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Bakhmout : Guerre d’attrition

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Publié le

30 mars 2023

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La bataille de Bakhmout fait rage depuis des mois. Dans cette petite ville que personne ne connaissait se joue désormais le sort de la guerre sur laquelle le monde a les yeux rivés. Alors que les hommes sont déjà tombés par dizaines de milliers dans la cité du Donbass, les prochaines semaines y seront décisives dans le cadre de la future offensive de printemps. Plongée au cœur des orages d’acier.
BArkhmout

La petite ville de Bakhmout (70 000 habitants avant la guerre) située au nord de l’oblast de Donetsk, est entrée par la force des choses dans l’œil du cyclone de la guerre d’Ukraine.

Au début du mois de juillet 2022, après la chute des grandes villes de Sievierodonestk et de Lyssychantsk, situées plus au nord-est, la prise rapide de Bakhmout par les Russes semblait inéluctable. En effet, Bakhmout restait la dernière localité d’importance sur la route qui devait mener l’armée russe au cœur de ses objectifs : la grande ville de Kramatorsk, cœur du Donbass ukrainien.

Trois lignes de défense doivent être franchies pour l’atteindre et la première d’entre elle, la ligne Bakhmout-Soledar-Siversk, est toujours disputée. Siversk au nord reste ukrainienne. Soledar au centre a été prise par le groupe Wagner le 16 janvier 2023, permettant ainsi la mise en œuvre d’un mouvement tournant dans le but d’encercler la ville de Bakhmout.

Alors que cette ville est bombardée depuis le 26 mai 2022, l’assaut terrestre est lancé à partir du 1er août.

Plus un pas en arrière ne devait être fait et Bakhmout était là pour le montrer.

Valeri Zaloujny, le chef d’état-major ukrainien, a affirmé après les contre-offensives ukrainiennes victorieuses de la fin de l’été 2022 qu’avant de penser aux combats pour reconquérir des territoires, sa priorité était surtout de ne plus en perdre. Plus un pas en arrière ne devait être fait et Bakhmout était là pour le montrer.

De même, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lui aussi fait de la ville un symbole en assurant qu’elle était la forteresse de l’Ukraine et que tout serait fait pour la conserver.

Carte de Bakhmout

Dans le camp russe, Bakhmout est aussi devenu un enjeu symbolique, pour un homme notamment : Evgueny Prigogine, le chef de la société militaire privée Wagner qui a fait de la capture de la ville une question personnelle. Et pour cause, s’emparer de Bakhmout avec sa milice pourrait lui assurer une place à la table des principaux décisionnaires dans cette guerre. A contrario, s’il essuie un échec cuisant sur ce front, son étoile pâlira irrémédiablement. Et devenir un problème pour le Kremlin peut rapidement devenir mortel dans une Russie en guerre.

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Mais, ami de Poutine et grand communiquant, Prigogine sait jouer des tensions en cours pour s’imposer. En recrutant avec l’aval de Poutine des dizaines de milliers de prisonniers russes, il a su trouver une denrée humaine consommable en grand nombre, sans qu’elle ne rentre dans les statistiques des pertes de l’armée. En mettant en avant les succès remportés par ses miliciens lors de la prise de Soledar, il a réussi à être pris au sérieux par la population de son pays. En fustigeant le chef de l’armée russe Valeri Guerassimov et le ministre de la Défense Sergueï Choïgu pour leur manque de soutien au groupe Wagner, il a pu mettre deux des principaux piliers du régime de Vladimir Poutine au pied du mur. En s’affichant personnellement à plusieurs reprises sur le front de Bakhmout, il a fait montre de son courage et de sa volonté de remporter cette bataille quoi qu’il en coûte.

Mais Prigogine, lucide, a reconnu la capacité de résistance ukrainienne et ne prévoit pas de prise de la ville avant la fin du mois d’avril.

L’assaut frontal par l’est est accompagné d’une poussée continue au nord comme au sud de la ville avec l’objectif d’une fermeture du dispositif à l’ouest.

Selon les estimations américaines, 36 000 hommes des groupes Wagner sont actuellement déployés à Bakhmout. 30 000 sont des miliciens recrutés depuis le début du conflit, notamment en prison, 6000, des mercenaires formés sur les théâtres d’Afrique et du Moyen-Orient. 14 000 autres soldats de l’armée russe les assistent, notamment des parachutistes, considérées comme faisant partie des troupes d’élites. C’est ainsi 50 000 russes qui sont à l’assaut de Bakhmout.

Ils font face à 80 000 soldats ukrainiens sur cette portion du front. Après avoir combattu pendant des mois pour approcher les abords de la ville par l’est, les forces russes sont finalement parvenues à débloquer la situation en s’emparant de Soledar au nord et de la localité de Klishchiivka au sud. Ainsi l’assaut frontal par l’est est accompagné d’une poussée continue au nord comme au sud de la ville avec l’objectif d’une fermeture du dispositif à l’ouest qui encerclerait la ville et les combattants ukrainiens qui la défendent.

