquelle on désignait l’intégralité des langues d’oc. Le provençal fut la grande langue de la poésie en France sans que pour autant il en reste beaucoup dans la poésie française. Le seul académicien français qui prit l’habit vert pour une œuvre non écrite en français fut Mistral – qui reçut le quatrième prix Nobel de littérature en 1904, ce qui fait du provençal une langue nobélisée sans que le monde s’y intéresse beaucoup.

À travers son œuvre, Mistral fait souffler un vent de fraîcheur et annonce une « respelido », c’est-à-dire une résurrection

De même, le provençal n’a pas la chance d’être défendu par la région qui préfère enseigner les langues les plus exotiques plutôt que celle du cru. Enfin, Provence est le troisième mot-clef le plus tapé sur Google dans le monde, mais ce qui en ressort n’a jamais trait à l’histoire ou à la langue. [...]

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Tropismes idéologiques de la BBC : entretien avec Robin Aitken

Le titre de votre livre évoque le « noble mensonge » de la BBC. Pourquoi ?

La BBC se donne pour mission de nous orienter dans la bonne direction. Pour ce faire, elle est toute disposée à tordre la vérité. C’est le principe du noble mensonge développé par Platon dans La République. Les gens à la BBC pensent qu’ils sont des gens bien. Et les mensonges qu’ils colportent, ils les colportent avec les meilleures intentions. Exemple : l’élection de Donald Trump en 2016 requérait analyses et informations. Mais la BBC s’est attachée à présenter Trump comme l’incarnation du diable parce qu’ils pensaient qu’il était raciste, misogyne, etc. Ils l’ont fait pour notre bien. La BBC diffuse une vision du monde résolument à gauche, pro-féministe, pro-Black Lives Matter, pro-avortement, anti-contrôle de l’immigration : elle coche toutes les cases. Elle est convaincue d’être un organe d’information neutre ; elle ne l’est pas. J’y ai travaillé 25 ans, j’ai pu voir les choses de près.

Quel est le rôle des médias dans l’édification de la « bonne pensée » ?

Il est crucial. La BBC aura 100 ans l’an prochain. Il n’est pas exagéré de penser que le Royaume-Uni contemporain a été modelé par la BBC qui est un peu comme un potier avec son tour, les Britanniques étant l’argile. La BBC a forgé l’opinion publique.

Lire aussi : GB News : au Royaume-Uni, l’écran plat prend du relief

Quelles sont les principales étapes de la politisation de la BBC ?

Quand Margaret Thatcher est élue en 1979, la BBC la combat. Dans les années 80 et 90, le parti travailliste a peu d’influence. La BBC va remplir ce vide et devenir quasiment l’opposition officielle. En 1997, Tony Blair devient premier ministre. Pour la BBC, il est l’homme parfait. C’est une lune de miel. Blair a eu les faveurs de la BBC jusqu’à la guerre d’Irak. La BBC s’est alors retournée contre lui et son déclin a commencé. Quatre ans plus tard, il quittait Downing Street. Aucun homme politique n’a intérêt à se confronter à la BBC. C’est un jeu dangereux. [...]

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Abbé Guillaume de Tanoüarn : « Traditionis Custodes vise l’extinction du rite traditionnel »

Avez-vous été surpris par la soudaineté et la sévérité des mesures édictées dans le motu proprio Traditionis Custodes ?

Oui, je ne m’attendais pas à ce que le pape François tape aussi fort. Au fond, ce motu proprio, purement disciplinaire, n’est pas doctrinal. Disciplinaire, car il s’agit pour le pape François de détruire la fécondité des instituts Ecclesia Dei, et du mouvement traversant l’Église en ce moment, et qui mène à une communion des rites. On s’est aperçu que le rite ancien pouvait apporter le sacré, la transcendance et l’adoration, quand le rite nouveau amenait la participation et la proximité. Depuis 1988 et le motu proprio Ecclesia Dei de Jean Paul II, l’Église a progressivement pris conscience de la complémentarité des rites.

