Chères lectrices, chers lecteurs, je vous présente mes meilleurs vœux pour cette année 2023. Après les incendies, les attentats, les pandémies, les guerres, la fonte des glaces et les livres de Virginie Despentes, il est temps de jeter un peu de sauternes sur la flamme de l’espérance. Au fond, tout cela peut faire de très bons sujets pour les romans à venir (hormis les succès de Virginie Despentes). Joseph de Maistre aurait adoré, qui considérait que les périodes historiquement cruelles et artistiquement valables se superposaient au point de déclarer : « En un mot, on dirait que le sang est l’engrais de cette plante qu’on appelle génie ».
Quand le monde a l’air calme et la vie matérielle satisfaisante, on s’illusionne beaucoup sur la solidité des choses et l’âme a tendance à pourrir.
Au XXè siècle, cette affirmation pas franchement sociale-démocrate s’est vérifiée, si l’on considère la génération traumatisée mais grandiose qui émergea depuis les gaz et les schrapnells de la Grande Guerre, son audace, son style, ses mille répliques explosives à la destruction qui ne l’avait pas éteinte. Les prospères années 70 font pâle figure à comparer, on sent que l’homme comblé et à peu près rassuré s’ennuie, alors il joue (Pérec), invente des jeux dangereux (L’Homme-Dé, de Rhinehart), voire très dangereux (Crash, de Ballard). Les universitaires vedettes prennent la place et la pose des poètes maudits : Deleuze, Foucault, Derrida inventent la déconstruction transgressive d’un monde trop rationnellement mis en ordre. Pourtant leur propre délire est lui-même absurdement rationnel. Tout cela manque de folie lucide, d’urgence métaphysique, de vers composés transi dans la proximité des bombes. Trop de mécano, trop de posture, trop de concepts ; et pas assez de génie fulgurant.
Quand le monde a l’air calme et la vie matérielle satisfaisante, on s’illusionne beaucoup sur la solidité des choses et l’âme a tendance à pourrir. L’art devient moins artiste et plus artificiel, parodique, hystéro-narcissique. C’est qu’on crée toujours à partir des crises et que si la crise est permanente, cette réalité s’estompe sous le vernis du confort. Les fonctions principales de l’art : sublimer la souffrance, déjouer l’angoisse, tenir tête à la mort, se voient moins naturellement sollicitées dans des périodes trop délibérément insouciantes. On s’excite tout seul, on suit sa lubie, on perd le cœur du drame. À la fin, la moisson est avare des chefs-d’œuvre espérés, la terre comme asséchée par un soleil idiot.
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De ce point de vue, donc, chères lectrices, avouons que l’époque n’est pas si dégueulasse. Pourquoi ne pas nous réjouir, chers lecteurs, des défis qu’elle fait pleuvoir sur nous ? Tout tremble et perd son évidence, de la perpétuation de la France à celle de la planète, de la distinction du réel et du fantasme à celle opposant les sexes, de la possibilité d’un destin, autant individuel que collectif. Plus rien ne va de soi, tandis que les missiles sifflent à nouveau dans le ciel européen, que les épidémies gâchent les cohues consuméristes, que nos monuments brûlent.
Le climat est favorable ; favorable à faire grandir des œuvres et des hommes d’une meilleure facture que lors des dernières décennies : racines renouvelées, formes élaguées, cimes hautes. Le climat est favorable à disperser bois mort et pousses faibles. Aussi réjouissons-nous, même en plein cœur de l’apparent chaos, rappelons-nous que si nous perdons quelques certitudes et une sérénité surfaite, nous gagnerons beaucoup par ailleurs. Laissez-moi vous présenter tous mes vœux de croissance et d’extase.
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