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Le Chant du Loup : une odyssée neocons

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Publié le

2 mai 2019

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Le réalisateur du film développe une certaine conception des relations internationales. Haro sur l’axe du mal !

 

Le premier film d’Antonin Baudry, sorti en février dernier et toujours à l’affiche dans certaines salles, a reçu un concert unanime de louanges. L’’engagement de la France et sa confrontation sanglante avec le terrorisme islamiste depuis quelques années ont fini par avoir la peau des réquisitoires contre l’armée française. On redécouvre depuis peu que nos troupes sont composées d’hommes et de femmes de bonne volonté dont l’engagement jusqu’à la possibilité du sacrifice suprême est l’une des conditions du salut de la nation.

 

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S’il est hors de propos de faire ici la critique cinématographique du Chant du Loup, qui rejoindrait de fait ce que l’on peut en lire ailleurs, on peut cependant s’interroger sur le choix du sujet, qui reflète assez peu les préoccupations contemporaines relatives à la sécurité nationale et l’actualité géopolitique française. Il n’est pas question des théâtres d’opérations extérieures où la France est ou a été engagée, comme le Sahel ou l’Afghanistan, et où les soldats qui y ont laissé leur vie sont pour la plupart issus des régiments de l’armée de terre ou des unités de forces spéciales. Il est certes question d’une attaque terroriste, mais qui prend la forme et les moyens d’un état puissant, à rebours des procédés utilisés depuis 2015, moins exotiques dans l’œil de la caméra mais tragiquement plus réels. Si un tel scénario – l’acquisition par une entité terroriste d’un sous-marin doté de l’arme nucléaire – semble en théorie plausible, il apparaît tout de même avec une probabilité infiniment moindre qu’un camion lancé à tout allure sur la promenade des Anglais un soir de 14 juillet.

 

 

Que retient-on de la trame du film ? Tout d’abord la complexité, voire les failles de la doctrine d’emploi de la force nucléaire, notamment l’irréversibilité des procédures qui peut conduire au pire, et le pire ici est évité en opposant des soldats français les uns contre les autres. Mais le principe même du recours à l’arme nucléaire n’en sort pas diminué. Il apparaît comme le miroir de la probité des hommes qui le servent et ont la capacité de l’employer avec clairvoyance, ou au contraire de leur aveuglement et de leur sectarisme. Ensuite, au-delà de l’ennemi terroriste qui reste invisible, l’axe du mal Syrie – Iran – Russie est facilement désigné et matérialisé, voire fantasmé. La Syrie de Bachar-el-Assad à travers l’action initiale de renseignement menée par les nageurs de combat sur le sol syrien où la France n’intervient pas officiellement ; l’Iran représentée de façon ultra agressive par l’action anti sous-marine menée par une frégate iranienne, alors qu’il n’y aucun antécédent réel d’incident maritime franco-iranien ; la Russie enfin, dans le moule de laquelle une entité terroriste réussit à s’infiltrer et à tromper son adversaire, puisque l’hypothèse d’un tir balistique russe à destination de la France ne choque pas les analystes, la Russie étant perçue comme complice de l’événement, s’étant laissée dérober ou ayant vendu son sous-marin, et n’opposant aucun démenti au tir de missile.

 

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Si la rhétorique française anti-syrienne et anti-russe est habituelle, pourquoi l’Iran est-elle dépeinte de façon aussi violente ? Une clé de lecture nous est donnée par une révélation de La face cachée du Quai d’Orsay (Robert Laffont, 2016) du grand reporter de L’Obs Vincent Jauvert. On y apprend qu’Antonin Baudry a été témoin de mariage en 2013 à Bruxelles de Philippe Errera, alors ambassadeur de France auprès de l’OTAN. Fils d’un ancien secrétaire général du Quai d’Orsay, l’énarque Errera a été auparavant directeur de cabinet de Bernard Kouchner et, après son passage à l’OTAN, directeur des affaires stratégiques (DAS, devenue DGRIS en 2015) du Ministère de la Défense de 2013 à 2018. Il est surtout un des chefs de file de « la secte », club autoproclamé de diplomates ayant un rapport obsessionnel au programme nucléaire iranien et ayant eu un rôle décisif dans le virage néoconservateur de la diplomatie française après 2007.

