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France – Allemagne : une relation contrastée ? Entretien avec Gabriel Melaïmi

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Publié le

30 janvier 2023

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Gabriel Melaïmi est porte-parole du mouvement Oser la France fondé par Julien Aubert. Il est l’auteur de « Cousins Germains – Un millénaire qui a fait de la France et de l’Allemagne deux nations contraires ». Nous l’avons interrogé à l’occasion du soixantième anniversaire de la réconciliation franco-allemande.
macron merkel

L’actualité met sur le devant de la scène le « couple franco-allemand », avec la question de la livraison d’armes à l’Ukraine et du soixantième anniversaire de la réconciliation franco-allemande. Est-ce un couple uni ou dysfonctionnel ?

À la lumière de l’actualité, toute autre réponse que dysfonctionnel serait se bercer d’illusions. Mais cela ne date pas d’aujourd’hui. Malgré les dénégations de part et d’autre, je pense que nos dirigeants sont assez lucides sur ce fait. Lorsqu’il y a quatre ans fut signé le traité d’Aix-la-Chapelle, le but était aussi de relancer une coopération franco-allemande à l’arrêt. Chacun tente de servir ses intérêts et, globalement, on constate que l’Allemagne y arrive bien mieux que la France. En définitive, cela fait longtemps que le « couple » franco-allemand n’en est plus un, pour autant qu’il ait déjà été un couple. D’ailleurs, le mot « couple » n’est pas employé outre-Rhin, où on lui préfère « partenariat », beaucoup plus neutre et beaucoup moins exclusif.

Crise des migrants ou énergie, tout donne tort à l’Allemagne de Merkel qui s’est aussi montrée complaisante à l’égard de la Russie. Pourquoi la France se laisse-t-elle entraîner ?

La réponse la plus simple et facile serait de dire que c’est parce que l’Allemagne est la première puissance économique européenne et que la France n’a pas les moyens de s’opposer aux ambitions de sa cousine germaine. Il y a un peu de ça, mais je ne pense pas qu’il s’agisse du critère déterminant en l’occurrence. On nous répète à satiété que l’Europe c’est la paix et le nationalisme la guerre. Je crois que nos dirigeants en sont convaincus ou, a minima, ont peur que leurs prédictions se vérifient.

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Dès lors, dans leur esprit, s’opposer frontalement à l’Allemagne, c’est prendre le risque de se fâcher avec notre voisin et de revenir aux heures les plus sombres. C’était déjà cette crainte qui a poussé Mitterrand à engager la création de l’euro (dont les Allemands ne voulaient pas). L’idée était d’arrimer l’Allemagne au projet européen malgré la réunification qui lui permettait de recouvrer toute sa puissance économique et de rejouer un rôle politique – les conséquences territoriales et politiques de la Seconde Guerre mondiale étant effacées. C’est donc plus par aveuglément idéologique et par peur que la France cède à l’Allemagne. Pourtant, dire que l’Europe c’est la paix est un contre-sens historique : l’Europe existe parce qu’on a gagné la paix, parce qu’on l’a imposée, ce n’est pas elle qui a mis fin à la guerre. La preuve, d’ailleurs, avec le conflit en Ukraine. Finalement, la meilleure garantie de la paix, cela reste la démocratie. Dans l’histoire, on n’a pas d’exemple de guerre ouverte entre deux États démocratiques.

Dans votre stimulant ouvrage Cousins Germains, vous défendez l’idée selon laquelle la construction européenne serait soumise à la volonté d’un seul État, l’Allemagne. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Pour l’Allemagne, beaucoup plus que pour la France, l’Europe est fondamentale. Après 1945, celle-ci va lui servir de projet politique de substitution, la domination du continent lui étant désormais interdite. De plus, c’est par le biais de la construction européenne que l’Allemagne va renaître, avoir de nouveau voix au chapitre et progressivement recouvrer sa souveraineté. L’utiliser à son profit devient donc primordial pour elle, vital même, pour redevenir un État qui compte. C’est pourquoi elle a su – et personne ne peut lui jeter la pierre – parfaitement s’insérer dans les institutions européennes, jusqu’à en prendre le contrôle par une rigoureuse et patiente stratégie d’influence.

« En France, on aime parler beau et fort mais nous n’avons jamais eu une telle détermination et encore moins de stratégie pour peser réellement »


Gabriel Melaïmi

Voilà, par exemple, pourquoi les règles du marché de l’énergie ou de la PAC lui sont plus favorables qu’à nous. Inversement, en France, on aime parler beau et fort mais nous n’avons jamais eu une telle détermination et encore moins de stratégie pour peser réellement. Il faut dire que, pour la France, chaque étape dans l’intégration européenne signifie aussi se déposséder un peu plus de sa souveraineté. Le chemin est donc inverse à celui de l’Allemagne. De là peut-être le désamour des Français pour la construction européenne…

Les Français connaissent-ils bien l’Allemagne et son histoire ? Votre livre compare l’État nation à la française à la fédération impériale à l’allemande, jugeant que les deux systèmes seraient antinomiques et philosophiquement trop différents pour cohabiter harmonieusement. Pourtant, l’Allemagne s’est aussi inspirée de l’œuvre unificatrice française après avoir essuyé la guerre de Trente Ans puis les guerres napoléoniennes. Comment l’expliquer ?

