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Gabriel Attal à Matignon : le triomphe du vide

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Publié le

9 janvier 2024

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En transférant le prometteur ministre de l’Éducation à Matignon, Emmanuel Macron espère profiter de sa popularité et réactiver l’énergie inaugurale de sa présidence. Cette nomination signe pourtant le triomphe du vide idéologique, politique et symbolique du système.
© Capture d'écran YouTube

Et voilà que le destin de la France est dénoué : Gabriel Attal vient d’être nommé Premier ministre par Emmanuel Macron, le quatrième depuis sa prise de pouvoir en 2017. À bon droit, la presse titrera sur l’exceptionnelle ascension politique du tout jeune homme qui, en trois années seulement, sera passé de la tête du Service national universel à la codirection du pays. C’est cela, la société liquide à son paroxysme : les carrières publiques de ceux qui se félicitent d’être des amateurs se font et se défont en trois jours, d’où l’armée d’anonymes qui nous gouverne. On n’ose imaginer ce qu’en penserait Alexis de Tocqueville, lui qui en son temps déjà s’inquiétait du tourbillon des individus provoqué par la société démocratique, tourbillon qui petit à petit à gagner jusqu’au plus haut niveau de l’État. Les hommes en charge de notre destin sont des météores qui surgissent du néant, font trois petits tours puis s’en vont, comme les marionnettes de la comptine. À jamais, Élisabeth Borne.

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Signe de sa fin de règne, et alors qu’il n’a pas été capable d’enfanter quoi ni qui que ce soit, Macron entame la dernière ligne droite de son quinquennat en faisant son bras droit d’un clone, comme pour ranimer l’esprit inaugural de sa présidence – et qui sait, peut-être dans l’optique d’adouber celui dont il aimerait faire son continuateur ? Un jeune plébiscité par les vieux qui répète qu’il va faire sans que l’on sache bien quoi, ayant fait ses classes dans les grandes écoles parisiennes puis au Parti socialiste, issu de la bobocratie mondialisée et toujours apprêté d’un costume McKinsey trop ajusté, ce à quoi il faut ajouter certains traits qui caractérisaient le premier Macron, celui de Révolution, mais que l’exercice raté du pouvoir a depuis effacés : la volonté, l’énergie, la fermeté. C’est le phœnix Macron qui doit donc renaître, transmué dans un corps dédoublé, pour sortir de l’ornière politique dans laquelle il s’est englué. On croirait voir cette « courtisane fanée jouant les airs d’une vierge avec une pudeur de carmin » dont parlait Joseph de Maistre pour moquer les grands prêches des premiers républicains. La communication politique n’engage décidément que ceux qui y croient – les fous.

La victime principale de ce transfert d’Attal à Matignon, c’est l’école. Quelques mois seulement après l’avoir nommé, Macron décide en conscience de priver l’Éducation nationale d’un ministre enfin audacieux et bien accueilli par l’opinion, qui était prêt par pur pragmatisme à bouleverser les dogmes progressistes vieux de cinquante ans qui ont détruit l’instruction publique, pour le mettre à un poste qui ne sert plus à rien, poste pour lequel il a peut-être moins encore de considération que Nicolas Sarkozy, et ce afin de conduire une campagne électorale, en l’occurrence celle des européennes. Rameuter, séduire, compter les voix : vous comprenez, la République a ses priorités. Et tant pis pour l’Éducation nationale, qui sera soumise à un énième changement de chef, de direction, de réforme – et Dieu sait qu’en la matière, de Jean-Michel Blanquer à Gabriel Attal en passant par Pap Ndiaye, le président est d’une rare inconstance, le « en même temps » mélodique s’étant concrétisé dans le tango du « l’un après l’autre ».

Autrefois, l’on nommait un Premier ministre pour sa surface politique ou pour sa vision du pays ; le voilà désormais nommé du seul fait du dernier sondage, sans même qu’il ait eu le temps d’avoir un bilan

Ça n’aura échappé à personne, la raison fondamentale d’une telle forfaiture est des plus triviales : le baromètre Ipsos 2023 révélait en décembre que Gabriel Attal prenait la première place du classement des personnalités politiques, avec 40 % d’opinions favorables – quand Macron continuait lui de plonger à 27% seulement, niveau le plus faible de l’année et proche de celui observé pendant la crise des Gilets jaunes. En le nommant Premier ministre, Emmanuel Macron souhaite donc capter cette popularité attalienne pour lui-même, tel le premier des morts de faim pour se refaire une santé. Autrefois, l’on nommait un Premier ministre pour sa surface politique ou pour sa vision du pays ; le voilà désormais nommé du seul fait du dernier sondage, sans même qu’il ait eu le temps d’avoir un bilan – et tant pis si l’individu en question est un nain politique, sans autorité morale, sans troupes, sans rien du tout si ce n’est une vague promesse, doublé d’un invertébré idéologique qui n’a jamais esquissé le début du commencement d’une idée sur l’essence et le devenir de la France. Tant qu’à faire, il fallait nommer Jean-Jacques Goldman.

Finalement, il est peut-être là le terminus final de la démocratie : un gouvernement connecté et recomposé en temps réel par les baromètres d’opinion, pour tenir encore un peu. Plus le temps de rouler péniblement sa bosse à tous les échelons du politique, de s’épaissir par l’expérience qui seule façonne les autorités, de méditer surtout l’exercice du pouvoir et le poids symbolique de la charge. Plus le temps pour les grands hommes d’État, animés intimement par le souci de notre destin collectif et conscients du tragique de l’histoire qui s’écrit. Plus le temps pour l’ascèse que réclame le sacerdoce politique, ravalé par l’ère des flux au rang d’une opportunité entrepreneuriale comme une autre. Enfin, par transparence, l’instantanée légal-rationnel triompherait de cette distance, de ce temps, de cette gravité propres à l’exercice politique. Enfin, la mystérieuse et providentielle auréole du pouvoir céderait le pas à la communication et aux passions du jour. Avis aux populistes.

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