Je pense que beaucoup de jeunes prêtres en paroisse pratiquaient un mélange des deux et apportaient à leurs fidèles une part de la verticalité du rite traditionnel. Je m’inscris parmi ceux qui insistent sur la participation au sein du rite traditionnel, et je crois qu’il est très important pour l’avenir du rite traditionnel de développer cette réalité.

Lire aussi : Le pape François contre les tradis : entretien avec Christophe Geffroy

Nous étions dans une situation apaisée, rien à voir avec les conflits des années 70, 80 voire 90. Et brusquement, le pape François décide de déterrer la hache de guerre. Son motu proprio est clairement écrit pour réaliser l’extinction du rite traditionnel. L’exemple le plus frappant – outre le fait qu’il refuse toute nouvelle implantation – est que les prêtres ordonnés après ce motu proprio, ne pourront dire la messe traditionnelle qu’en demandant l’autorisation à leur évêque, qui lui-même demandera à Rome si c’est opportun. Autant dire que dans l’esprit du pape, cela ne sera jamais opportun. Il s’agit en fait d’une interdiction déguisée, et pas très bien déguisée d’ailleurs.

Comprenez-vous les griefs du souverain pontife à l’égard des traditionnalistes, à savoir que la liturgie traditionnelle est utilisée pour rejeter le concile Vatican II ?

Je m’oppose fortement à un quelconque fétichisme de Vatican II. Fétichisme qui n’a rien à voir avec l’infaillibilité théologique du concile lui-même. Il s’agit d’un concile pastoral qui est intervenu dans l’histoire de l’humanité à un moment d’extraordinaire optimisme. Or aujourd’hui nous sommes dans une période extrêmement sombre, extrêmement noire. L’optimisme qui a fait Vatican II est donc bien oublié. L’Église ferait bien de s’adapter à la nouvelle donne sociale à laquelle elle a affaire, notamment l’appauvrissement des populations dites « riches », au désespoir et à la perte généralisée des repères. Sans parler de la violence entre les religions, engendrée par les revendications de l’islam radical. Le recours à la vertu universelle de Religion pour un dialogue inter-religieux apaisé (prôné par Vatican II) ne suffit plus, surtout à l’heure où l’on découvre que la religion au son d’ « Allah Akbar » peut devenir un vice meurtrier.

Visiblement, on préfère une Église définitivement pauvre en prêtres, mais au sein de laquelle on aura méthodiquement détruit toute forme de concurrence

Nous sommes dans un temps complètement différent des années 70. Il est donc naturel que les catholiques cherchent autre chose que Vatican II pour y faire face. Cela ne constitue pas une condamnation de Vatican II en soit, mais ce concile est l’expression d’un autre temps, d’une autre époque. Et je crains que le vieux pape que nous avons, ne sache pas discerner cette vieillesse de Vatican II.

Le pape écrit que le comportement des traditionnalistes « contredit la communion, nourrissant cette pulsion de division […] C’est pour défendre l’unité du Corps du Christ que je suis contraint de révoquer la faculté accordée par mes prédécesseurs ». Que pensez-vous de cette déclaration ?

Je pense que c’est lui qui contredit la communion. Nous sommes dans un cas de figure rare, envisagé par les théologiens, où le pape détruit une communion qui est en train de se faire et à laquelle il faut évidemment du temps, mais aussi une vraie confiance des uns envers les autres. Et c’est cette confiance qu’il détruit. Qu’un pape puisse défaire ce que son prédécesseur a fait, avec une telle facilité, en deux pages, cela pose un problème sur l’institution qu’il dirige et sur sa fiabilité. D’ailleurs, le pape avait déclaré lors d’une de ses conférences dans un avion (qui lui sont familières), au journaliste de La Croix Nicolas Senèze, qu’il n’avait pas peur des schismes. Cela au mépris de sa tâche de pasteur, de rassembleur. Nous ne pouvons que constater aujourd’hui qu’il n’a effectivement pas peur des schismes, de trancher dans le vif, de couper, de séparer, plutôt que d’unir.

Sur le plan pratique, qu’est-ce que cela va changer pour les diverses communautés ?

