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Émeutes en Corse : « C’est maintenant au tour de l’Etat de faire un geste »

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Publié le

10 mars 2022

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Jean-Michel Mosconi est délégué LR de la deuxième circonscription LR de Corse du Sud et responsable corse d’Oser La France, mouvement présidé par Julien Aubert. Fin connaisseur de l’île de beauté, il a eu l’amabilité de répondre à nos interrogations sur les émeutes en cours en Corse.
Colonna

Pouvez-vous nous expliquer concrètement ce qui se passe actuellement en Corse ? La situation internationale obligeant les chaînes d’information en continu à s’occuper principalement de l’Ukraine, nous n’avons pour l’instant que des vidéos d’émeutes diffusées sur les réseaux sociaux.

Je vais essayer de vous résumer tout ça. Cela fait quelques années déjà que traîne cette histoire du rapprochement des détenus corses de leurs familles, conformément au droit en vigueur.  Yvan Colonna et les co-accusés Alain Ferrandi et Pierre Alessandri devaient bénéficier selon les textes, de la levée du statut de détenus particulièrement signalés (DPS) et d’une procédure de rapprochement avec l’île. Le problème est que les établissements pénitentiaires de Corse ne sont pas adaptés à l’accueil des DPS. Donc tant que leur statut n’est pas levé, ils ne peuvent pas bénéficier de la procédure de rapprochement. Cette situation particulière s’ajoute à un contexte de tensions entre les nationalistes au pouvoir et l’Etat français aujourd’hui fragilisé par les Gilets Jaunes ou la situation internationale.

L’agression d’Yvan Colonna s’inscrit aussi dans une question lancinante de la société corse qui trouve une caisse de résonance dans la société française dans son ensemble. On peut tous constater qu’il y a une différence de traitement manifeste entre les détenus islamistes et les autres. Paradoxalement, les conditions de détention sont bien plus ouvertes pour ces personnes radicalisées et non réinsérables. La justice envisage plus facilement leur libération potentielle et leur détention est plus souple. Cela a exacerbé le sentiment d’injustice ressenti en Corse. D’autant plus que l’agression d’Yvan Colonna est particulièrement trouble. Songez que deux détenus DPS sont restés seuls pendant 8 minutes alors qu’Yvan Colonna n’a droit qu’à 20 minutes de sport par jour. Les détenus ne sont d’ailleurs intervenus qu’après que son agresseur Franck Elong Abé, djihadiste du Cameroun âgé de 36 ans, n’ait frappé à la porte fermée par les gardiens pour signaler que monsieur Colonna avait fait un « malaise cardiaque ». De quoi laisser place à des interprétations…

Lire aussi : Le sens du projet Macron

Quel rôle a joué Emmanuel Macron là-dedans ? Le Canard Enchaîné a révélé que le président avait conclu un accord secret avec les responsables autonomistes.

Il faut savoir que la majorité actuellement au pouvoir penche plutôt du côté autonomiste qu’indépendantiste. Ainsi, ils avaient appelé à voter Emmanuel Macron en 2017. Paul-Toussaint Parigi, sénateur de Corse et proche de Gilles Simeoni, siège avec Europe Ecologie Les Verts. Tout ça pour vous faire comprendre que les nationalistes sont dans une position politique très compliquée : leur électorat est très à droite comme le montrent les élections nationales mais eux sont plutôt de gauche. Ils ont une inclinaison naturelle pour Emmanuel Macron. Cette dichotomie entre les dirigeants nationalistes corses de gauche, comme leurs homologues catalans en Espagne, et les idées jacobines ou faussement décentralisatrices de la gauche au plan national, les met en grandes difficultés. Emmanuel Macron n’est par exemple pas un ami de la Corse. Les élus nationalistes vont naturellement à gauche sans se demander si la gauche porte un vrai projet de décentralisation. Il semble que dans la continuité de ce qu’il a fait, Emmanuel Macron ait mis dans la balance une forme d’autonomie renforcée tout en proposant le rapprochement des détenus, en vue d’un soutien à l’élection présidentielle.

On peut tolérer des manœuvres électorales, elles font partie du jeu politique en Corse comme ailleurs en France, mais en l’espèce celle-ci laisse une impression étrange après ce qui est arrivé à Yvan Colonna. Y aurait-il eu une intervention de barbouzes pour faire capoter l’accord et mettre Emmanuel Macron en difficultés ? Yvan Colonna serait alors la tragique victime collatérale d’une manœuvre au sommet. Serait-ce, sinon, le résultat d’une simple négligence coupable d’un Etat incapable de garantir une sécurité minimale aux DPS alors même qu’ils ont ce statut officiellement pour prévenir ce type de violences ?

