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Interro présidentielle : l’anachronisme de Plenel et Bourdin

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Publié le

18 avril 2018

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TF1 television debate of French presidential candidates

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L’entretien donné par Emmanuel Macron à Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel au Trocadéro sur BFMTV est intéressant non par ce qui s’y est dit – on aura eu peu d’annonces, et moins encore de « petites phrases » – mais par la manière dont cela s’est dit. Quand la beauté du diable rejoint la légitimité politique, on peut s’inquiéter…

 

La forme d’abord : immense étendue dépouillée de la pièce ; majesté renforcée encore par la perspective ouvrant dans le dos du Président sur la tour Eiffel, symbole à la fois d’histoire et de verticalité ; vaste table de style moderne, vide devant ce même Président, encombrée de feuilles pour les journalistes ; drapeaux français et européen sur le côté. D’emblée, les choses sont claires pour le spectateur : dans ce lieu, même s’il n’est pas clairement identifié, même s’il n’est pas usuel, règne un chef. Et curieusement, en sortant Emmanuel Macron du décor élyséen, en voulant écarter les « ors de la République » qui auraient pu lu faciliter la tâche, on a renforcé encore son image de leader moderne. Ce n’était plus seulement le Président de la République, c’était aussi l’image universelle du pouvoir, de ces capitaines d’industrie ou banquiers d’affaires dont les bureaux, au sommet des tours, ou dans des hôtels particuliers remaniés, bénéficient eux aussi de cette vue large et dégagée sur un monde où passent les ombres de leurs contemporains.

D’emblée donc, tout est dit, tout est joué, mais nos deux faire-valoir de service, savamment choisis pour cela, sont incapables de le comprendre. Alors que nous sommes entrés dans l’ère « .3 » de « l’entretien », celle dans laquelle le ton et l’image comptent plus que les réponses, eux ont encore un logiciel de retard. On sait que la première forme de l’entretien politique fut celle d’un Michel Droit posant timidement des questions à Charles de Gaulle, avant que le journaliste s’autorise à s’asseoir sur le bureau présidentiel (Yves Mourousi et François Mitterrand). Ne surtout pas paraître trop déférent est dès lors devenu la règle, et dimanche soir les deux complices de service s’y employèrent.

Curieusement, en sortant Emmanuel Macron du décor élyséen, en voulant écarter les « ors de la République » qui auraient pu lu faciliter la tâche, on a renforcé encore son image de leader moderne

Certes, Jean-Jacques Bourdin débuta bien l’entretien par un : « Monsieur le Président », mais Edwy Plenel ayant lui décidé d’appeler son interlocuteur « Emmanuel Macron », il lui emboîta le pas. Il s’agissait, on l’aura compris, de faire descendre l’interviewé de son piédestal. Ce n’est pas sans risque. On se rappelle la cruelle défaite psychologique de Jacques Chirac qui, lors d’un débat avec François Mitterrand, alors qu’ils étaient tous deux candidats, lui ayant annoncé qu’il l’appellerait pour cela « Monsieur Mitterrand » et se vit ridiculisé par un imperturbable : « oui Monsieur le Premier ministre ». Mais ce qui était à la rigueur envisageable lors d’un débat entre candidats ne l’était pas dimanche soir. « On est égaux, en dignité et en droits » dira le lendemain Plenel pour s’expliquer. Humainement, bien sûr, mais pas en statuts. « Nous sommes sur le même plateau, nous sommes ensemble pour parler de l’avenir de notre pays. Je ne vois pas pourquoi tout à coup j’aurais cet acte déférent [de dire] “monsieur le président” » déclarera Bourdin. Mais pour une raison toute simple : si Emmanuel Macron n’était pas président de la République, ils n’auraient jamais été « sur le même plateau », et c’est au Président de la République qu’ils comptaient poser leurs questions, et pas à Emmanuel Macron.

