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L’édito de Jacques de Guillebon : Cet obscur désir de l’État

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Publié le

3 décembre 2018

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EDITO

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« On en a marre » ; « c’est toujours les mêmes qui paient » ; « on est chez nous » ; « trop d’impôt tue l’impôt » ; etc. La grande jacquerie des gilets jaunes (c’est étrange comme toute révolution se fait en couleur) aura abondé en slogans frustes, loin, loin des mots d’esprit du 68 intellectuel et estudiantin, cette rustauderie témoignant certainement et paradoxalement de la vérité de ses causes et de ses motifs.

 

 

Car cette France qui manifeste n’était pas du tout pas celle qu’on attendait : France des artisans, des employés, des petits indépendants, voire des chômeurs ; France du fond du panier qui ne remue généralement un orteil qu’une minute avant de mourir. Et non pas France des habituels fonctionnaires, syndiqués, cheminots et professeurs, son double mimétique qu’elle déteste et qu’elle réprouve autant qu’elle la désire.

La France en gilet est-elle de droite, est-elle de gauche ? La question est poisseuse comme une pompe à diesel. Cette France est d’abord de France, parce qu’elle n’a aucun autre choix, et elle meurt aussi de cette impression que la France dont elle croyait être, l’aura plus que méprisée : oubliée.

Bernanos, encore une fois, Bernanos toujours une fois, l’a dit dans ces mots poignants : « Je me suis toujours efforcé de comprendre la France, parce qu’elle m’est toujours apparue depuis l’enfance ainsi qu’un être vivant, vraiment vivant, c’est-à-dire capable d’aimer. Je ne souhaitais pas seulement de l’aimer, comme si mon amour était un don précieux, volontaire, qu’elle dut accepter avec gratitude. Je désirais de tout mon cœur qu’elle m’aimât, qu’elle me comprit, qu’elle me reconnut pour l’un des siens, que son regard se posât sur moi, ne fut-ce qu’un moment, qu’elle se révélât le temps d’un éclair, une fois, une seule fois, comme le bon Dieu daigne se révéler aux saints ».

 

Bloquez-vous les uns les autres, il en sortira toujours quelque chose, ainsi semble le cri ultime de ces désespérés.

 

Je crois que dans le cœur de nos compatriotes qui bloquent des ronds-points laids comme la réalité qu’on leur a infligée ces mots pourraient trouver leur place et dire, sans la trahir, la colère qui les a jetés comme des bandits, eux les décents, les mutiques et les humbles, sur les grands chemins de la mondialisation. Qui les a poussés, paradoxe des paradoxes, à se bloquer eux-mêmes. Bloquez-vous les uns les autres, il en sortira toujours quelque chose, ainsi semble le cri ultime de ces désespérés.

Au-delà du prix du diesel à la pompe, et de la simili-fiscalité écologique, il n’y a peut-être rien de plus important symboliquement que le fait que ce peuple – qui menace de « monter à Paris » – ait commencé par couper les grandes autoroutes qui sont à la fois son dernier salut et le signe de son exclusion et de sa déchéance.

Que ces hommes et ces femmes qui roulent chaque matin et chaque soir que le bon Dieu fait vers leur chiourme, vers là où ils n’ont pas envie de rouler, aient saboté leur dernier instrument. On pourrait songer à ces luddites détruisant au début du XIXe siècle les machines qui tuaient leur art et leur métier : mais nos Français énervés d’aujourd’hui ont même été privés de ce qui fait un homme debout, la possession d’un métier réel et qui élève.

 

Lire aussi : L’éditorial de Jacques de Guillebon : Adieu la gauche

 

Mais au-delà, plus encore, nos Français déchus poussent un cri enfantin vers l’État à qui ils reprochent d’être marâtre plutôt que bonne mère ; réclament de lui des services dont leur allergie aux taxes pourrait laisser croire à première vue qu’ils souhaitent se passer. Mais n’en déplaise à tous les libertariens qui se sont jetés sur cette révolte comme des vautours, le Français contemporain n’est globalement pas prêt à réclamer la liberté du far-west, car il sait bien que dans cette belle fable du renard libre dans le poulailler libre, il n’aura plus jamais les moyens de faire le renard.

Il n’a plus rien que son dernier courage et sa voiture brinquebalante dont le mouvement perpétuel le ramène chaque matin au sein de ces métropoles, de quoi la faiblesse des revenus qu’il en tire l’exclut à tout jamais comme citoyen.

Ce Français-là est persuadé qu’il paie pour les autres. Quels autres ? Tous ceux qui lui tournent le dos, les riches, les banlieusards, les fonctionnaires, dont il aurait tellement voulu devenir l’ami, le camarade – tout simplement le compatriote. Mais enfin, il a compris que pour lui, l’État qui n’est plus que celui des radars, de la taxe pétrolière, de la taxe de stationnement et de l’Urssaf, est ceci qui surveille sans protéger. Alors il a mis son gilet. Pour emmitoufler sa solitude. Parce que l’hiver vient.  

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