D’abord, les nouvelles assemblées ne pourront être le fait que de l’évêque du lieu. Les instituts de droit pontifical qui ont été créés pour guérir les blessures du combat liturgique des années 70 n’ont plus le droit de s’installer quelque part, de créer de nouvelles structures, de grandir. En un sens hallucinant, elles n’ont plus le droit d’être le « levain dans la pâte », comme le prescrit pourtant l’évangile à chaque chrétien. À terme, il s’agit donc bien de supprimer ces communautés en obtenant d’abord l’extinction du recrutement des séminaires. En effet, sans implantation nouvelle, les jeunes séminaristes n’auront pas d’autre choix que de devenir les doublures de leurs aînés.

Lire aussi : « Traditionis Custodes » : pourquoi le pape François veut-il l’extinction de la messe en latin ?

Ce que la hiérarchie actuelle de l’Église ne comprend pas, c’est ce recrutement des prêtres au sein de la tradition, comparé aux séminaires « nouvelle manière » supposément adaptés au temps et au lieu. Alors, ne comprenant pas cette expansion, le pape joue le tout pour le tout dans ce motu proprio pour la détruire, au risque de pénaliser l’Église. Visiblement, on préfère une Église définitivement pauvre en prêtres, mais au sein de laquelle on aura méthodiquement détruit toute forme de concurrence.

À terme, craignez-vous la non-reconnaissance de l’ordination des prêtres venant des communautés traditionnelles par le Saint Siège ?

Non car théologiquement cela n’est pas possible. Autant il y a une tentation absolutiste chez François, autant il ne peut pas faire absolument n’importe quoi avec le dogme. Un évêque qui reçoit le sacrement de l’épiscopat – comme l’a fait comprendre Vatican II qui a théorisé la sacramentalité de l’épiscopat – ne peut voir invalidées les ordinations qu’il réalise. La question de la validité des ordinations n’est donc pas en cause. Mais le but est de les empêcher, et surtout d’envoyer ce signal aux jeunes aspirants prêtres que s’ils choisissent les instituts Ecclesia Dei, ils seront promis à un cursus ecclésiastique avorté d’avance. Ils n’auront pas de mission, pas de travail. C’est déjà ce que nous vivons un peu à l’Institut du Bon-Pasteur, puisque nous sommes réputés comme étant « les plus méchants ». Les évêques ne nous « trouvent » pas de travail, ou refusent littéralement celui que l’on apporte.

Que deviendront les prêtres qui ne seront plus autorisés à célébrer la messe sous le missel de 1962 ?

Ils n’auront pas d’autre choix que de célébrer la messe sous le nouveau missel, sauf à en faire la demande au pape lui-même. C’est une absurdité doctrinale, parce que la liturgie est essentiellement tradition. C’est la loi de la prière qui détermine la loi de la foi, et pas l’inverse. Encore faut-il que cette loi de la prière ne soit pas émise par des commissions rapidement réunies de pseudos experts ou d’experts autoproclamés, comme l’avait déploré le pape Benoît. La liturgie est vraiment le lieu de la tradition, et pas le terrain d’affrontement des dernières forces chrétiennes, hâtivement rangées en Église.

Le pape François contre les tradis : entretien avec Christophe Geffroy

Avec son motu proprio Traditionis Custodes, le pape François a surpris et ému une bonne partie des catholiques. Ce texte était-il prévisible, ou au contraire tout à fait inattendu ?

Le texte était attendu depuis un moment. Ce qui a surpris tout le monde, même ceux indifférents à la question liturgique, est la sévérité et la dureté du motu proprio pontifical qui fait de ce que l’on appelait jusqu’à maintenant la forme extraordinaire du rite romain une liturgie très encadrée appelée à disparaître.

Quels sont l’objectif et la stratégie du texte ?

