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Ukraine : le piège de « Joe le sénile »

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Publié le

27 février 2023

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Il y a un an, les hélicoptères et les chars de Poutine fondaient sur Kiev. Le piège de Thucydide qui aurait vu la Russie obligée de frapper une Ukraine montant en puissance militairement s’est finalement transformé en piège mortel dans lequel les États-Unis ont réussi à faire tomber Moscou.
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Le 19 janvier 2022, le président américain Joe Biden donnait une conférence de presse lors de laquelle il était interrogé sur la menace d’une invasion russe de l’Ukraine, tandis que la Russie était en train de masser des centaines de milliers de soldats à ses frontières ainsi qu’en Biélorussie. En effet, questionné sur la réaction américaine et des membres de l’OTAN face à une agression militaire russe en Ukraine, il avait répondu qu’elle dépendrait de l’ampleur de cette agression. Il eut cette déclaration ambiguë affirmant que les membres de l’OTAN risquaient de se diviser sur une telle réaction s’il ne s’agissait que « d’une incursion mineure ». Et ce tout en reconnaissant néanmoins que Vladimir Poutine allait « tester l’Occident », qu’il allait « devoir faire quelque chose » et qu’il allait « rentrer en Ukraine d’une manière ou d’une autre ».

« L’impuissance de Joe Biden a enhardi Vladimir Poutine, et voilà qu’il vient de donner un feu vert à Poutine pour envahir l’Ukraine » répondirent les ténors de l’opposition (Tom Cotton, sénateur républicain de l’Arkansas). Le « feu vert » pour envahir l’Ukraine fut donc donné à la Maison-Blanche et reçu fort et clair par les tours du Kremlin.

Aux yeux de nombreux observateurs, la réponse de Joe Biden était « légère » voire « inappropriée ». En réalité, le président américain apportait ce jour-là la touche finale au plus grand piège géostratégique tissé par les États-Unis depuis 1945.

Feu vert pour envahir l’Ukraine 

Un peu plus d’un mois plus tard, le 24 février 2022, avec 200 000 soldats, Vladimir Poutine envahissait l’Ukraine. Complètement intoxiqué par ses propres services de renseignements lui affirmant que le pays tomberait comme un fruit mûr et que la population accueillerait les chars russes en libérateurs, il se lança dans une invasion à grande échelle à partir du territoire russe, biélorusse et des territoires du Donbass et de la Crimée occupés.

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine envahissait l’Ukraine, complètement intoxiqué par ses propres services de renseignements lui affirmant que le pays tomberait comme un fruit mûr

La capitale, Kiev, constituait la cible prioritaire, mais aussi les principales villes de l’est de l’Ukraine, Tchernihiv, Sumy, Karkhiv, Marioupol, Melitopol, Kherson, Mykolaïv, avec la grande ville portuaire d’Odessa en ligne de mire.

L’effectif de combat engagé (équivalant en nombre à la coalition anglo-américaine qui envahit puis occupa l’Irak exsangue en 2003) était extrêmement faible compte-tenu de la multiplicité et de l’importance des cibles visées. Cette disproportion signifiait une chose : l’armée russe ne comptait pas réellement combattre mais seulement occuper un pays frère.

Ceux qui furent stupéfaits par la capacité de résistance ukrainienne n’avaient pas conscience de certains facteurs décisifs. Tout d’abord, la présence massive de lance-missiles antichars dernier cri  au sein des forces ukrainiennes. Ensuite, la réorganisation et l’entraînement des forces ukrainiennes par des instructeurs américains et britanniques depuis 2014.

L’envie de se battre contre l’envahisseur constitue le facteur primordial de la résistance ukrainienne

Ces forces furent déployées en rotation dans les tranchées du Donbass les huit années précédant l’invasion de 2022. Contrairement aux soldats russes, chaque soldat ukrainien était donc aguerri. Enfin, l’envie de se battre contre l’envahisseur constitue le facteur primordial de la résistance ukrainienne, au plus haut niveau politique, dans les tranchées de première ligne comme dans la population ukrainienne à l’arrière.

Par une auto-intoxication de ses services de renseignements, Poutine a commis l’erreur de croire que l’Ukraine ne résisterait pas. Il commit également l’erreur de croire que les Américains et leurs alliés ne bougeraient pas, ou pas suffisamment pour l’arrêter. Erreurs multiples de commandement, problèmes logistiques majeurs et défauts de coordination entre les différentes dimensions de combat, le tout couronné par une faible motivation de ses forces à combattre : Vladimir Poutine avait également commis l’erreur de penser que son armée était prête.