La prise par les Russes de la rive orientale de Bakhmout (traversée par la rivière Bakhmutovka), le 7 mars 2023, a pu faire penser à la chute imminente de la ville.

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Néanmoins la partie occidentale, plus grande et surtout bien plus urbanisée reste férocement défendue par l’Ukraine. L’un des enjeux tactiques les plus critiques consiste dans le maintien d’un corridor terrestre permettant à l’armée ukrainienne d’alimenter en continu ses troupes en renforts et munitions jusqu’au cœur de la ville. Il s’agit donc d’empêcher les pointes nord et sud des forces russes d’atteindre les villages de Khromove et d’Ivanivske qui contrôlent les routes menant à la ville par l’ouest. Une route en dur et un chemin boueux qui sont constamment matraqués par l’artillerie russe, dont les abords sont jonchés de carcasses de véhicules ukrainiens. Pourtant, cette nouvelle Voie Sacrée reste constamment employée par les forces ukrainiennes, même sous le feu.

Si les forces d’assaut terrestre russes finissent par couper cet axe, l’Ukraine devra prendre une douloureuse décision. Ou laisser ses soldats dans la ville encerclée dans le but de livrer un combat retardateur le plus long possible, ou retirer ses troupes avant l’encerclement quitte à offrir une victoire symbolique à Poutine et Prigojine et relancer la dynamique russe.

Plusieurs unités défendent ses murs depuis de longs mois.

Afin d’évaluer la situation, Volodymyr Zelensky s’est rendu à Chasiv Yar, sur la deuxième ligne défendant Kramatorsk. Peut-être plus significatif encore, le général Syrsky, chef de l’armée de terre ukrainienne, s’est récemment rendu à plusieurs reprises dans la ville même pour déterminer si elle pouvait encore tenir.

La décision a été prise de tenir. Des forces spéciales et autres troupes très aguerries ont été déployées dans la ville pour assister les forces déjà sur place. Plusieurs unités défendent ses murs depuis de longs mois comme la 93e brigade mécanisée dont les blindés, peu utilisés en milieu urbain, sont déployés en soutien de l’infanterie ukrainienne lorsque les assauts russes deviennent critiques.

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À la fin du mois de mars, les forces russes ont été légèrement repoussées sur leurs flancs nord-ouest et sud-ouest mais progressent vers le centre de la ville, combattant pour le grand complexe sidérurgique AZOM dans le nord de la ville et pour le bâtiment de l’administration publique de Bakhmout dans le sud.

Il est certain que le commandement ukrainien a fait le choix d’utiliser au maximum les hautes structures urbaines de la partie occidentale de la ville pour assurer une défense prolongée. En d’autres termes, il reste encore des bâtiments à raser et des ruines pour s’y abriter, ce qui permet d’assurer un ratio de perte extrêmement favorable aux défenseurs : pour un soldat ukrainien tué à Bakhmout, sept Russes tombent. Les estimations actuelles donnent de 30 000 à 50 000 morts russes depuis le début de cette bataille. Une véritable bataille d’attrition. Verdun pour la boue. Stalingrad pour les ruines.

La logique voudrait que l’Ukraine mène le combat urbain le plus longtemps possible, au moins jusqu’à la fin du mois d’avril, afin de laisser du temps à son armée pour préparer sa grande contre-offensive qui aura sûrement lieu en mai.

Mais d’autres questionnements tactiques comme stratégiques apparaissent dans le brouillard de la guerre entourant Bakhmout.

L’armée russe (comme l’armée allemande voulant saigner à blanc l’armée française à Verdun), peut vouloir attendre que le maximum de troupes ukrainiennes entraînées et aguerries entre dans la ville pour chercher à rapidement achever l’encerclement et ainsi capturer un grand nombre d’entre elles. Un Marioupol en grand. Où Kiev perdrait des forces dont elle aurait terriblement eu besoin dans les prochains mois.

A Bakhmout, une lente conquête urbaine, rue par rue, maison par maison, tourne à la bataille d’attrition.

Mais l’Ukraine, dont les observateurs se demandent où elle lancera sa contre-offensive, pourrait bien surprendre comme elle l’a souvent fait jusqu’ici en attaquant directement à Bakhmout, au nord comme au sud, dans une grande manœuvre d’enveloppement des forces russes qui encerclent elles-mêmes la ville.

A Bakhmout, une lente conquête urbaine, rue par rue, maison par maison, tourne à la bataille d’attrition. Mais à Moscou comme à Kiev, on guette la moindre erreur de l’adversaire, le moindre faux-pas, la moindre opportunité pour déclencher un basculement tactique pouvant mener à l’anéantissement ennemi. Dans les ruines de Bakhmout, la guerre continue.

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