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Oui, la contre culture existe en France. Mieux, des artistes vivent de leur art sans dépendre de qui que ce soit, sans chercher à tout prix à plaire aux majors, aux télévisions et aux youtubeurs à la mode. Panorama.
2011. J’avais presque 16 ans lorsque j’ai découvert le garage rock. Avant cela, j’écoutais « de tout », soit rien de bien spécifique. Du rap, de l’électro, du rock indé. J’étais fanatique du groupe Arctic Monkeys, qui reste aujourd’hui encore, malgré un détachement lié à la qualité des deux derniers albums, l’un de mes groupes favoris. Puis j’ai découvert Yussuf Jerusalem avec « Blast From The Past », leur second opus, sorti chez XVIII Records. J’ai tout de suite accroché : une ambiance à nous donner l’envie de devenir paladin (« The Path of Paladin », morceau 4), de mener une ultime croisade et de mourir sur le champ de bataille (« Smrt Je Dobra », titre du morceau clôturant l’album, signifie « la mort est bonne » en croate). En creusant un peu et en écoutant également leur premier album « A Heart Full of Sorrow » (2008), j’ai découvert que j’appréciais une musique d’un genre qui m’était étranger jusqu’alors.
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Ce genre est étranger à beaucoup de monde, et pour cause : nous sommes bercés à la musique mainstream tout droit venue des Etats-Unis, fade, lisse, sans âme. Les majors (Sony Music Entertainment, Universal Music Group, Warner Music Group) dominant l’industrie musicale ont sorti la tête de l’eau grâce à internet, qui était au départ leur pire ennemi. Sans avoir abandonné les supports physiques, ils dominent aujourd’hui par le streaming, mode de consommation disruptif. Néanmoins, la suprématie de ces groupes pose plusieurs problèmes : la liberté des artistes, et la recherche du profit à tout prix. Entre ces deux axes, un mur se dresse, les chemins se séparent, et les majors ont fait leur choix : sacrifier la liberté artistique, lisser la production, servir de la soupe de pop-star afin de toucher une cible large, et ainsi donc générer des profits. Goldman Sachs a publié les chiffres : les majors devraient, d’ici 2030, percevoir près de 60 % des revenus générés sur chaque morceau monétisé sur une plateforme de streaming (YouTube, Soundcloud…).
Le garage et la musique underground de manière générale sont des instruments de lutte contre cette instrumentalisation de la musique à des fins financières. Il s’agit d’une contre-culture prolifique, à l’image des nombreux labels français qui ont vu le jour dans les années 2000/2010 : Teenage Menopause RDS, Howlin’ Banana Records en 2011 ou encore Le Turc Mécanique, né en 2012, revendiquant fièrement la culture punk française sur son Bandcamp. JB, a.k.a Jean-Baptiste Guillot, fondateur et gérant du label garage Born Bad Records (2006), est certainement la personne qui nous parle le mieux de cette contre-culture. « Il y a une contre-culture en France, il y a un underground en France, ce n’est pas vrai qu’en France nous sommes des nazes, ce n’est pas vrai qu’en France sorti de Serge Gainsbourg et Edith Piaf il n’y a point de salut, ce n’est pas vrai que le rock en France se résume à Noir Désir et Louise Attaque qui ont été des traumatismes pour l’adolescent que j’étais lors de leur sortie. C’est faux. ».
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JB ne se contente pas seulement de sortir des disques comme le ferait n’importe quel major. Pour lui, ce qui compte, c’est « l’épopée humaine », c’est-à-dire ce laps de temps qu’il va passer avec ses artistes qu’il va découvrir, soutenir quand bien même leur travail serait inégal. La personnalité prime, et c’est ce qui fait la force du label, des liens sociaux qu’ils créent entre eux. Nicolas Belvalette, plus connu sous le nom de « Usé », est l’archétype même de ce que représente la « culture Born Bad ». La première fois que je l’ai vu, dans le reportage de CultureBox dédié à Born Bad, j’ai ri : en transe derrière sa batterie, pantalon rose, torse nu et suant à la mort, je distinguais à peine son visage, puis le temps d’une seconde j’ai cru apercevoir une version jeune de Houellebecq. Puis j’ai écouté sa musique. Sauvage. Brutale. Authentique. Hypnotique. Enfin, j’ai écouté son histoire. Ce jeune homme a eu les cojones de s’attaquer au système qui l’empêchait de faire ce qu’il souhaitait et qui lui était le plus cher au monde : jouer sa musique. A la fermeture de sa salle par la mairie d’Amiens, il a répondu par la course au poste de maire avec son « Parti sans cible ». Au ricanement s’est substitué une certaine admiration pour cet homme hors du commun.
Je suis un acteur de la contre-culture, je n’ai pas vocation à me civiliser, je n’ai pas vocation à devenir respectable – Jean-Baptiste Guillot
Ils savent qu’ils sont détestés par le commun des mortels. Savent à quel point leur art est méprisé par les « bien-pensants », qui, sous couvert d’une fausse tolérance, détestent la différence. Ils le savent, et ils s’en foutent. Ils avancent, ils n’ont pas peur de faire ce qu’ils aiment, de défendre leur travail, de faire pression sur leurs censeurs quand il le faut. Ce sont de mauvaises graines qui vont à l’encontre de cette culture sclérosée par la bien-pensance. JB l’explique très bien : « Je suis un acteur de la contre-culture, je n’ai pas vocation à me civiliser, je n’ai pas vocation à devenir respectable, […] je suis dans la contre-culture, je suis une force de contre-proposition. C’est ma vocation, c’est mon destin, c’est ce que je veux. »
S’il y a une leçon à retenir de ce milieu, ce n’est pas nécessairement le mode de vie de ces artistes, qui n’est pas pérenne selon moi (n’est pas Frustration ou J.C. Satàn qui veut, nombre de groupes ne vivront pas de leur musique et ne connaîtront pas le succès escompté malgré leur talent certain. Exceptés les initiés, qui a déjà entendu parler de Crash Normal, Cannibale, La Secte du Futur ou encore de Violence Conjugale – et j’en passe ?) ; la leçon est bel est bien celle-ci : quel que soit le projet que l’on souhaite mener, qu’il soit artistique, politique, professionnel, que ce soit un projet de développement personnel, que l’on sache exactement où l’on va ou non, que l’on sache que notre projet se réalisera ou non, il est nécessaire de s’y mettre à fond, de ne pas avoir peur, de ne pas se chercher d’excuses foireuses pour tout remettre à plus tard. Nous devons être des forces de contre-proposition, nous devons nous affranchir du regard de la bien-pensance, et l’entarter lorsqu’elle essaye de nous mettre à mal. Ne nous comportons plus comme des enfants de cœur. Soyons rock’n’roll.
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