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Alors que la deuxième saison de la série Baron Noir fait un tabac, nous avons tenu à rencontrer l’inspirateur du personnage. Qu’a-t-il à dire sur un parti qui a fait moins de 3% des suffrages exprimés à la législative partielle de la circonscription 9001 de Belfort ?
Il n’est pas facile d’aborder un mythe de la gauche mitterrandienne tel que Julien Dray. Les souvenirs d’enfance remontent à la surface, parfois douloureux pour l’homme de droite : Sos Racisme, les manifestations géantes des années 80, l’activisme gauchiste de la Ligue communiste révolutionnaire, la tendance alter, et les sweats Waikiki. On se revoit arborant un pin’s « touche pas à mon pote » à la boutonnière, donné par l’animateur de la MJC du quartier, sans vraiment savoir ce que cela signifiait. La gauche était en ce temps culturellement hégémonique, toute puissante et sûre de sa force. Elle incarnait la jeunesse. Une jeunesse que Julien Dray savait mobiliser, organiser et déplacer dans la rue.
Ancien trotskyste, Julien Dray se fit élire député de l’Essonne à tout juste 33 ans, lors des législatives de juin 1988. On lui prêtait un grand destin : incarner la France post-raciale, diverse et multiculturelle Las, Julien Dray n’a pas plus réussi à prendre Solférino qu’à s’enraciner dans les ministères. Pourtant Julien Dray est toujours là, donnant de sa personne sur les plateaux de télévision, prêt à rendre service à ses camarades. Au fond, peut-être est-il resté un militant.
Vous êtes-vous remis des douloureuses défaites de 2017 ?
Je reste un socialiste, je suis un homme de gauche. Mes convictions sont toujours les mêmes. C’est un combat permanent, une tension, une lutte. Je crois toujours en ce qui a fondé mon engagement : je suis toujours animé par une même révolte contre les injustices, contre les inégalités, contre les déterminismes sociaux, contre la violence, contre l’arbitraire. Toutes ces luttes sont plus que jamais d’actualité, le monde n’a jamais été aussi inégalitaire, les écarts de richesse, les différences de revenus, et les différences de conditions d’existence sont plus forts que jamais. Il faut que des hommes et des femmes continuent de se battre pour plus d’égalité ! J’y crois fermement. L’égalité c’est aussi la justice sociale, c’est souhaiter que chacun ait les mêmes chances de départ. Mais vouloir l’égalité ne signifie pas vouloir l’uniformité. C’est une nuance importante.
Pourquoi n’êtes-vous pas candidat au poste de premier secrétaire du Parti socialiste ?
Je voulais que le Parti socialiste s’unisse autour d’une feuille de route politique, d’un projet commun, et que nous sortions de la spirale infernale des luttes d’egos et de clans, des guerres picrocholines. Bref, de la politicaillerie. J’essaie de défendre l’unité du parti, de garder tout le monde dans le même bateau. Mais c’est très difficile et j’ai parfois eu l’impression que des camarades ne tiraient pas dans le même sens.
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Quatre candidats sont déclarés pour l’heure : Stéphane Le Foll, Olivier Faure, Luc Carvounas et Emmanuel Maurel. À qui va votre préférence ?
Dans les heures et les jours qui viennent, je prendrai le temps de lire les propositions de chacun d’entre eux, de comparer ces textes avec ceux que j’avais écrits avec mes camarades proches. Une fois cela accompli, nous dirons notre sentiment. Mais pour l’heure, notre choix n’est pas arrêté.
Arnaud Montebourg déplore le « merdisme » du Parti socialiste, qu’il oppose à la « discipline bonapartiste » de la droite. Qu’en pensez-vous ?
Se lamenter sur le déclin, sur la chute du Parti socialiste n’est pas un fonds de commerce ! Ce n’est pas en tapant quotidiennement sur la boutique, en remettant une pièce dans le juke-box qu’on sortira de nos difficultés. C’est en se retroussant les manches. Pour pouvoir rassembler à nouveau la gauche, le Parti socialiste doit en être la force centrale. Et pour que le Parti socialiste soit cette force centrale, il faut qu’il irrigue la société. Mais je veux bien reconnaître qu’il y a désormais un doute jeté sur tout cela.
Nous ne sommes plus en contact avec la réalité sociologique du pays, il faut le dire clairement. Julien Dray
Comment comptez-vous y parvenir ?
Nous ne sommes plus en contact avec la réalité sociologique du pays, il faut le dire clairement. Je crois qu’il faudrait que nous organisions des assemblées ouvertes de la gauche partout en France, qu’on fasse des débats. Mais des vrais débats. Pas des conférences où le public s’assoie pour écouter sagement des technos déblatérer pendant quatre heures. Il faut que les militants, les sympathisants, les Français en soient parties prenantes. Qu’ils interviennent ; qu’ils posent des questions ; qu’ils donnent leur avis ! La leçon à retenir, c’est que le Parti socialiste doit renouer avec son époque, la comprendre, comme par exemple la révolution numérique. Je crois en l’esprit d’initiative, en l’esprit d’entreprise. Je ne suis pas irréaliste. Mais en même temps (j’emploie aussi cette expression), il ne faut pas que la réussite des uns fasse que d’autres soient transformés en esclaves, soumis au servage moderne. On vit dans un monde où les êtres humains ne sont plus que des variables d’ajustement, inféodés à des grandes multinationales qui échappent à tout contrôle. Ce système-là, Emmanuel Macron ne semble pas le remettre en question. Regardez les grandes entreprises du numérique : elles font toutes de l’optimisation fiscale un instrument de leur développement ! À travers les algorithmes, les multinationales de la Silicon Valley utilisent aussi nos données personnelles et s’enrichissent. Elles devraient nous rémunérer pour cela !