Il peut sembler de prime abord y avoir une contradiction, mais l’histoire regorge d’exemples d’États qui copient leur rival pour mieux les combattre. Le Japon de l’ère Meiji, l’Empire ottoman de la période des Tanzimats… Surtout, ce n’est pas tant l’Allemagne que la Prusse qui s’est réformée, tant aux niveaux administratifs et fiscaux qu’au niveau militaire, après les déroutes militaires de Iéna et Auerstaedt (le Mai 40 prussien), afin de laver l’affront de l’entrée triomphale des troupes napoléoniennes dans Berlin. Pour parvenir à prendre sa revanche, à l’instigation de ses ministres Stein et Hardenberg, elle a effectivement importé une partie des recettes révolutionnaires et napoléoniennes qui faisaient la supériorité française. Mais il ne s’agissait pas alors de créer une nation sur le modèle français. La France a plutôt joué le rôle de repoussoir avec son système égalitaire, « démocratique », fondé sur la souveraineté nationale et populaire.

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A contrario, le modèle national allemand qui va triompher en 1871 est celui d’un État aristocratique, autoritaire et inégalitaire. De même, l’unification se faisant contre la France et l’Autriche, c’est un projet d’exclusion des minorités qui s’impose, que va symboliser le Kulturkampf quand la France était beaucoup plus inclusive avec la progressive assimilation de ses périphéries. C’est aussi parce que la Prusse était en périphérie et aristocratique que l’Allemagne est devenue fédérale, quand la France est l’archétype de l’État-nation centralisé. Évidemment, l’Allemagne est devenue sincèrement démocratique depuis la Seconde Guerre mondiale, mais on retrouve cette idée d’un « État d’états » autant dans sa loi fondamentale de 1949 que dans sa conception de l’intérêt général. Pour un Français, celui-ci surplombe les intérêts individuels quand les Allemands sont beaucoup plus proches de la conception anglo-saxonne selon laquelle l’intérêt général résulte de la somme des intérêts particuliers. En résumé, une bonne partie de l’incompréhension franco-allemande vient du fait que nous avons une conception de la nation et de la société différentes. Et cela se répercute inévitablement sur nos projections respectives dans l’Union européenne.

Vous jugez qu’une France ambitieuse et soucieuse de ses intérêts souverains serait aussi une bénédiction pour l’Union européenne. N’est-ce pas contradictoire ?

Bénédiction, le mot est peut-être un peu fort. Mais on peut a minima affirmer que la domination allemande, comme l’illustrent la crise des migrants en 2015 et la crise énergétique aujourd’hui suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, semble ne pas porter ses fruits au bénéfice du continent. Pour permettre à l’Allemagne d’engranger des excédents commerciaux et payer les pensions des retraités allemands, nous avons ouvert à tous les vents chinois l’Union européenne, renoncé à la puissance militaire autre que celle de l’Oncle Sam et confié notre stratégie énergétique à la Russie. Où sont la vision d’avenir, le projet politique pour l’Europe ? Pour paraphraser Marchais en inversé, on ne peut pas dire que le bilan soit globalement positif. À force de suivisme, par idolâtrie d’un couple qui n’existe pas, la France (et l’Europe avec elle) prend le risque de disparaître de la carte des puissances. Nous avons évidemment beaucoup de problématiques internes bien franco-françaises à régler. Mais pour être respecté encore faut-il se respecter soi-même. Savoir dire non et ne pas céder quand nos intérêts stratégiques sont en jeu. Le général de Gaulle disait que les grands pays le sont pour l’avoir voulu. Toute la question est là : le voulons-nous encore pour la France ?

« Pour être respecté encore faut-il se respecter soi-même. Savoir dire non et ne pas céder quand nos intérêts stratégiques sont en jeu »


Gabriel Melaïmi

On minore parfois l’influence historique de l’Allemagne sur l’Europe moderne. Les princes allemands se retrouvent dans la plupart des arbres dynastiques du continent. Les Saxe-Cobourg ont joué un grand rôle là-dedans, de même que les règles des mariages dits « morganatiques ». Qu’en dites-vous ?

Le sang français coule aussi dans de nombreuses familles royales européennes, qu’on pense à la Suède ou à l’Espagne ! Pour autant, vous avez raison de rappeler ce fait. Cela s’explique par le fait que les princes allemands étaient naturellement en plus grand nombre que les autres, puisque l’Allemagne en tant qu’entité unie n’a pas existé avant 1871. La possibilité de contracter une union avec une dynastie allemande s’en trouvait donc décuplée. Les jeux d’équilibre entre les puissances ont également joué. Désigner un prince allemand a longtemps permis d’éviter d’avoir à choisir entre les grandes puissances continentales, France, Royaume-Uni, Autriche… C’est évidemment moins le cas depuis l’unification allemande. Mais cela montre bien que l’Allemagne est au cœur de l’Europe, tant du point de vue politique que géographique et historique. Finalement, ce n’est pas une surprise si on se souvient qu’elle a longtemps porté une ambition de monarchie universelle sur l’ensemble du continent européen à travers le Saint-Empire. Elle en est en quelque sorte la continuatrice contemporaine et l’Union européenne avec elle.


Cousins Germains – Un millénaire qui a fait de la France et de l’Allemagne deux nations contraires de Gabriel Melaïmi
202 p., 10 €

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