MENTION TRÈS BIEN
RÉÉDUCATION NATIONALE, PATRICE JEAN, Rue Fromentin, 144 p., 17 €
Après Le Parti d’Edgar Winger, Patrice Jean revient à la satire sous une forme plus classique mais non moins détonante. Dans cette fable corrosive qui se déroule sur une année scolaire, Bruno Giboire débarque dans un lycée nantais pour y accomplir sa vocation de professeur tout féru de pédagogisme et empli de foi dans le Progrès. Bientôt, une statuette khmère léguée au lycée par Malraux devient l’enjeu d’une guerre acharnée entre les quelques réactionnaires qui prétendent la conserver et la majorité du corps enseignant voulant la vendre afin de financer des projets modernes et stériles. Plus flaubertien que jamais, Jean nous offre un Bouvard et Pécuchet du XXIe siècle, où la bêtise se manifeste comme un rouleau-compresseur de la bonne conscience, les dupes d’elles-mêmes s’obstinant à détromper les autres, fût-ce de force, et ne percevant pas les multiples contradictions et absurdités qu’elles engendrent et que le livre mitraille pour un feu d’artifice permanent de comique grotesque. Et puis, quel art de la chute : « Une phrase, en lettres noires, apparut dans l’ardent poudroiement : "La littérature est une arme". Il se pressa de la noter sur son carnet Snoopy. » À glisser dans tous les cartables. Romaric Sangars
UN NAVET
UN MIRACLE, VICTORIA MAS, Albin Michel, 220 p., 19,90 €
Sur une île bretonne, de nos jours, un adolescent taiseux voit la Vierge. Toute la communauté locale est bouleversée… Les premières pages, qui racontent une précédente apparition en 1830, ressemblent à une rédaction sur le thème du clair de lune : clarté, nimber, nuit claire, halo, lumière douce, tout le dictionnaire des synonymes y passe. Le roman est entièrement écrit dans ce style scolaire, maladroit, orné jusqu’au ridicule. Pour dire « le vent », Victoria Mas se casse la tête et trouve : « Cet invisible qui ne prenait corps qu’en la nature ». Elle confond répéter et réitérer, accélérer et hâter (« cette pensée hâta les battements de son cœur ») ; elle écrit aussi : « son souffle haletait », ce qui revient à dire que sa respiration respirait. Plus loin, ceci : « Un duvet brun soulignait sa lèvre supérieure » : il a donc du poil dans la bouche. Le lecteur a beau vouloir garder son sérieux, l’auteur lui complique la tâche. Bernard Quiriny
Lire aussi : Annie Ernaux ou l’apothéose de la prof de Lettres
CHASSE À L’HOMME
LES TOURMENTÉS, LUCAS BELVAUX, Alma, 342 p., 20 €
Une veuve richissime, initiée par son défunt mari à la chasse et au safari, décide de s’offrir une chasse à l’homme, au sens propre. Son garde du corps trouve un gibier, un pote de l’armée, devenu clochard, qui acceptera de mourir pour mettre à l’abri sa famille. La chasse aura lieu dans une forêt de Roumanie, pendant trente jours. Le gibier aura des caches avec du ravitaillement, une arme, et sera traqué par des chiens… Cette idée n’aurait pas déparé dans un film d’Alain Jessua, qui en aurait tiré une fable sur la dégénérescence de grands bourgeois sadiens. Lucas Belvaux l’amène dans une autre direction, en racontant non la chasse mais les mois précédents : la veuve s’entraîne, le garde du corps prépare le terrain, le gibier renoue avec sa famille. Le romancier passe la parole aux différents protagonistes, élargissant le cercle – du trio, on passe à la femme, puis aux enfants du gibier. Le scénario très noir s’éclaircit alors, trompant les attentes du lecteur, sans le décevoir pour autant. BQ [...]
Vous souhaitez lire la suite ?
Débloquez tous les articles de l’Incorrect immédiatement !