L’objectif du texte est expliqué par François dans la lettre aux évêques qui accompagne le motu proprio. Par les réponses qu’il a reçues de l’enquête lancée par la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur l’application du motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI (2007), François a estimé que les « tradis » avaient abusé de la générosité de Jean-Paul II et Benoît XVI en profitant de leur libéralité pour s’opposer à la réforme liturgique (1969) et au concile Vatican II (1962-1969). Cela est surprenant car personne ne reconnaît dans la situation française une telle description du monde traditionnel attaché à la forme extraordinaire et demeuré fidèle à Rome. Certes, il existe en effet une petite minorité qui remet en cause et la réforme liturgique et le concile, et ne s’en cache guère – il suffit de lire l’entretien de l’abbé Claude Barthe dans Présent du 20 juillet dernier –, mais c’est principalement la Fraternité Saint-Pie X qui répond à de tels critères et celle-ci n’est pas concernée par les mesures du pape, puisqu’en marge de l’Église. Pourquoi, alors, punir aussi sévèrement toute une mouvance quand quelques-uns sont fautifs ?

Pour Jean-Paul II et Benoît XVI, la forme extraordinaire du rite romain était, indépendamment des personnes qui l’utilisaient, un patrimoine liturgique qu’il convenait de sauvegarder, alors que François n’évoque à aucun moment ce trésor liturgique qui ne semble guère l’intéresser

La stratégie affichée dans la lettre du pape aux évêques est de réduire à terme la messe dite de saint Pie V, de façon que ses adeptes s’approprient progressivement le missel de Paul VI. Si c’est bien le cas, cela veut dire que les autorités romaines se satisferaient d’une situation où cette messe traditionnelle ne serait plus célébrée que dans la Fraternité Saint-Pie X fondée par Mgr Lefebvre, ce qui serait une drôle de façon de prôner l’unité dans l’Église.

C’est là où il y a une nette rupture de principe entre Jean-Paul II et Benoît XVI d’une part, et le pape François d’autre part. Pour les premiers, la forme extraordinaire du rite romain était, indépendamment des personnes qui l’utilisaient, une richesse en elle-même, un patrimoine liturgique qu’il convenait de sauvegarder, alors que François n’évoque à aucun moment ce trésor liturgique qui ne semble guère l’intéresser. C’est très significatif lorsqu’il donne les raisons du motu proprio de Jean-Paul II, Ecclesia Dei, en 1988, il ne cite que l’objectif de contenir l’acte schismatique de Mgr Lefebvre pour « recomposer l’unité de l’Église », mais omet de rappeler que son but était aussi la sauvegarde de l’ancien Ordo en lui-même (cf. motu proprio Ecclesia Dei n. 5-a).

Lire aussi : « Traditionis custodes » : pourquoi le pape François veut-il l’extinction de la messe en latin ?

Vous avez fait une grande enquête sur les tradis (1). Les reconnaissez-vous dans ce texte ?

Non, pas du tout, la plupart des tradis, sur le terrain, sont éloignés de ces querelles liturgiques et théologiques. Vous savez qu’il y a beaucoup de jeunes dans cette mouvance et ces derniers ignorent tout des débats autour de Vatican II, ils passent sans problème d’une messe en forme extraordinaire à une messe en forme ordinaire, ils naviguent du pèlerinage de Chartres, à la Pentecôte, à une session de l’Emmanuel, l’été, à Paray-le-Monial sans l’ombre d’une difficulté. Le monde traditionnel n’a pas du tout l’homogénéité que lui prêtent les textes du pape François, il est multiforme, mais assurément, la grande majorité ne répond pas à la description de la lettre aux évêques qui correspond en fait principalement à ce qu’est la Fraternité Saint-Pie X, du moins en France.

La décision est-elle davantage compréhensible d’un point de vue plus global : les tradis constituent-ils, ailleurs, une menace réelle pour l’unité de l’Église ?

Question délicate, car je connais moins bien la situation du monde traditionnel dans les autres pays. Il semblerait, m’a-t-on dit, qu’il existe aux États-Unis des « tradis » proches de la TFP qui s’opposent à la messe réformée et au concile Vatican II, mais j’ai du mal à croire qu’ils forment une majorité significative et dangereuse pour l’Église.

On passe d’une attitude où les tradis sont des chrétiens comme les autres qu’il convient d’accueillir généreusement, à une attitude où ils deviennent des gens nuisibles et malhonnêtes parce qu’ils détournent la générosité des papes pour contester le Magistère

Dans quelle mesure ce texte infléchit-il la politique vaticane en la matière ces cinquante dernières années, notamment celle de Benoît XVI ?

