Annie Ernaux, voici le genre de nom qui revient dans la vie littéraire hexagonale depuis toujours sans qu’on ne s’y soit jamais intéressé. Annie Ernaux. On s’ennuie déjà un peu. On n’a pas envie de s’y mettre. Ça sent la littérature de bonne femme, mais version sexagénaire, version Modes et travaux. On a envie de s’y colleter comme de boire un rooibos au chèvrefeuille. Au moins, Christine Angot et Constance Debré sont un peu marrantes, avec leurs pleurnicheries adolescentes qui durent depuis vingt ans. Au moins, Virginie Despentes et sa gueule d’éponge à mercure nous arrachent quelques grimaces d’horreur. Au moins, Cécile Coulon nous irrite avec sa passion pour le footing, ses cheveux peroxydés et ses romans ruraux sans gluten. Là, Annie Ernaux, c’est une autre histoire. La ménopause faite littérature. Heureusement, nous dit-on, son dernier livre fait trente-huit pages, écrites en gros caractères.
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Grand écarts chez Gallimard
La daronne doit peser, pour qu’on ose éditer ça dans la Blanche de Gallimard… Faut dire, la Blanche, c’est plus ce que c’était : le Grand remplacement a commencé par là. Exeunt les Hussards magnifiques, exeunt les poètes à double fond,les tirailleurs du fond de la classe, les tempétueux, les salopards. Même les plus délicats iraient se faire voir ailleurs, les Dhôtel ou les Gadenne. Depuis quelque temps, la Blanche serait plutôt une sorte de dépendance sympatoche de Càvous, un décor en stuc bien pastel dans lequel on s’échange les plats sur un ton aimable. Lilia Hassaine, khâgneuse en chef du Quotidien de Yann Barthès, a bien publié son premier rom’. Alors Annie Ernaux, elle se pose là. Le Jeune Homme, ça s’appelle. C’est une sorte de rédaction. Le truc que n’importe quelle bourgeoise vaguement lettrée pourrait écrire en atelier d’écriture, poussivement, entre deux séances chez son psy et un cours d’aquagym. Ce sont des phrases mises bout à bout qui racontent un moment de sa vie. Des phrases avec des mots. C’est à peu près tout. Pour la littérature, vous repasserez. La littérature, c’est justement le poison des mots, c’est l’émulsion des mots dans le brouet des pensées, dans l’athanor des passions, c’est l’écume qui demeure quand on enlève l’histoire, le récit, la biographie. Là, il ne reste rien. C’est donc strictement l’inverse de la littérature. Pas une image, pas une métaphore, pas une pensée qui résiste. C’est à se demander si ce n’est pas une blague. On regarde derrière soi. On retourne à la librairie qui nous a vendu ce putricule. Mais non, la vitrine en est remplie. Ça a l’air sérieux. Ce truc a bien été édité, et il est en exposé en vitrine à côté du texte inédit de Céline. Le grand écart façon Gallimard.
Ce sont des phrases mises bout à bout qui racontent un moment de sa vie. Des phrases avec des mots. C’est à peu près tout. Pour la littérature, vous repasserez
Pas une virgule de stupeur
Ça pourrait nous faire marrer, ça aussi. Mais non. On se sent violenté par cette médiocrité qui ne se cache même pas, par ce témoignage qui pourrait figurer dans le courrier des lectrices de Femme actuelle, ou d’Union. Alors on le relit en se disant qu’on est passé à côté de quelque chose. Que l’exercice de style, le genre miniature, d’autres s’y sont essayé avec génie, comme le Schnitzler de Mourir. On relit. C’est encore plus nul qu’avant. « Il disait stop ou c’est bon à la place de merci quand je le servais à table », souligne Annie Ernaux à propos de cet amant qu’elle décrit vaguement sur trente pages, un hidalgo de trente ans son cadet. Qu’est-ce qu’elle en tire ? Pas une virgule de stupeur, pas une miette de sensualité. Strictement rien. « De plus en plus, il me semblait que je pouvais entasser des images, des expériences, des années, sans plus rien ressentir d’autre que la répétition elle-même », se lamente-t-elle en fin d’ouvrage avec des soupirs de biscotte. Tu l’as dit, bouffie.