Lire aussi : Débat : Ukraine, la guerre des mots 

L’armement ukrainien, clé de la victoire 

Les Javelin américains et les NLAW britanniques ont été les grands acteurs du premier mois de la guerre. Ce sont eux qui ont stoppé les colonnes blindées russes. Ces missiles, aussi perfectionnés que coûteux, ont su mettre en miettes non seulement des centaines de chars modernes ennemis mais aussi de très nombreux blindés légers tout comme de simples camions et véhicules de ravitaillement. Ce sont aussi ces attaques incessantes sur les véhicules logistiques qui ont conduit l’état-major russe à battre en retraite pour changer radicalement de plan et d’objectifs au bout d’un mois de combat.

Au bout de près d’un an de combats, les premiers enseignements peuvent être tirés. Les Ukrainiens ont tenu. Ils ont même réussi à faire battre en retraite les Russes par trois fois. Devant Kiev, devant Kharkiv et devant Kherson. Ils ont montré leurs capacités à contre-attaquer victorieusement (de Balaklia à Lyman en passant par Izyum à la fin de l’été dernier).

Les Ukrainiens ont la masse humaine nécessaire, la volonté de gagner, les renseignements

Les Ukrainiens ont la masse nécessaire (des millions de mobilisés potentiels à former), la volonté de gagner, les renseignements (américains). Pour emporter cette guerre il leur faut des armes supérieures en capacité à celle des Russes et les munitions en quantité suffisante pour les alimenter.

Ces armes ont déjà commencé à arriver, arrivent et arriveront. Rien qu’une vingtaine de Himars (système d’armes développé dans les années 1980) ont suffi pour mettre la logistique russe en danger. Lorsque les Ukrainiens bénéficieront des missiles de longue portée tirant à 300 kilomètres, l’arrière russe (notamment la Crimée) sera totalement désorganisé. Les munitions nécessaires arriveront également, le temps que les chaînes de production américaines et européennes se mettent à niveau. Le matériel offensif (chars, avions, navires) qui sera nécessaire aux Ukrainiens pour reconquérir le territoire perdu depuis 2014 arrivera aussi progressivement.

Mais c’est un véritable supplice de Tantale que subit et devra encore endurer l’Ukraine d’ici à ce que l’ensemble des capacités militaires nécessaires pour vaincre la Russie soient en possession de ses forces armées.

Toute l’astuce du piège tendu par les Américains réside en deux éléments essentiels. Le premier est de ne pas engager de confrontation militaire directe entre soldats de l’OTAN et de la Fédération de Russie. Il va sans dire que nombre de services occidentaux ne se gênent pas pour faire démissionner de leurs forces armées des opérateurs, qui sont ensuite employés en tant  que « volontaires » au sein des forces ukrainiennes (et notamment dans la « légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine). Mais il n’y a pas d’engagement officiel de personnels de l’OTAN sur le sol Ukrainien.

La seconde composante du piège consiste à n’ébouillanter la grenouille russe dans la marmite ukrainienne que de façon progressive. De toutes les lignes rouges qu’ils avaient fixées au départ « sous peine de représailles », les Russes n’en ont respecté aucune. Il ne devait pas y avoir d’armement étranger livré à l’Ukraine, il a été livré et massivement. Il ne devait pas y avoir de lance-missiles transférés aux Ukrainiens et les Himars détruisent chaque jour des postes de commandement russes.

De toutes les lignes rouges qu’ils avaient fixées au départ « sous peine de représailles », les Russes n’en ont respecté aucune.

Les Russes avaient déclaré que la fourniture de missiles de longue portée était une ligne rouge, et des missiles de moyenne portée (150 kms) vont bientôt être livrés. Ceux de longues-portées (ATACM-S) viendront. En matière de défense antiaérienne, le système Patriot américain est en cours de livraison, de même que les Crotale français ou les Nasams norvégiens. Autant d’armes défensives performantes qui ont pour conséquence de vider le ciel ukrainien des avions russes. Ceux-ci n’opèrent plus que sur les lignes de front, le plus souvent sur des modèles de bombardiers anciens et peu coûteux comme les Su-25.