C’est toute la philosophie d’approche qui change : on passe d’une attitude où les tradis sont des chrétiens comme les autres qu’il convient d’accueillir généreusement, en pensant qu’ils peuvent apporter une richesse à l’Église, moyennant certes des efforts de leur part précisément sur l’accueil de la messe de Paul VI et Vatican II – comme le protocole d’accord du 5 mai 1988 avec Mgr Lefebvre repris par Jean-Paul II dans le motu proprio Ecclesia Dei le stipulait –, à une attitude où ils deviennent des gens nuisibles et malhonnêtes parce qu’ils détournent la générosité des papes pour contester le Magistère et qu’il convient donc d’éliminer à terme, c’est-à-dire faire en sorte qu’ils renoncent à ce qui nourrit leur foi, la forme extraordinaire du rite romain, comme si la diversité des formes liturgiques était une atteinte à l’unité de l’Église qui compte quand même une vingtaine de rites. Cela est d’autant plus extraordinaire qu’il existe dans l’Église une tolérance extrême à l’égard de tous ceux qui professent des doctrines les plus hétérodoxes (cf. dans l’Église d’Allemagne), mais il n’y a que contre une partie du troupeau que l’autorité sévit avec une telle rigueur : deux poids, deux mesures ?

Comment les milieux traditionalistes ont-ils réagi au texte ? À terme, faut-il s’attendre à un retour de la guerre liturgique ?

Il est pour le moment un peu tôt pour savoir comment le monde traditionaliste va réagir, car il est encore sous le choc. Et puis ça dépendra surtout de la façon dont les évêques vont appliquer les directives du pape. Les premiers communiqués publiés par les diocèses montrent des évêques soucieux de jouer l’apaisement et la continuité, c’est tout en leur honneur. La situation liturgique, ne serait-ce que dans son principe avec le statut juridique des deux formes liturgiques, avait été apaisée grâce à la sollicitude de Benoît XVI. Aujourd’hui, ce que l’on appelait la forme extraordinaire se retrouve dans une situation de non-existence et de vide juridique : qu’en adviendra-t-il à terme ?

Si la synthèse réalisée par la Conférence des évêques de France n’était guère favorable aux tradis, elle était beaucoup plus équilibrée et nuancée que la description du monde tradi qui est faite dans la lettre aux évêques du pape

Dans votre texte et dans votre grande enquête, vous laissez entendre que la Conférence des évêques de France a participé à cette décision.

Non, je n’ai jamais dit que la CEF a participé à cette décision, les contacts que j’ai pu avoir avec plusieurs évêques me convainquent qu’ils n’étaient pas du tout au courant du contenu du motu proprio et encore moins de sa sévérité. Et si la synthèse réalisée par la CEF n’était guère favorable aux tradis, elle était beaucoup plus équilibrée et nuancée que la description du monde tradi qui est faite dans la lettre aux évêques du pape : elle reconnaissait des qualités et des apports aux tradis, et admettait que Summorum pontificum, malgré nombre de problèmes persistants, avait contribué dans la plupart des diocèses à apaiser les situations.

Pourtant, la CEF a réagi avec beaucoup de bienveillance à l’égard des tradis. Cela signifie-t-il qu’il n’y aura pas ou peu de conséquences pratiques en France ?

Oui, le communiqué de la Conférence des évêques de France est bienveillant et montre de l’estime au monde tradi. Des conséquences pratiques, il y en aura forcément, et chacun est amené à s’interroger après la réception d’un tel texte papal : les tradis qui remettent en cause le nouveau missel et le concile feraient bien de réfléchir au bien-fondé de leur opposition, car il apparaît que la grande majorité des tradis payent le prix fort pour la petite minorité qui conteste le Magistère.

(1) Plusieurs articles de ce dossier sont librement accessibles en ligne sur le site de La Nef. Par ailleurs, ceux qui le souhaitent peuvent recevoir gratuitement le PDF de ce numéro en nous en faisant la demande par notre site (rubrique tout en bas « Contactez-nous »).

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