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Liban : derrière la révolution WhatsApp, des problèmes structurels

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Publié le

24 octobre 2019

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« Thaoura », crient les Libanais dans la rue depuis jeudi 17octobre. Déclenchée par l’annonce impromptue d’une nouvelle taxe sur les appels via la messagerie WhatsApp, la révolte couvait en réalité depuis longtemps pour des raisons structurelles, estime Louise Pazzi, professeur de français à Beyrouth, qui insiste sur le caractère unitaire du mouvement dans un pays communautarisé.

 

Ce qui frappe au premier abord, c’est le décalage entre ce qu’exprime la population et ce que perçoit la classe politique de ce mécontentement. Ce sentiment se retrouve sous la plume de Joseph Bahout, chercheur du programme Canergie pour le Moyen-Orient dans le média Orient XXI qui évoque un « déni total [du gouvernement] par rapport à la gravité de la crise malgré l’ampleur du mouvement ». Un mouvement qui n’est d’ailleurs pas compris et traité superficiellement dans les médias français. La « révolution WhatsApp », comme elle a été nommée, ne semble pas intéressante puisqu’elle n’offre pas le sensationnalisme recherché en termes de morts et de violence, la « corruption » et la « crise économique » ne faisant plus réagir personne.

 

Pourtant, il s’agit d’une révolution d’ampleur : presque la moitié des quatre millions de la population a déferlé dans les rues. Tout cela pour une taxe à 6$, ce qui est quand même ici l’équivalent de six paquets de cigarettes ? L’évènement est plus complexe.

 

Lire aussi : Liban : une épine du cèdre

 

Lundi 14 octobre, cent incendies éclatent dans le pays sous une météo peu clémente. Avec le vent et toute la sécheresse de l’été, le feu prend de l’ampleur et les moyens manquent. Les Libanais se retrouvent en proie aux flammes et apprennent dans le même temps que les deux canadairs que possède le pays ne sont pas en mesure d’intervenir puisque faute d’entretiens et « d’inadaptabilité » au terrain, ils ne peuvent même pas décoller. Ainsi, de l’aide est demandée à Chypre et la responsabilité manifeste de la corruption des membres du gouvernement dans ce désastre éclate une fois de plus au grand jour. Pas de démission, pas de commentaire sur cette calamité gouvernementale. En plus d’être depuis toujours dans une position compliquée régionalement, les Libanais comprennent que leur sécurité n’est pas assurée au sein même de leurs forêts. Il va de soi que les coûts élevés de l’entretien ne sont rien par rapport à l’addition des dégâts.  Entre le lundi et le mercredi, le Liban s’est embrasé presqu’entièrement du nord au sud, du Chouf au Akkar en passant par le Metn. C’est donc à la fin de cette semaine critique pour le Liban qu’est annoncée cette nouvelle taxe sur WhatsApp.

 

Il faut savoir que cette taxe à 6$ par mois est multipliée pour chaque membre d’une famille. De plus, la téléphonie au Liban est monstrueusement chère et chaque minute est facturée, tout cela dans un pays où le salaire moyen est de 600$. Cela représente donc une somme importante pour chaque foyer qui sait pertinemment que l’argent récolté sera aussi bien utilisé que celui de l’entretien des Canadairs.

Cette taxe à 6$ par mois est multipliée pour chaque membre d’une famille.

Cette taxe a été annulée le 18 octobre mais la grogne demeure et les gens sont toujours dans la rue. Le discours du premier ministre annonçant trois jours plus tard des réformes structurelles n’y fait rien. Car on oublie de dire que l’électricité n’est jamais revenue pleinement depuis la fin de la guerre civile, il y a presque 30 ans maintenant, ce qui induit des coupures quotidiennes de neuf heures par jour en moyenne. De même, l’eau du robinet n’est pas potable ce qui oblige la population à se ravitailler eux-mêmes en eau potable, ce qui augmente les dépenses des ménages. Aller à la plage est aussi payant et donc un luxe puisque presque tout le bord de mer a été privatisé. La crise des déchets de 2015 n’est, en outre, que partiellement réglée et se révèle être une catastrophe écologique aux yeux de tous dans les rues.

 

Quand on sait que le système de santé est payant, que la scolarité coûte 6000 $ en moyenne par an pour une école privée et que l’école publique n’est plus en mesure de remplir ses promesses, que 46% de la population active se trouve au chômage, on comprend l’exaspération des Libanais.

 

À cela, s’ajoute cette année une crise du dollar. La devise américaine se fait rare sur le marché et gêne l’approvisionnement de plusieurs ressources comme l’essence. Elle accentue aussi l’angoisse de voir une fois de plus la livre libanaise s’effondrer alors que la précédente dévaluation reste l’un plus importants traumatismes de la guerre.

Ce qui est notable dans un pays aussi communautarisé, c’est que les Libanais ne brandissent plus les drapeaux de leurs partis politiques mais se réunissent désormais sous celui du cèdre.

Ce qui est notable dans un pays aussi communautarisé, c’est que les Libanais ne brandissent plus les drapeaux de leurs partis politiques mais se réunissent désormais sous celui du cèdre. Les divisions communautaires restent bien présentes dans le pays mais ont cessé du moins en apparence et ce mouvement marque un vrai ras le bol de la classe politique qui, d’un coup, accepte toutes les réformes de Hariri qui semblaient jusqu’alors bloquées. Sursaut pour redresser le pays ou ultime tentative pour protéger une fois de plus leurs privilèges ? Pour la première fois, des gens se sont révoltés contre leur propre communauté. Pour exemple, dans le Liban Sud, des drapeaux du Amal et du Hezbollah ont été détachés par leurs propres sympathisants. Les Libanais semblent s’unir contre la classe dirigeante allant jusqu’à attaquer leurs propres chefs. Du jamais vu.

 

Quelle est la probabilité pour que les choses changent vraiment ? Comment ne pas avoir peur que ces divisions communautaires ne reprennent le pas sur l’unité arborée pendant ces manifestations ? Comment croire que ce gouvernement puisse adopter des mesures alors même qu’il n’a rien fait durant trois ans et que ses membres sont les anciens acteurs de la guerre civile ? Comment imaginer que le changement puisse s’opérer alors même que le « wasta », piston est utilisé par tous à tous les niveaux de la société ? « Voleurs » scandent les manifestants et certains noms reviennent en boucle. Des rassemblements se font devant les banques. La chasse aux sorcières va–t-elle commencer ? Pour l’heure la mobilisation ne faiblit pas, reste à savoir si « boukra » – demain – sera meilleur.

 

 

Louise Pazzi

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