Les membres de ce cercle de réflexion sont pour la plupart d’entre eux passés par la direction des affaires stratégiques et du désarmement du Quai d’Orsay, où l’on voue un culte religieux à l’arme nucléaire ( « Pour en être, il faut aller quatre fois par an en pèlerinage à l’île Longue et se prosterner devant un missile intercontinental » plaisante Jacques Audibert, l’ancien conseiller diplomatique de François Hollande à l’Elysée). Dans leurs rangs, on trouve notamment Martin Briens, ancien directeur adjoint du cabinet de Laurent Fabius aux Affaires étrangères et actuel directeur de cabinet de Florence Parly, François Richier, conseiller diplomatique de Sarkozy à l’Elysée, ou encore Luis Vassy, conseiller diplomatique de Le Drian à la Défense puis directeur-adjoint de son cabinet au Quai d’Orsay.

 

Si la rhétorique française anti-syrienne et anti-russe est habituelle, pourquoi l’Iran est-elle dépeinte de façon aussi violente ?

 

Ils se retrouvent régulièrement à l’Auberge bressane, une brasserie des Invalides, depuis l’époque où ils se sont partagés les rôles pour influer les équipes de campagne présidentielle de Royal et Sarkozy dans le sens de leur vision des relations internationales, basée essentiellement sur les rapports de force militaires et idéologiques entre les États, et dont l’arme nucléaire constitue la clef de voûte, à condition qu’elle soit l’apanage exclusif du camp du Bien. Et ils ont été biberonnés à la pensée manichéenne de Thérèse Delpech pour qui le Bien se confondait avec l’occident démocratique et libéral et ses valeurs universalistes. En 2003, ils étaient hostiles à la posture du duo Chirac-Villepin sur la guerre en Irak. En 2007, ils réussissaient leur OPA sur l’Élysée et le Quai d’Orsay. En 2009-2010, ils ont ferraillé comme des mousquetaires contre le désarmement nucléaire proposé par Obama.

Et, in fine, ils sont favorables à une guerre préventive contre la République islamique d’Iran avant que celle-ci ne vienne à se doter de l’arme nucléaire, afin d’empêcher « l’Axe du Mal » de basculer dans un rapport de force apocalyptique. De la relation Errera-Baudry à la suggestion que la trame du Chant du Loup a été outillée lors d’une soirée à l’Auberge bressane comme plaidoyer en faveur de la vision géopolitique de « la secte », il n’y a alors qu’un pas qu’on se gardera de franchir mais que l’on observera comme une hypothèse. « Je crois aux hommes plus qu’aux systèmes » se défend l’intéressé dans les colonnes de Paris-Match. Antonin Baudry, lui-même ancien diplomate et conseiller culturel à New-York, s’est d’abord fait connaître sous le pseudo d’Abel Lanzac, scénariste de l’excellente BD Quai d’Orsay, dans laquelle il relate sa propre expérience de plume de Dominique de Villepin, dernier héritier de la posture « gaullo-mitterrandienne » française qui avait prévalu jusqu’alors.

 

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On se perd en conjectures, mais on garde ses antennes en alerte. Il faut avoir entendu de ses oreilles un officier supérieur de la Marine vanter devant un auditoire de l’IHEDN les systèmes de contre-mesures électroniques du Rafale capables d’anticiper les tirs « soviétiques » (sic), avant de constater son lapsus et de se reprendre – « pardon, russes » -, pour se dire que l’idéologie française a encore de beaux jours devant elle dans les états-majors, où l’on aime à jouer aux soldats de plomb. On voudrait se convaincre, avec Clemenceau, que la guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires. Mais on n’est pas plus rassuré du côté des civils.

 

Jean-Emmanuel Ross

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