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Extension du délai de recours à l’IVG : la droite et le centre attendus au tournant

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Publié le

7 octobre 2020

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Ce jeudi, une proposition de loi visant à étendre le délai de recours à l’avortement est examinée par la représentation nationale. La majorité semble divisée sur la question, entre la frange progressiste de ses députés qui y est favorable, et le gouvernement qui serait plutôt réticent. La droite et le centre pourraient profiter de cette division pour faire barrage au texte.

232 000 avortements pour 753 000 naissances, soit une IVG pour trois naissances. Jamais les Françaises n’ont autant eu recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) qu’en 2019, un chiffre en hausse constante depuis la loi de 1974. Simone Veil disait alors que l’avortement devait rester une exception. Pourtant, une proposition de loi portée par le groupe EDS (Écologie, démocratie et solidarité) entend élargir et faciliter davantage encore l’accès à l’IVG. Les députés de la commission des Affaires sociales ont ainsi adopté mercredi le texte présenté par la députée EDS et ex-LREM Albane Gaillot, qui prévoit notamment l’allongement du délai de recours à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse. La proposition de loi, qui ambitionne de mettre fin aux derniers « obstacles à la pleine effectivité de ce droit fondamental », prévoit également la suppression de la clause de conscience, qui permet aux médecins de ne pas pratiquer l’avortement si cela va à l’encontre de leurs convictions personnelles.

Sous l’impulsion des députés LREM, la commission a encore amplifié la portée du texte de départ, en votant un élargissement des compétences des sages-femmes afin qu’elles puissent pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à la dixième semaine de grossesse. Les députés ont aussi voté la suppression du délai de deux jours entre la confirmation écrite d’une femme et la pratique de l’IVG, qui pourrait donc se faire sans délai suite à la consultation. Enfin, la proposition prévoit la remise par le gouvernement au Parlement d’un rapport sur l’application de la législation relative au délit d’entrave à l’IVG, proposant le cas échéant des pistes d’amélioration.

Lire aussi : Docteur Rochambeau : « L’avortement à 14 semaines consiste à broyer le crâne d’un foetus »

Le texte, discuté ce jeudi à l’Assemblée nationale, est porté par une majorité hétéroclite, allant de Marie-Georges Buffet (Parti communiste) et de Danièle Obono (La France Insoumise) à Richard Ramos (Modem) et Raphaël Gérard (En Marche), en passant par toutes les nuances du progressisme. 

Une majorité divisée et un président furieux

Cette proposition de loi semble pourtant bien éloignée des positions d’une majorité de Français sur la question. Un sondage IFOP commandé par Alliance VITA souligne pourtant la grande prudence des Français à l’égard de l’IVG : 51% d’entre eux jugent « préoccupant » le nombre d’IVG pratiquées en France, l’avortement étant « un acte que l’on préférerait éviter ». 92% des Français pensent qu’un « avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes ». Un chiffre qui surprend Emmanuelle Ménard : « Ça prouve que dans l’esprit des Français, et malgré l’air du temps, avorter n’est pas un acte banal ». Sur cette base, une très large majorité d’entre eux souhaitent donc améliorer la prévention et les solutions alternatives à l’avortement : 73% considèrent ainsi que « la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’Interruption volontaire de grossesse ». 88% se disent favorables à une étude des causes et conséquences de l’avortement pour améliorer sa prévention, et 84% à la réintégration du détail des aides aux femmes enceintes dans le livret officiel d’information des consultations pour IVG. On le voit, les Français refusent la banalisation de l’avortement et privilégient autant que faire se peut des solutions alternatives.

Emmanuelle Ménard : « Ouvrez une fenêtre internet et allez voir à quoi ressemble un bébé de 14 semaines dans le ventre de sa mère. Visuellement parlant, c’est très frappant : c’est un bébé »

Précisant qu’elle ne porte aucun jugement de valeur sur les femmes ayant avorté, Emmanuelle Ménard s’oppose donc au texte « pour des raisons très simples : ouvrez une fenêtre internet et allez voir à quoi ressemble un bébé de 14 semaines dans le ventre de sa mère. Visuellement parlant, c’est très frappant : c’est un bébé ». Julien Aubert (LR) ajoute : « On franchit une ligne rouge. À 14 semaines, on extrait un fœtus qui a un crâne qu’on est obligé d’écraser ». Le docteur Rochambeau avait décrit cette pratique dans un entretien pour L’Incorrect il y a quelques jours. Le Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF) a lui aussi ouvertement exprimé son désaccord avec le texte, précisant que le geste d’IVG entre 12 et 14 semaines n’a plus rien à voir avec celui qui est actuellement pratiqué.

