Pierre-Guillaume de Roux s’est envolé et, avec lui, un certain degré de légende comme une certaine notion de l’honneur en littérature. Je me souviens très bien comment on m’avait interrogé à son sujet, en 2017, lorsque Le Monde préparait un dossier à charge contre l’« éditeur des maudits ». J’avais alors passé une heure dans un café avec un journaliste qui souhaitait me questionner sur Pierre-Guillaume en vue de cet article. Le garçon était sympathique, il s’était montré vraiment curieux, sincèrement intéressé par ce que je lui rapportais de mon expérience du milieu littéraire des dix dernières années : les « affaires », les faux scandales, la mainmise d’une certaine gauche et ses oukazes, et comment Pierre-Guillaume était un homme libre et non la caricature à quoi son journal avait prévu de le réduire.
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Le journaliste prenait des notes, me relançait, paraissait tout comprendre et admettre. Quand nous nous levâmes, il m’invita en me disant : « C’est la presse bien-pensante qui paye ! » J’avais souri et lui avais rétorqué que la Bien-Pensance avait cet avantage d’être aussi bien-payée, ce qui n’était pas le cas des articles que j’écrivais, alors, ni celui de Pierre-Guillaume qui pouvait éditer Tarr, de Wyndham Lewis, le vorticiste anglais, et investir dans une traduction de 400 pages pour ne vendre que quelques centaines d’exemplaires de ce chef-d’œuvre des avant-gardes que personne, si ce n’est lui, n’aurait eu le courage de proposer au public.
Rien, de cette heure de conversation que je n’avais pas sollicitée ne fut jamais cité dans le portrait que Le Monde dressa de Pierre-Guillaume de Roux. Rien. Ça n’allait pas dans le sens prévu. La caricature, la superstition pour gauchiste émotif en manque de loup-garou, voilà qui devait résolument nourrir le lecteur infantile du quotidien, au point même qu’on y trouvait un témoignage de Jean-Luc Barré, ancienne plume du roi des ploucs, prince des traîtres et liquidateur du gaullisme qu’on connut sous le nom funeste de Jacques Chirac, et auteur, ce Barré, d’une biographie de Dominique de Roux, scolaire, poussive, illisible sans l’éclat du sujet, qui se permit, dans cet article, de mépriser le fils. Il faut dire que Barré était devenu entretemps suppôt de François Hollande. Ainsi, depuis la nuit des temps, les arrivistes jugent-ils les aventuriers.
Pierre-Guillaume était un héritier qui avait hérité d’une attitude, d’un idéal, d’un courage, d’une difficulté, donc, pendant que la plupart essaient de faire carrière et épousent simplement les lieux communs de leur époque
Nous parlons dans le vide, semble-t-il. Évidemment qu’il n’y a pas de débat, de loyauté, que tous les dés sont pipés. Pierre-Guillaume était un héritier qui avait hérité d’une attitude, d’un idéal, d’un courage, d’une difficulté, donc, pendant que la plupart essaient de faire carrière et épousent simplement les lieux communs de leur époque pour s’y introduire sans obstacle. Il relevait une charge, avec courage, avec talent, la majorité se vend pour rien. La désaffiliation qui domine n’est que le moyen le plus rapide de se prostituer. Pierre-Guillaume conserva intact le culte de la littérature et son caractère se découpe encore dans l’air, parmi la vanité des engouements éphémères et des compromissions communes, sa haute silhouette s’affirme et résiste.
L’apostasie est la chose aujourd’hui la mieux partagée qui soit. Se renier, voici la grande passion du temps. La masse abrutie et ses abrutisseurs confondent vacuité et liberté, nihilisme et dépassement, sabotage et conquête. C’est pourquoi, comme le démontre éloquemment Patrice Jean, il est indispensable d’apostasier l’époque. Ceux qui ne le peuvent ne seront jamais que ses spectres, et ils nous font même davantage pitié que les morts.