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Éditorial essais de juin : Deux critiques

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Publié le

4 juin 2022

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Le numéro 54 est disponible depuis ce matin en kiosque, par abonnement, et à la demande sur notre site. Voici l’éditorial essais, par Rémi Lélian.
aveugle

Deux critiques : celle du psychologue et celle du phénoménologue. Le premier croit profondément que le monde tel qu’il évolue, l’appareillement technique, la virtualisation de tout ou presque qui en découle irrémédiablement, ne font que révéler en nous des dispositions déjà présentes que le progrès exacerbe.

Autrement dit, alors que chacun se précipite vers l’irréalité organisée par internet ou les espérances transhumanistes, il ne s’effraie pas d’une transformation de l’homme, mais d’une réalisation de celui-ci, d’une réalisation totale parce que c’est là le vœu profond et démoniaque de l’humanité lorsqu’elle se renie pour se croire solitaire : se définir en elle-même, telle qu’en elle-même, pour elle-même et sans rien d’autre pour la gouverner que ses propres forces. Aussi, le psychologue ne s’étonne pas du flicage, ni de l’emprise des réseaux sociaux, puisqu’il les considère simplement comme les outils permettant ce projet d’une réalisation humaine et seulement humaine qu’il déplore comme on déplore une maladie, tandis que le phénoménologue, s’intéressant uniquement aux phénomènes ne verra jamais l’origine de ce qu’il condamne, la confondant avec ses manifestations. Au fond, il s’agit là d’une question de situation du Bien et du Mal. Le psychologue les décèle dans l’homme, le phénoménologue, quand il se pique de politique et de morale, dans ce qui l’entoure, quitte à cela de réduire l’intériorité humaine uniquement à sa perception pour nous désespérer en nous déresponsabilisant. 

Lire aussi : Éditorial essais de mai : Problème et programme

Bien sûr ces deux postures critiques ont leur utilité, tant âme et phénomène s’entrelacent et s’influencent réciproquement dans notre vie sensible, politique et morale, mais il nous faut admettre que le phénoménologue l’emporte aujourd’hui en nombre sur le psychologue, qu’on critique avec beaucoup d’aplomb et non sans quelque pertinence tout ce qui agit sur nous et tout ce sur quoi nous agissons sans que l’on se pose jamais vraiment la question de ce qui, des profondeurs de notre être, nous pousse à agir sur ce que nous appréhendons. Même les tenants d’un invariable humain, ceux qui pensent qu’on ne peut faire n’importe quoi avec l’humaine nature et qu’il faut la domestiquer plutôt que la réaliser selon sa propre volonté, semblent avoir oublié que tout ce qui nous menace à présent nous menace depuis l’origine, que Prométhée n’est pas nouveau et que nous gravitons perpétuellement selon les lois du Péché dès que nous sortons du giron de ce qui nous sauve et lutte contre la Faute.

Bref, on entend le procès permanent de la technique, celui de la modernité, des mégastructures, on moque le Spectaculaire et on dénonce la façon dont il a dilué la vérité pour imposer sa parodie, on prend la pose du prophète, sans cependant avoir pris la peine de s’atteler un instant seulement à rappeler la vérité compliquée de l’homme, laquelle est irréductible aux phénomènes et s’origine dans le secret de l’être. 

On demeurera aveugle aux phénomènes tant qu’on sera aveugle à l’homme

Mais cessons de faire du Heidegger de comptoir, car notre propos ici n’est pas métaphysique mais moral, il est conséquemment politique : on demeurera aveugle aux phénomènes tant qu’on sera aveugle à l’homme et à la place singulière qu’il occupe dans un monde qui dépend de lui autant que l’homme ne dépend pas de lui-même ; on n’organisera aucune cité sans accepter qu’elle advient selon notre responsabilité, que c’est contre nous-mêmes que nous devons être vigilants et que ce qui soudain nous nie, nous l’acclamions peu avant comme nôtre. On pourra alors parfaitement désespérer des phénomènes et finir par oublier que rien ne va, ni n’ira, ni n’a jamais été dans le monde des phénomènes, que tout est à faire, toujours, et que si tel n’était pas le cas nous ne regarderions le monde ni en psychologue ni en phénoménologue mais en bêtes.

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