Olaf Scholz a refusé pendant des mois de livrer des chars Léopard allemands. Il vient finalement de l’accepter, ouvrant ainsi la voie à la livraison de tout ou partie des 2500 chars disponibles dans les stocks européens. Les États-Unis ont accepté de livrer leurs Abrams, les Britanniques leurs Challenger. De même, lorsque la Pologne avait proposé au début du conflit de livrer tous ses MIG-29 aux Ukrainiens contre un remplacement par des F-35 américains, Joe Biden, considérant sans doute qu’un tel signal était trop fort et arrivait trop tôt, avait refusé l’hypothèse. Elle est aujourd’hui actée et progressivement c’est l’ensemble des armées européennes de l’ancien Pacte de Varsovie qui livreront leurs avions et chars soviétiques à l’Ukraine. Plus loin encore, les Mirage 2000 français destinés à être prochainement tous remplacés par les Rafale seront le moment venu livrés à l’Ukraine. La décision n’est pas encore actée et pour cause, la formation des pilotes ukrainiens sur les avions américains et ouest-européens prend beaucoup de temps. Lorsqu’elle le sera, F-16, Typhoon et Mirage voleront au-dessus du Donbass, arborant les couleurs ukrainiennes.

Lire aussi : Ukraine : la droite nationale s’est-elle tiré une balle dans le pied ? Entretien avec Loup Viallet

En coulant le Moskva, navire amiral de la flotte russe de la mer Noire, avec leur missile antinavire Neptune, les Ukrainiens ont démontré qu’ils avaient peu à craindre en défense littorale : il leur faudra pour attaquer les côtes et les ports russes de Crimée des moyens offensifs. S’ils possèdent déjà des drones navals, Zelensky a notamment demandé aux Allemands de leur fournir des frégates et des sous-marins.

L’Ukraine va donc finir surarmée et en mesure non seulement de faire jeu égal avec la Russie mais également de la dominer dans toutes les dimensions de la guerre moderne.

Les Type 214 allemands (deux fois plus petits que les Barracuda français) seraient parfaitement adaptés aux défis de la mer Noire, de même que les corvettes furtives suédoises Visby. La Turquie a fermé le détroit des Dardanelles aux flottes militaires (du moins de surface), les empêchant de rejoindre la mer Noire depuis la Méditerranée. Mais cela n’empêche pas pour autant Ankara (qui joue un jeu serré à bandes multiples dans cette guerre) de construire et de se préparer à livrer à l’Ukraine des corvettes Ada.

L’Ukraine va donc finir surarmée et en mesure non seulement de faire jeu égal avec la Russie mais également de la dominer dans toutes les dimensions de la guerre moderne. Si la volonté politique européenne et surtout américaine se maintiennent.

Le piège de « Joe le Sénile »

Les États-Unis ont réussi à faire tomber la Russie dans un piège mortel. Peu importe que l’initiative ait appartenu à Joe Biden, à Anthony Blinken (Secrétaire d’État), à Mark Milley (chef d’État-major), à William Burns (directeur de la CIA) ou à d’inconnues têtes pensantes opérant dans l’ombre, c’est bien le président américain qui incarne la volonté de son pays. Celui-ci, souvent présenté comme sénile, s’est pourtant montré particulièrement alerte lors de la conférence de presse organisée à la Maison-Blanche avec Volodymyr Zelinsky le 21 décembre 2022, qui apparaîtra peut-être comme le moment le plus important de son mandat présidentiel, lorsqu’il déclara, que les États-Unis allaient continuer à renforcer la capacité de l’Ukraine et que « les Ukrainiens ne ser[aient] jamais seuls ».

Lire aussi : Éditorial monde de février : La voix du déclin

Un des éléments de la propagande russe est parfaitement réaliste : les Américains sont prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien. Depuis Obama, puis Trump, les États-Unis veulent réorienter leur effort géostratégique vers leur grand rival du siècle, la Chine. La Russie ne constitue plus pour eux un enjeu majeur : son affaiblissement et l’accentuation de la fracture entre la Russie et les pays européens ne restent pas moins une divine surprise, celle de la possible destruction de l’armée russe par les armes données à l’Ukraine et de l’élimination du Kremlin de l’équation géostratégique mondiale.

Lorsque l’armée russe finira totalement détruite par une Ukraine surarmée, que lui restera-t-il, si ce n’est ses milliers de têtes nucléaires ?

Par son hubris expansionniste et sa volonté de récréer un empire, Vladimir Poutine s’est jeté dans un piège mortel. Mortel pour lui mais avant tout pour la Russie. Lorsque l’armée russe finira totalement détruite par une Ukraine surarmée, que lui restera-t-il, si ce n’est ses milliers de têtes nucléaires ? C’est alors qu’il faudra espérer que « Vlad le fou » ne tentera pas de se sortir du piège tendu par « Joe le sénile » par l’atome et son apocalypse.

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