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Comment j’ai rêvé d’être un « sans–dents »

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Publié le

17 juin 2019

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L’expression “sans-dents” date de la sortie du livre de Valérie Trierweiler sorti en 2014 : Merci pour ce moment”. François Hollande, président socialiste, appelait comme ça les pauvres du pays qu’il dirigeait. Ceux qui ne sont pas assez riches pour se soigner, et pas assez pauvre pour qu’on les soigne. La France périphérique. Les Gilets jaunes. La France.

 

C’est lundi dernier que la douleur est née, insidieuse d’abord, puis violente. Sous la première molaire du maxillaire inférieur droit. Voilà qui gâchait une belle journée cotentinaise dans cette ville de 100.000 habitants qu’un jeune auteur a récemment rebaptisé Hirocherbourg et où je réside. Je décrochais donc mon téléphone pour prévenir mon dentiste habituel que je passerai dès qu’il le pourrait. Ce fut pour entendre sa secrétaire m’expliquer qu’il me recevrait avec plaisir – mais pas avant huit mois – pour me faire l’habituel surfaçage, mais que pour les petits bobos du quotidien, il allait falloir que j’aille voir ailleurs, car il se concentrait désormais sur des taches plus nobles.

Commença alors une semaine de coups de fil aux différents cabinets dentaires de la commune, d’abord les plus proches, puis d’autres, plus éloignés. Avec chez tous la même réponse des secrétariats : « Êtes vous déjà soigné par le docteur X ? » Non, bien sûr, puisque je cherchais justement un nouveau médecin. « Ah, mais dans ce cas, nous sommes désolés, mais le docteur X ne prend plus de patients. »

 

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Je cherchais en vain la faille, sans la trouver. Nous en étions à jeudi. J’allais de plus en plus mal, malgré le paracétamol, l’aspirine, les bains de bouche, et jusqu’à, cerise sur le gâteau, l’huile essentielle de clous de girofle prescrite par ma pharmacienne compatissante – au bout d’un moment on serait prêt à appeler le marabout du coin pour espérer soulager la douleur. Je tentais même de forcer la main des praticiens en me rendant sur place. Le premier cabinet dans lequel je pénétrais, le vendredi après-midi, était d’une tranquillité sépulcrale : pas un patient dans la salle d’attente, pas de secrétaire d’ailleurs derrière le comptoir, puis, au bout d’un moment, le passage d’un dentiste à qui j’exposai mon problème – le fait que je souffrais depuis une semaine -, mais qui me répondit que son carnet de bal était complet et qu’il lui était impossible de jeter un coup d’œil à ma mâchoire. Ma dernière tentative fut un échec encore plus cuisant, puisque, ne trouvant pas le cabinet, j’appelais de la rue son secrétariat, déclenchant un refus hystérique à la seule idée que je puisse venir taper à leur porte.

Pour tous, il ne me restait en fait qu’une solution : me rendre aux urgences organisées par les dentistes du département le dimanche matin, de 10 heures à 13 heures Après donc une semaine ou presque de nuits au sommeil chaotique et une fièvre qui se diffusait lentement mais sûrement, j’apprenais sur le répondeur dédié que le praticien de garde était à 40 km. Quand on a mal, c’est comme quand on aime, on ne compte pas, mais on se demande comment font ceux qui ne disposent pas d’un véhicule… À 11 heures, je garais donc mon véhicule sur la place de Montebourg l’une de ces villes normandes dont l’urbanisme a été restructuré par nos amis américains en 1944, et je poussais la porte du cabinet.

 

Mais la réalité est encore plus grave : il n’y a plus, dans la France périphérique, celle des bien nommés « déserts médicaux », de possibilité de se faire soigner dans un délai normal.

 

Dans la salle d’attente comme dans le couloir, une bonne quinzaine de personnes attendaient leur tour. Dans mon Cotentin, je retrouvais sans surprise un panel somme toute très représentatif de la France périphérique : le trentenaire avec tatouage maori, cheveux rasés et barbiche ; le vieux couple où l’on ne sait plus qui a le plus mal tant ils le vivent ensemble ; la dame d’un certain âge, très bien mise, à laquelle les enfants passent parfois un coup de téléphone ; la mère et son enfant scotché sur son smartphone… Pas de bénéficiaires de l’AME ici, juste de braves cotisants. C’était la France de toujours, et Jules Renard n’aurait sans doute pas été dépaysé s’il s’était assis comme moi au milieu d’eux. Une France amenée là par les mêmes refus que ceux que j’avais subis, et dont les parents, bien sûr, mais sans doute aussi les grands-parents, avaient été mieux soignés.

C’est à 15 heures, soit deux heures après la fin officielle de leur temps de présence en tant qu’urgentistes, que je fus reçu par une praticienne et son aide-soignante. N’ayant ni l’une ni l’autre pris le temps de déjeuner, et ayant encore devant elles au minimum une heure de consultation, sinon deux, elles étaient sympathiques, compétentes, et, oserais-je l’avouer, particulièrement charmantes. Mais on n’était pas là pour plaisanter. En trois minutes le diagnostic était posé : infection à la racine d’une dent couronnée, impossible donc à traiter immédiatement. Après m’avoir pourvu d’une ordonnance prescrivant des antibiotiques, il ne leur restait plus qu’à me conseiller de chercher une solution peut-être du côté de Caen, à 110 km de mon domicile où, et encore ne le garantissaient-elles pas, s’étaient installés de nouveaux venus dont le cabinet n’était pas encore saturé.

 

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Cela, cette galère, c’est la vie ordinaire de la France périphérique. Il faut chez moi un an pour être reçu par un ophtalmo… à condition encore d’être déjà pa tient à son cabinet ; idem pour les autres spécialités. Quant à la médecine générale, depuis que mon médecin a pris sa retraite, je cherche en vain le fameux « médecin traitant » que les mutuelles aimeraient me voir trouver : tous les cabinets auxquels je me suis adressé sont pleins. Il m’est arrivé d’avoir à consulter lors d’un récent passage à Rabat (Maroc) : j’ai eu un rendez-vous dans la journée avec un médecin compétent. On mesure ici la tiers-mondisation de notre pays en termes d’offre de soin. La crise des urgences hospitalières, là aussi catastrophique, est une chose. Mais la réalité est encore plus grave : il n’y a plus, dans la France périphérique, celle des bien nommés « déserts médicaux », de possibilité de se faire soigner dans un délai normal.

Que reste-t-il ? Le carnet d’adresses pour ceux qui peuvent – sans parler des privilégiés qui comptent des médecins dans leur famille. Les déplacements, longs et coûteux, dans des villes ou des zones mieux pourvues. Et, en cas de crise, les urgences, quand toutes les autres portes sont fermées, ajoutant à leur saturation. Avec pour le tout-venant comme moi un regret : ne pas être de ces « sans dents » dont parlait avec cet humour qui faisait tout son charme le regretté François Hollande. Le problème serait réglé…

 

Christophe Boutin

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