Loin de le desservir, cette erreur de perspective des deux journalistes a renforcé le poids personnel du jeune président : jouant très finement, il a rappelé deux fois à ses interlocuteurs la vérité brute de leurs rôles respectifs, lui comme président de la République, eux comme interviewers, et n’a donc aucunement été abaissé. Mais il a par ailleurs bénéficié du rappel constant, comme un mantra, de ses noms et prénoms, un « Emmanuel Macron » devenu dans la politique française d’après 2017 une véritable marque, un label, et qui comme tel a besoin d’être constamment rappelé. De manière curieuse, le « look » adopté par les journalistes a lui aussi créé de la distance au lieu de rapprocher ceux qui se faisaient face de part et d’autre de la table. Les deux hommes avaient en effet choisi de rester col ouvert, dans une certaine décontraction, pour montrer là encore qu’il y avait entre eux trois une sorte d’égalité. Le problème est qu’ils ne faisaient pas face dimanche soir à un François Hollande engoncé dans un costume mal coupé et la cravate de travers, mais à un homme largement plus jeune qu’eux, qui pouvait, lui, porter un costume cintré, et qui savait se tenir. Résultat, loin de leur donner la supériorité supposée de la décontraction assumée, leur look traduisait au contraire aux yeux du spectateur une évidente inégalité de classe. Mieux, le hiatus existant entre leur tenue décontractée et la virulence de leurs propos, renforçait l’impression de cohésion chez Macron, par sa maîtrise parfaite et du style et des connaissances.

 

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Coupant l’un comme l’autre Emmanuel Macron dans ses réponses, les deux interviewers comptaient sans doute sur cette virulence qui est leur marque de fabrique dans deux registres différents. Pour Jean-Jacques Bourdin, homme de radio, il s’agit de « faire du buzz » en poussant à la faute, relevant un mot hors contexte ou cherchant à placer son interlocuteur dans l’alternative binaire d’une réponse par oui ou non ; pour Edwy Plenel, il s’agit de présenter des questions biaisées, pétries d’amalgames et contenant déjà la réponse. Ce furent deux échecs. Les questions de Plenel, dont notamment la première, furent disséquées avec art par un Emmanuel Macron qui n’eût aucune peine à en démontrer la perversité, évoquant jusqu’à la « malhonnêteté intellectuelle » du dirigeant de Médiapart ; et quand Bourdin, jouant son va-tout à la fin de l’émission, tenta de faire réagir Macron sur la formule de « subversion migratoire » utilisée par Gérard Collomb, il eut droit à une analyse courte et incisive du phénomène qui le laissa coi.

Dans les deux cas, ce qui était patent c’était la permanente leçon de morale assénée par des journalistes-vedettes prétendant parler au nom des déshérités, les retraités pour Bourdin, les migrants pour Plenel. Ils expliquaient crûment dire « la vérité » (Bourdin), et « Emmanuel Macron » aurait du tout naturellement se rendre à leurs raisons, puisque « on vous a expliqué que… » (Plenel). Mais le Président eut beau jeu de les renvoyer à leurs « émotions du moment » ou même, moins flatteur encore, à leurs « émotions de plateau », ce qui lui permit d’endosser le rôle du pragmatique réaliste. Il est vrai que devant les réponses, à la fois claires, parfaitement argumentées et toujours équilibrées d’un Président qui ne cédait sur rien (pas question par exemple de confondre « évasion fiscale » et « optimisation fiscale »), le réalisme n’était pas du côté des deux journalistes.