« Emmanuel Macron n’est par exemple pas un ami de la Corse. »

Jean-Michel Mosconi

Vous sous-entendez qu’il pourrait y avoir eu un complot ? Mais de qui ?

Non, non. Je m’interroge. Je trouve ce télescopage suspect.  Peut-être est-ce le fait d’une résistance classique du jacobinisme d’Etat ou une opération plus ciblée contre Emmanuel Macron. Je répète, ce ne sont que des spéculations de ma part mais certains éléments me semblent étranges. Il y a eu un envoi préventif de CRS sur l’île avant la révélation de tous les faits. Par ailleurs, le Garde des Sceaux a lui-même été l’avocat d’Yvan Colonna et a dû de ce fait délaisser le dossier à Matignon. Tout ça mis bout à bout, ainsi que les maladresses chroniques de l’exécutif, comme on a pu l’observer au moment de la crise des Gilets Jaunes, font que la situation ne s’apaise pas.

Comment voyez-vous la suite des évènements ?

Nous sommes pour l’instant dans la première phase. On observe que la classe politique insulaire est tétanisée. Ils se sont rendus à la première manifestation mais maintenant que ça cogne ils ne s’engagent plus trop ouvertement. Au premier regard, on pourrait supposer que ça fait le jeu des nationalistes. C’est plus compliqué. Les indépendantistes sont évidemment plus mobilisés et les autonomistes semblent plus en retrait pour le moment. C’est de la cuisine interne. En outre, les autonomistes sont très divisés. Simeoni a des conflits avec Angelini, maire de Porto-Vecchio qui a quitté sa majorité. Jean-Guy Talamoni a été écarté. Cela répondait d’ailleurs aux exigences du président qui voulait que Simeoni vire les indépendantistes de son exécutif. Pour les autres forces politiques, comme la droite locale, nous devons être solidaires du mouvement mais aussi appeler à la raison. Mercredi, les tensions sont montées d’un cran.

Lire aussi : Yvan Colonna réveille la Corse

Je crois donc que c’est maintenant au tour de l’Etat de faire un geste C’est la seule organisation en mesure de le faire, ce ne sont pas les partis ou les syndicats qui le pourront. Il faut alléger les dispositifs de CRS en les cantonnant aux bâtiments de l’Etat et en pariant sur le fait que les gens se rendent compte qu’il n’ay pas grand-chose à casser. Il faut aussi qu’un représentant important de l’exécutif  prenne la parole sur l’affaire et assume les responsabilités. Toute proportion gardée c’est un peu comme pour les Gilets Jaunes. Il ne peut pas y avoir d’initiative de la rue car il n’y a pas de représentants ayant autorité sur ce mouvement spontané. L’Etat doit être transparent sur l’agression. La proposition de la levée du statut de DPS d’Yvan Colonna par Jean Castex, alors que ce dernier est entre la vie et la mort était peut être un geste d’apaisement mais a été très mal perçu. Au mieux c’est bête, au pire c’est du cynisme.

Il faut donc lever le statut de DPS d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri pour qu’ils puissent se rapprocher de leurs familles, ce serait un vrai geste d’apaisement. Ce ne serait d’ailleurs pas un traitement de faveur mais un alignement sur les conditions des autres détenus. Il faut noter qu’ils sont des détenus modèles. Ferrandi a déjà été agressé à coups de boules de pétanques. Ils sont en danger. Aussi grave que puisse être l’assassinat d’un préfet, je doute fort qu’un de ces détenus fasse ce qu’a fait l’assassin du père Hamel quand il a été libéré. La probabilité est proche de zéro.

« Nous avons un problème majeur d’islamisme dans les prisons françaises et  la différence de traitement est profondément injuste. »

Jean-Michel Mosconi

Même les gens qui condamnent sans réserve le meurtre du préfet Erignac sont gênés par la situation parce qu’on est en dehors des clous en droit. Le minimum c’est de les renvoyer en Corse. Ne serait-ce que pour leurs enfants. Ce geste honorerait notre pays. Nous avons un problème majeur d’islamisme dans les prisons françaises et  la différence de traitement est profondément injuste. Si on était dans un système ferme et équitable, on pourrait comprendre. Là ça sonne comme une inégalité de traitement. J’ajoute que la Corse souffre des mêmes tensions communautaires que la France continentale. Il y a eu les émeutes du Jardin de l’Empereur. L’Etat serait bien inspiré de faire profil bas et de montrer qu’ils s’intéressent à ces problèmes au sommet et qu’ils cherchent à trouver une solution sur le terrain. Le préfet doit dialoguer avant que la situation ne dégénère totalement. Surtout que l’un des blessés les plus grave est le neveu d’un leader nationaliste…

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