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Le culte du Bataclan

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Publié le

8 septembre 2021

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Ce mercredi s’ouvre le procès des attentats du 13 novembre 2015 au Stade de France, sur plusieurs terrasses parisiennes et au Bataclan. C’est l’occasion de s’interroger sur la systématisation des hommages en Occident, cette surdramatisation mémorielle qui ressemble à une tentative nécessaire mais pervertie de retour au sacré dont se prévalent les islamistes. Article tiré de l’Incotidien.
Bataclan

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Le monde d’après l’histoire, c’est bien celui où la commémoration compte davantage que l’événement. C’est bien celui où l’examen perpétuel des traumas prévaut à une quelconque analyse des causes et des contingences. Nous sommes à l’ère du pansement global. L’Occident terrassé par ses « arts du spectacle », comme on dit dans les universités. On risque d’en souper en ce mois de septembre, entre le procès des attentats du Bataclan et les 20 ans du 11 septembre. Les ravalements de sanglots et les silences dignes sont à prévoir, entre deux « vous norez pas ma hène ».

On aurait pourtant tort de s’arrêter aux signes extérieurs de cette pornographie mémorielle, qui dresse en face de la menace terroriste de nouveaux colifichets gentiment profanes : bougies flottantes, marches blanches, ours en peluche cloués sur des planches comme des poupées vaudous, hashtags et autres pâmoisons collectives et connectées. Comme le faisait remarquer René Girard, ce qui travaille finalement, de manière quasi-séculaire, le rapport entre Orient et Occident, n’est pas tant l’adversité que la rivalité. L’exercice de l’attentat terroriste, à ce titre, n’est jamais de la part de l’Orient qu’une tentative de rivaliser avec l’art du spectacle occidental.

La surdramatisation mémorielle des victimes occidentales est une tentative de rivaliser avec le « sacré » dont se prévalent nos islamistes radicaux

En retour, la surdramatisation mémorielle des victimes occidentales est une tentative de rivaliser avec le « sacré » dont se prévalent nos islamistes radicaux. De retrouver un sentiment du divin. Et il y a, dans ces immédiates sanctifications de lieux et de dates, quelque chose comme un retour nécessaire du sacré. Un sacré qui prend le chemin détourné d’un culte païen, avec ses propres signes, ses propres symboles, mais qui est un sacré tout de même. On peut-y voir un précédent dans la Shoah et dans l’exercice de la mémoire qui a suivi : on aurait toutefois tort de les comparer trop vite, puisque le génocide des Juifs n’a en réalité fait que conforter le monde hébreu dans son intuition religieuse et messianique de lui-même. On serait bien en mal de trouver chez les victimes des attentats du Bataclan une telle conscience religieuse, même larvée. Pour cela, encore faudrait-il que l’Occident conserve une idée de lui-même en tant que peuple, civilisation, culture. Est-ce le cas ?

On a vu, après le Bataclan, le petit parisien s’enflammer subitement pour les symboles extérieurs de sa toute-puissance démocratique : le rock, d’abord, comme ferment civilisationnel. Le concert des « Aigles du Death Métal » (quel nom à chier, au passage) était forcément « génial », mais est-ce que l’attentat aurait été moins tragique si les rockeurs californiens avaient joué comme des buses ? Bien sûr, c’est aussi le droit à la fête, que dis-je, l’obligation de la fête qui a été brandie, déployée comme une valeur-refuge. Un véritable cri de liberté lancé à la face de l’obscurantisme. Sauf que l’islam dégénéré des intégristes et le festivisme occidental ne sont jamais que les deux versants d’une même pièce. Philippe Muray le dira toujours mieux que votre serviteur : « [La situation créée par le 11 septembre] : une société occidentale déjà autodétruite en butte à des attaques soudaines venant d’un monde lui-même en voie d’extinction par conversion déjà largement entamée à cette destruction. »

Voici le constat amer de cette rivalité Orient-Occident, qui ne tient plus aujourd’hui que par l’opposition de deux finitudes, de deux agonies mises en parallèle. Car enfin, l’islam radical n’est jamais, comme nous le faisons remarquer ici, que le fruit d’une instrumentalisation occidentale et le signe avant-coureur d’un lissage terminal du monde musulman, qui finira lui-aussi par adopter le Grand Capital dans sa totalité. In fine, ce que s’opposent Orient et Occident à travers le schisme terroriste, ce sont deux religions prosthétiques, deux simulacres du sacré qui se jalousent, qui s’inventent l’un l’autre, qui s’espèrent presque, afin de se réalimenter. Que serait devenu le dessin de presse sans l’islamisme radical ? Plus personne, à vrai dire, ne se souciait de Charlie Hebdo ou de leurs homologues danois avant ce coup d’éclat. Grâce au terrorisme, l’Occident se vivifie, regagne ses galons, espère à nouveau en sa démocratie prométhéenne. Et grâce à celle-ci, l’islamisme gagne lui aussi en crédibilité, il a quelque chose auquel opposer sa Charia pour les Nuls, son syncrétisme obtus et au final, sataniste.

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Ce qui a changé, peut-être, avec nos temps numérisés, c’est que cette sacralisation à rebours est presque immédiate, par la grâce des réseaux et de leur délire collectiviste, capable de se répandre en quelques secondes dans la commisération partagée, dans la pleurnicherie entrevue comme l’alpha et l’oméga de la démocratie technique. On nous annonce aujourd’hui l’ouverture du procès du Bataclan comme on le ferait d’un blockbuster au cinéma : « Plus de 512 tomes de dossiers, soit près d’un million de pages, quelques 330 avocats vont défiler pendant huit mois » s’extasient les speakerines de BFM TV pendant que défilent déjà les témoignages, sur le mode du « que sont-ils devenus » cher aux médias pour ménagères. Sur France Bleu, une rescapée du 13 novembre témoigne de sa vie actuelle, raconte sa difficulté à vivre « normalement », évoque son départ pour le Finistère où elle tente de « se retrouver ». Non sans brandir un tatouage multicolore qu’elle s’est fait faire sur l’avant-bras, représentant le Bataclan, « pour ne pas oublier, notamment », suggère le journaliste. Ne « pas oublier notamment ». Toute l’obscénité réside sans doute dans ce « notamment ».

C’est ce sacré de l’à peu près, ce sacré qui passe forcément par le narcisse, par l’auto-contemplation et par le dévoilement publique. Le tatouage, cette épidémie de l’ego qui gagne les chairs de tous, s’empresse également d’interfacer la douleur, de la signifier aux yeux du monde pour gagner la suprême obole d’une empathie vermineuse et partagée. Voilà qui est fort triste notamment.

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