Les questions de Plenel, dont notamment la première, furent disséquées avec art par un Emmanuel Macron qui n’eût aucune peine à en démontrer la perversité, évoquant jusqu’à la « malhonnêteté intellectuelle » du dirigeant de Médiapart 

Ne pouvant jouer la carte du réalisme social, ils tentèrent celle de la délégitimation institutionnelle. Mal leur en prit. Quand Plenel reprocha à Macron son pouvoir « solitaire et absolu de chef de guerre », sans comptes à rendre ou presque au Parlement, le Président n’eut aucune peine à le renvoyer à la lecture de la Constitution. Quand le même Plenel prétendit ensuite que le vote de la présidentielle de 2017 avait été un vote « contre » Le Pen et pas « pour » Macron, ce dernier eut beau jeu d’évoquer ces législatives qui suivirent, où d’illustres inconnus se firent élire…sur le seul programme du nouveau président. Et il n’y eut pas plus de succès quand Bourdin cita Ricoeur pour mieux accuser Macron de dérive oligarchique. À chaque fois, les tentatives de déligitimation tombaient à l’eau. « Nous ne sommes pas des élèves et vous n’êtes pas notre professeur » s’indigna, agacé, un Plenel se croyant autorisé à reprendre les vieilles ficelles du débat Mitterrand-Giscard de 1981. « Vous n’êtes pas mes juges » répondit Emmanuel Macron.

C’est effectivement sur ce point du rapport de force que le bât blesse. Passons sur la mauvaise foi de l’un et le populisme moralisateur de l’autre : il n’en reste pas moins que, dans l’esprit de nos deux journalistes, il s’agissait dimanche soir d’un débat entre égaux. Ils auraient pourtant gagné à se rappeler l’interrogation lacanienne : « D’où parles-tu ? ». Quelle était en effet la légitimité démocratique de ceux qui prétendaient « représenter la colère du pays » ? D’où leur venait un mandat leur permettant de s’exprimer au nom du peuple ? Ils n’en ont aucun, et ce n’est donc pas d’un « débat », comme ils le souhaitaient ardemment, qu’il s’agissait dimanche. Un débat ne peut avoir lieu qu’entre égaux en légitimité, étudiant contre étudiant, professeur contre professeur, journaliste contre journaliste et élu contre élu. Pour le reste entre étudiant et professeur il s’agit d’un cours, avec peut-être des questions, et entre journaliste et politique d’un entretien, et pas d’autre chose.

Passons sur la mauvaise foi de l’un et le populisme moralisateur de l’autre : il n’en reste pas moins que, dans l’esprit de nos deux journalistes, il s’agissait dimanche soir d’un débat entre égaux. Ils auraient pourtant gagné à se rappeler l’interrogation lacanienne : « D’où parles-tu ? »

Certes, un journaliste peut parfaitement, lors d’un entretien, mettre en difficulté le politique auquel il s’adresse, et pourquoi pas « avoir sa tête », le faire choir de son piédestal. Mais il est évident qu’il n’a pas la même légitimité qu’un élu pour parler au nom du peuple, et pour « débattre » au lieu d’interroger. Or c’est bien cela à quoi prétendaient et Plenel et Bourdin : non faire état des angoisses, des « colères » qui se font jour dans la population – en prenant d’ailleurs bien garde de ne pas toucher à certaines d’entre elles – mais incarner sur cette scène de théâtre d’un soir le peuple contre l’oligarchie.  Ne restaient donc en fin de compte face à face dimanche soir que le vieux monde et le monde nouveau – ou peut-être deux facettes du vieux monde. D’un côté, des sexagénaires mûrs, pour ne pas dire avancés, dont le débraillé indiquait bien qu’ils étaient les fils de cette génération 68 qui fête ses cinquante ans. Des hommes qui avaient communié dans toutes les idoles modernistes de la fin de l’autorité, conduit le pays au néant, mais s’estimaient toujours en position morale de donner des leçons ou de demander des comptes. De l’autre un brillant quadra qui, surfant sur les angoisses nées de la politique de ses prédécesseurs, proposait, pour se substituer à leur néant et répondre à ceux qui voulaient espérer malgré tout un nouveau « grand bond en avant ». Point de doute sur la victoire donc, mais il est permis d’espérer que nous aurons d’autres choix…[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]

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