Pour explorer l’histoire, il faut se fonder sur deux éléments solides : la patience et la modestie. Quand on prétend explorer l’ensemble napoléonien, par exemple, son espace, sa géographie complète, son étendue morale, militaire ou diplomatique, ses zones intimes, ses multiples dimensions, enfin l’homme, ses actions et son entourage, toute vanité doit choir. L’homme Napoléon a été diversement jugé, diversement approché, mais a-t-il été entièrement sondé, rigoureusement compris ? Dans les passions qu’il déclenche, dans les anachronismes qu’il peut encore provoquer, on doit se rendre à l’évidence : Napoléon reste grand parce qu’à l’inverse de la Révolution vue par Clemenceau, il n’est pas un « bloc ». Et surtout parce qu’il n’est pas un bloc inerte. Ne voir en lui que le despote, sans voir la puissance corrosive sur lui-même (comme le sentirent Balzac et Delacroix) de son propre pouvoir et de sa force virile, presque romaine, de haute volonté, c’est ne rien comprendre à l’homme et à son parcours d’astre pressé.
Ne juger son héritage et ses propres hésitations qu’au gré de nos fixations morbides contemporaines, au rythme masochiste de l’autoflagellation, c’est refuser par principe, par une conception qui n’est pas historique mais hystérique, de considérer qu’il incarne un monde, mais surtout qu’il y a toujours eu chez ce législateur le souci de ce qu’il faut appeler une civilisation. Napoléon, grâce à la Corse et au-delà d’elle, a réussi à fixer dans un temps bref mais dans un sillon profond, la réalité d’une virtù, mélange de courage, d’énergie et source d’enthousiasmes.
Napoléon a réussi à fixer dans un temps bref mais dans un sillon profond, la réalité d’une virtù, mélange de courage, d’énergie et source d’enthousiasmes.
Ceux qui se refusent aujourd’hui à donner écho au bicentenaire de la mort de Napoléon sont simplement des destructeurs de mémoire. Ainsi de Jean-Louis Debré, dont le bilan est pourtant politiquement au-dessous du médiocre, ou de certains caciques à têtes rouges trop chaudes mais vides, tels Alexis Corbière ou Lionel Jospin.
Debré fils, dans son hostilité peureuse envers Napoléon et son souvenir, ne fait que confirmer la peur de Chirac au pouvoir : présent à Trafalgar, à défaut d’avoir un Pitt à foudroyer. On avait déjà connu en 2005, la lâcheté devant les commémorations d’Austerlitz ; on assiste aujourd’hui à un silence trouillard. Depuis les bords de Seine jusqu’à certains bancs d’assemblée locale. C’est regrettable, et peu digne. Peu compatible avec le respect que notre civilisation européenne (française et corse aussi) prétend avoir pour les morts.
On peut chercher à comprendre Napoléon sans en tirer une passion abusive. Son parcours désormais plus respecté chez les étrangers, qui comptèrent parmi ses adversaires.
On peut chercher à comprendre Napoléon sans en tirer une passion abusive. Son parcours désormais plus respecté chez les étrangers, qui comptèrent parmi ses adversaires, qu’il s’agisse de la Russie qui respecte les dépouilles des soldats retrouvés de la Grande Armée, ou de l’Angleterre, qui n’est pas finalement nation de boutiquiers tant que cela. Qu’attendent la France et, localement, la Corse pour célébrer en 2021 la mort de Napoléon ? Il s’agit de se souvenir, de marquer l’événement. Décidément, que ce temps de médiocrité peut douloureusement étonner ! Face aux trous de mémoire, face à l’écriture d’une histoire devenue inclusive et politisée, la pandémie a bon dos. Napoléon fait peur et on le chasse parce que son personnage existe encore et que nos hommes d’État n’existent plus.
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Si le silence gagne contre Napoléon, c’est tout un pan de notre histoire qui disparaîtra après deux siècles. Napoléon sera-t-il condamné par notre temps ? C’est à suivre… avec crainte, hélas.