Comment faire l’impasse sur Jean-Luc Mélenchon, à la tête de la première force politique de la gauche en 2018 ?
Je ne suis pas fermé à l’idée de dialoguer avec Jean-Luc Mélenchon. Je reproche même à certains camarades socialistes d’avoir braqué Jean-Luc, de le caricaturer. Ce n’est pas la bonne méthode. Le Parti socialiste doit le rencontrer, évidemment. Je m’attends à ce qu’il y ait des débats virils, musclés, si vous me passez l’expression. Sur la construction européenne notamment. Vous n’êtes pas sans savoir que nos positions sont différentes. Mais ces différences ne doivent pas nous empêcher d’abord de lutter ensemble quand nous sommes d’accord et ensuite de réfléchir à l’avenir, d’envisager l’union de la gauche.
Que retirez-vous du précédent quinquennat ? François Hollande a-t-il tué le Parti socialiste du congrès d’Epinay ?
Non, franchement. Le parti d’Épinay, ça fait longtemps qu’il est mort, entre nous. Il est mort à la fin des années 1990. Hollande a essayé de préserver l’unité du parti, qui était déjà très fragilisé, miné par les divisions idéologiques, tiraillé entre des tendances qui devenaient contradictoires. Lui son truc, c’était de faire la synthèse. Le problème, c’est qu’au bout d’un moment, il n’y avait plus rien à tirer. On a donc abouti à une synthèse qui était un vide.
Soyons plus direct : le Parti socialiste est-il mort ? Pourquoi restez-vous si vous comprenez que ça ne va pas ? Par fidélité ou parce que vous l’avez l’espoir qu’un sursaut peut encore se produire ?
Je ne vais pas cacher que la question se pose. Qu’elle est posée depuis avril 2017. Mais j’ai du mal à le faire comprendre aux dirigeants du Parti socialiste. J’ai parfois l’impression qu’ils ne se rendent pas compte de l’extrême gravité de la situation. Sur le fond, nous n’arrivons plus à comprendre le monde d’aujourd’hui. Benoît Hamon avait quelques idées nouvelles, quelques intuitions. Mais je pense que c’était confus. Et, on l’a constaté, le message n’est pas passé avec les Français. Au surplus, je regrette qu’il n’ait pas présenté le bilan de sa campagne devant les militants du parti. C’était la moindre des choses, non ? Par égard pour les gens qui ont mouillé le maillot, qui sont allés sur le terrain. Pour l’instant, je reste par amitié forte pour les militants, par fidélité. Oui, je l’avoue. Je ne voudrais néanmoins pas rester uniquement pour ça, ce serait un peu léger. Dans ce cadre-là, je finirais immanquablement par être fatigué, lassé. On fait d’abord de la politique pour gouverner, pour voir ses idées s’appliquer, pour changer les choses, et non simplement pour témoigner.
Manuel Valls a choisi la République au détriment de l’idéal d’égalité Julien Dray
Vous croyez toujours à la pertinence du clivage droite gauche ? La gauche comme la droite peuvent-elles à elles seuls rassembler la France centrale ?
Bien sûr. Il structure toujours la vie des idées politiques en France. En revanche, pour ce qui concerne les partis politiques, la question se pose. Ma question, et je ne suis pas la seul à me la poser – on se la pose tous – c’est de savoir si l’« en même temps » d’Emmanuel Macron deviendra un concept structurant pour plusieurs décennies ou s’il s’agit d’une simple parenthèse liée à la crise des formations politiques traditionnelles. Je vous avoue que je n’ai pas la réponse. Ce qui est sûr, c’est que le Parti socialiste ne réunit plus cette « France centrale ». Au moment où nous parlons, il n’en a plus la capacité. Mais demain, il le pourra peut-être de nouveau, au prix d’une profonde transformation.
Et la guerre des gauches ? Manuel Valls a quitté le Parti socialiste. Il adopte des positions qui le rapprochent de la droite sur des thématiques comme l’immigration ou la gestion du phénomène communautariste. Même la France insoumise est divisée, entre le marxisme culturel indigéniste d’Obono et une vision plus traditionnelle qu’incarne Kuzmanovic. Le divorce n’est-il pas inéluctable entre la tendance « printemps républicain » et la tendance « décolonialiste » ?
Manuel Valls s’est écarté de la gauche depuis un moment. Il a eu des mots durs contre Benoît Hamon dans l’entre-deux tours des primaires, ainsi qu’une partie de son entourage. Il s’est éloigné de ce qu’était le cœur de combat de la gauche pour privilégier le combat pour la République. Il a choisi la République au détriment de l’idéal d’égalité. Moi je crois qu’on ne doit pas, qu’on ne peut pas faire un choix entre les deux. Manuel oublie le contenu de la République pour n’en garder que le contenant. Je ne dirais donc pas qu’il y a deux gauches, car pour moi la gauche ne se réduit pas à la seule République. Simplement, il y a une crise d’identité, de projet, entre des tendances. La gauche s’interroge sur ce qu’elle est.
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