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Et si, malgré les apparences, le progressisme, tel qu’il règne aujourd’hui, n’était que la forme dégénérée du conservatisme ?
L’humanité se définit sous deux acceptions, qui la singularisent, celle du progrès et de la conservation. En fait, même, elle progresse parce qu’elle conserve, et elle conserve pour progresser. Le reste n’est que littérature. D’où le lien nécessaire entre conservation et utilité, qui donne au conservatisme sa forme noble à l’opposé d’une posture réactionnaire, recroquevillée sur ses acquis et ses traditions qu’elle idolâtre plus qu’elle ne les honore. L’homme est un être d’habitudes, mais n’étant pas seulement un animal, il s’avère aussi voué au changement, capable de se bouleverser ; un être dont la nature même souhaite le dépassement. « L’homme passe l’homme », écrit Pascal, et Nietzsche appelle le surhumain. Aux deux extrémités du spectre de la pensée, il existe, pour ces deux scrutateurs de l’âme humaine, la même conviction : l’homme ne possède pas en lui la fin vers laquelle il tend.
Le progressisme devient conservateur
Surgi du conservatisme, le progressisme a fini par se séparer de sa racine originelle pour pousser tout seul, abandonnant la souche à une vie sans substance, à une espèce de bois majestueux encore, mais mort pour de bon. De là la naissance, en terre de modernité – cette ère que l’on pourrait définir, dans sa part nihiliste, comme le lieu de l’affrontement fratricide de tout ce qui naturellement devrait se trouver uni – de ces deux courants, le progressisme et le conservatisme, métamorphosés soudain en ennemis mortels. Plus encore, l’interchangeabilité de ces deux dynamiques s’amorce à mesure qu’elles radicalisent leur opposition politique. Elles se séparent et finissent, à force de s’être éloignées, par se ressembler, l’une n’étant plus obligée de se singulariser en fonction de l’autre.
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Car le progressisme lui-même, en s’impatronisant monarque, devient conservateur ; et non pas relativement mais absolument. Lui qui incarnait un chemin se transforme soudain en but ; le moyen qu’il était de mettre en valeur ce que l’on conservait, et que l’on conservait pour la raison que cela pouvait servir au-delà de son utilité ou de sa raison d’être première, abandonne sa boussole pour envahir et finalement remplacer l’ensemble de la carte. Le progrès devient une topographie. On ne pense alors plus rien autrement que dans ses termes, voire on ne pense plus rien qui ne possède l’apparence du progrès quand, métamorphose ultime, le progressisme devient réactionnaire, au sens le moins large possible, c’est-à-dire réaction contre tout ce qui n’est pas lui.
Le progressisme ou l’inverse du progrès
On ne compte plus les « acquis » prétendus qui, en réalité n’en sont plus vraiment et finissent par se confondre avec des visions du monde rétrogrades produisant l’inverse de ce pour quoi ils ont été obtenus. Par exemple : « l’éducation pour tous » qui, à force de pédagogie malade, a fini par pénaliser les plus faibles, ceux qui ne disposent pas des ressources personnelles leur permettant de gagner cette culture que l’école ne leur transmet plus. Ou encore : l’antiracisme qui, au lieu d’unir les communautés par-delà leurs différences, finit de les hypostasier à un tel degré qu’elles érigent désormais des murailles derrière lesquelles chacune se cache afin de se pré- munir des pogroms de demain dont on sent qu’ils sont, plus que jamais, dans l’air du temps. La technique même grâce à laquelle on espérait, il y a encore cinquante ans, conquérir l’espace, semble destinée à des fins domestiques, à améliorer microscopiquement (la PMA) des conditions de vie qui ne cessent de se dégrader dans leur ensemble (l’ubérisation des utérus, entre autres, la PMA encore).
Par contre, les tenants de la Réaction et du conservatisme, s’ils goûtaient un peu Machiavel, pourraient se réjouir du pédagogisme puisqu’il générera en dernière instance la faillite générale de l’éducation nationale et la domination sans partage des écoles hors contrat d’où surgira l’élite qu’ils ne cessent de réclamer
Par contre, les tenants de la Réaction et du conservatisme, s’ils goûtaient un peu Machiavel, pourraient se réjouir du pédagogisme puisqu’il générera en dernière instance la faillite générale de l’éducation nationale et la domination sans partage des écoles hors contrat d’où surgira l’élite qu’ils ne cessent de réclamer. De la même façon, l’antiracisme fou qui a réveillé des communautés pour une bonne part d’entre elles endormies plusieurs décennies durant, oblige celles-ci à questionner à nouveau leur identité pour en reposer les bases, loin d’un monde qui selon la Réaction avait vocation de les anéantir. Tandis que la technique conjuguée à l’ultra-libéralisme promet l’érection d’un monde beaucoup plus violent, hiérarchique, et fort éloigné de la vision aseptisée de l’univers des bisounours que vomissent certains contempteurs des supermarchés…
Le dominant est toujours conservateur
Devrions-nous à partir de tout cela constater la défaite du progressisme, son échec ontologique ? Certes, sauf que c’est plutôt l’esprit de son contraire, en fait, qui l’a subverti et qui domine à présent. Celui qui domine souhaite avant tout conserver sa domination, or toute domination procède d’abord d’une domination des valeurs. Si ses valeurs s’imposent, il peut réclamer pour lui ce trône qu’il perdra si d’autres valeurs viennent remplacer les siennes. Le dominant s’avère donc conservateur dans la mesure où ses valeurs, liées à sa puissance, il les maintient pour se maintenir, tandis que le dominé est toujours un révolutionnaire : soit qu’il veuille retourner au temps de sa domination ou renverser le pouvoir en place qui « l’oppresse ». De fait, les progressistes s’imposent alors comme les conservateurs de leurs propres valeurs, sans qu’il ne leur importe plus qu’elles soient source de progrès ou non.
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Délivrée du souci de dépassement qui l’anime, la posture conservatrice, au-delà de l’évidence, règne chez les progressistes qui n’en arborent plus que le nom et ces oripeaux qu’ils agitent comme des gris-gris destinés à effrayer leurs adversaires. Le temps de la mesure comme celui de la réflexion semblent avoir été abolis au profit d’un affrontement qui ne tient plus rien de la dialectique, mais tout de la politique d’extermination. Détruits, les liens qui unissent les contraires afin de les articuler, et, peut-être est-ce cela que les conservateurs les mieux inspirés reprochent aux progressistes – quand la dynamique d’une civilisation n’est plus pour eux une simple prolifération cancéreuse aux métastases fatales qu’il importe d’anéantir à grand renfort de chimiothérapie violente.
Et si, en fin de compte, nous voulions véritablement prendre la posture de l’iconoclaste et cracher sur l’esprit du temps, nous devrions alors moins opposer le conservatisme au progressisme, que cracher sur ce qui les délie en permanence afin de les rendre, chacun, inutiles d’abord puis nocifs ensuite, des énergies entropiques, enfin, puissamment destructrices parce que fonctionnant en sens inverse de tout ce qui marque la dignité d’une civilisation vouée à son propre surmontement et évoluant ainsi depuis toujours…
Là, alors, se situe l’enjeu profond du conflit entre conservatisme et progressisme, moins guerre de chapelles qu’œuvre d’un nihilisme actif jouant à qui perd gagne, et vitrifiant la société dans un immobilisme qui, en prime, ne s’en trouve que plus fatal puisqu’il fait accroire qu’il se meut. Car comme l’homme, le conservatisme ne tient pas en lui sa propre fin, et comme l’homme, le progrès ne tient pas en lui les moyens de son propre achèvement…
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