Le texte est discuté ce jeudi à l’Assemblée nationale en séance plénière, et le moins que l’on puisse dire est qu’il divise en profondeur les rangs la majorité présidentielle. Les députés LREM présents en commission des Affaires sociales ont adopté et approfondi la portée du texte initial. À l’inverse, le Président de la République serait furieux, alors que le gouvernement se dit opposé au texte et a appelé ses députés à voter contre. Des poids lourds de la majorité auraient pourtant indiqué vouloir faire fi des consignes gouvernementales et voter favorablement.

Lire aussi : Loi bioéthique épisode 1 : le braquage législatif

Agnès Thill, ex-député LREM et membre du groupe UDI et indépendants, n’est pas étonnée par ces divisions : « Il y a toute une frange de LREM qui est d’accord avec les députés partis chez EDS ». Difficile donc de prévoir de quel côté balancera la majorité : « Sur les sujets sociétaux, les militants sont là. Et s’il n’y a qu’eux… » Plus optimiste, Emmanuelle Ménard considère que « si le gouvernement officiellement appelle à voter contre, ils voteront contre car il reste pour une grande majorité d’entre eux des suiveurs ». Le député LR Xavier Breton espère bien que ces tensions au sein de la majorité permettront de dégager « une majorité pour dire non à ces idéologies qui sont toujours dans la surenchère. » Une position partagée par Nicolas Meizonnet, député RN : « Cette proposition de loi est le fait de députés minoritaires. Je pense qu’il y a en cas de mobilisation une possibilité que le texte soit rejeté. J’ai espoir ».

Pas de consigne de vote chez LR

En clair, tout pourrait bien reposer sur la droite et le centre : en votant unanimement et en nombre contre, ils pourraient bien réussir à faire barrage au texte. L’action parlementaire des uns et des autres sera donc cruciale. Agnès Thill, qui a déposé quinze amendements, indique que « l’ensemble du groupe UDI et Indépendants votera contre le texte ». Il n’a pas été question d’une consigne de vote au sein du groupe ; simplement, ses membres ont tenu une réunion de groupe et « tout le monde était sur la même ligne ». Particulièrement active sur la loi bioéthique, la députée sans étiquette Emmanuelle Ménard défendra une dizaine d’amendements.

En tout et pour tout, la droite et le centre ont une belle carte à jouer pour faire barrage au texte. On scrutera avec d’autant plus d’attention la présence des députés, leurs prises de parole et leurs votes respectifs

Les Républicains ont déposé des amendements de suppression pour chacun des articles, en plus d’amendements pour modifier le texte. Le parti ne donnera aucune consigne de vote, et chaque député sera donc libre de voter en son âme et conscience. Pour Xavier Breton, une majorité de députés devrait voter contre le texte : « Sur les questions de bioéthique, on a pu voir qu’on était au trois-quarts sur des positions de défense de la famille. Je pense que sur la question de l’IVG, qui est un tabou en politique, 2/3 devraient être contre ». Julien Aubert indique lui que tous les députés LR qu’il a rencontrés sont opposés au texte, mais dit méconnaître les positions de Christian Jacob, chef du parti, et Damien Abad, chef du groupe parlementaire, sur le texte. LR tenant ses journées parlementaires, il regrette que des textes importants soit étudiés le jour où des groupes politiques tiennent des événements. Le vote sera « un peu une loterie » selon les forces en présence, conclut-il. On pourrait tout de même considérer qu’avec ces journées parlementaires, les députés LR seront sur place et n’auront donc pas d’excuse pour manquer le vote du texte.

Zéro amendement déposé par le RN

Comme pour les débats sur la loi bioéthique, le Rassemblement national n’a fait preuve d’aucun zèle idéologique, puisque les députés du parti n’ont pas déposé d’amendement. Certes, Nicolas Meizonnet montera à la tribune pour manifester sa désapprobation d’« un texte idéologique, qui vise à faire exploser le cadre juridique de l’IVG ». « La clause de conscience est peut-être ce qu’il y a de plus beau : en France, les médecins ne sont pas aux ordres », ajoute-t-il. On regrettera tout de même que le jeu parlementaire n’ait pas été pleinement joué. Le RN n’a pas donné de consigne de vote, mais il semblerait que ses députés soient opposés au texte : « En recoupant les avis des parlementaires du RN, on tombe à peu près sur la même idée. Sauf exception, ce que je ne crois pas, on est tous d’accord sur le sujet. » Marine Le Pen devrait prendre part aux débats ; la présence des autres députés n’est pas assurée. En tout et pour tout, la droite et le centre ont une belle carte à jouer pour faire barrage au texte. On scrutera avec d’autant plus d’attention la présence des députés, leurs prises de parole et leurs votes respectifs, sur un texte crucial pour l’avenir de la société française.

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