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LPR : coup de grâce sur l’enseignement supérieur

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Publié le

16 novembre 2020

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La Loi de programmation de la recherche (LPR) est un désastre. Derrière le masque commode d’une localisation, elle signe en réalité un blanc-seing aux universités pour fonctionner en vase-clos et systématiser le copinage. D’autre part, l’actuelle ministre considère que les enseignants-chercheurs sont des fonctionnaires comme les autres, et remet en cause leur indépendance. Un texte d’une gravité préoccupante qui passe totalement inaperçu médiatiquement.

Nuit du 28 au 29 octobre 2020 au Palais du Luxembourg, à la veille du nouveau confinement. Première lecture, après le vote de l’Assemblée nationale, de la déjà fort controversée loi de programmation de la recherche (LPR), qui fait l’objet d’un vote en procédure accélérée. Un sénateur centriste, M. Jean Hingray (anecdote caustique, c'est un ancien doctorant n’ayant jamais achevé sa thèse), fait adopter dans l’indifférence générale un amendement dont il indique en séance qu’il a « pour objet de renforcer l’autonomie des universités en leur donnant les moyens d’une véritable politique scientifique et de ressources humaines, tout particulièrement dans le cadre du recrutement des enseignants-chercheurs ». Présenté ainsi, l’amendement pourrait paraître innocent.

Immédiatement, pourtant, l’on prend conscience de la portée de la mesure : le sénateur propose de supprimer purement et simplement la procédure de qualification par le Conseil National des Universités (dit « CNU ») aux fonctions de professeur, ainsi que de permettre aux universités « d’engager une procédure autonome de recrutement » parallèle à la qualification par le CNU. Seul le sénateur communiste Pierre Ouzoulias s’insurgera de la gravité de l’amendement sur le point d’être adopté, sans discussion, dans l’hémicycle : « je suis très surpris, affirme-t-il, que, par le biais d’un amendement et d’un sous-amendement, à minuit et demi, devant un auditoire clairsemé, nous déconstruisions tout le service public de l’enseignement supérieur ». Sa longue mise en garde ne sera pas écoutée.

Des propos qui, au-delà du mépris, révèlent une méconnaissance profonde de notre pacte constitutionnel : les universitaires, précisément, ne sont pas des fonctionnaires d’État comme les autres, puisque le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, autrement dit un principe constitutionnel

L’amendement d'une immense gravité est adopté sans difficulté, en présence du rapporteur du texte en commission de la culture Mme Laure Darcos, et du ministre de l’Enseignement supérieur, Mme Frédérique Vidal. L’on aurait pu croire qu’une telle mesure ne passerait pas l’examen de la Commission mixte paritaire, chargée d’adopter un texte de compromis entre les deux assemblées. Pourtant, le 9 novembre 2020, le texte adopté reprend in extenso l’amendement controversé, figurant à l’article 3 bis du projet de loi, au sein d’un titre scandaleusement intitulé : « Améliorer l’attractivité des métiers scientifiques ». Pour les universitaires, cette possibilité – même à titre prétendument « expérimental » – de recruter au niveau local des maîtres de conférences non qualifiés par le CNU, porte le coup de grâce à l’Université. Suscitant déjà l’ire des enseignants-chercheurs, ce projet de loi affiche désormais l’ambition de détruire encore davantage le système universitaire, déjà si mal en point.

Une remise en cause de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires au recrutement des enseignements-chercheurs au sein des Universités

Pour comprendre la colère de la communauté universitaire, il convient au préalable de comprendre les enjeux de cet amendement. Le processus de recrutement dans l’enseignement supérieur est un véritable parcours du combattant, dont il convient de décrire les étapes. Après avoir rédigé sa thèse, l’avoir soutenu et obtenu son doctorant, le docteur dépose un dossier de candidature, faisant figurer sa thèse et ses différents travaux universitaires, à une instance centrale indépendante et impartiale : le CNU. Ce dernier est alors chargé de statuer sur l’ensemble des candidatures et de décider de qualifier, ou non, les différents candidats aux fonctions de maître de conférences. S’ensuit pour les nouveaux qualifiés ce que certains appellent dans le jargon un « tour de France », c’est-à-dire que le maître de conférences postule dans différentes universités, ce qui donne lieu à des auditions puis, le cas échéant, à un recrutement.

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Or l’article 3 bis de la LPR conduit à détourner ce dispositif en permettant aux universités de recruter, localement, des docteurs n’ayant pas obtenu de qualification par le CNU. Autrement dit, les universités seront libres de recruter des candidats locaux, des amis, etc. Les recrutements seront alors inéluctablement marqués par le localisme (la tentation de recruter des candidats locaux, ayant soutenu leur thèse dans l’université en question) et d’éventuels favoritismes. Certes, le système actuellement en vigueur du CNU est loin d’être parfait, et il y aurait bien des choses à réformer. Mais l’existence d’une instance nationale pour le recrutement des enseignants-chercheurs est une garantie d’indépendance et d’impartialité fondamentale. Or, c’est une telle garantie que compromet l’article 3 bis de la LPR.

« Écrans noirs » des enseignants-chercheurs, suspension des activités du CNU et appel à la démission du ministre de l’Enseignement supérieur : une crise universitaire sans précédent

La mobilisation contre ce contournement du CNU a pris une ampleur inouïe et peut se résumer à trois grandes actions.

D’abord, pour la première fois, la commission permanente du Centre national des Universités (CP-CNU) a publiquement pris position pour demander la démission du ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal.

Ensuite, les enseignants-chercheurs, singulièrement les juristes, appellent au retrait de la disposition litigieuse du projet de loi et se mobilisent massivement autour d’une grève, dite « écrans noirs », du vendredi 13 novembre au mardi 17 novembre. Aussi voit-on sur les réseaux sociaux la grande majorité de la communauté universitaire recouvrir de noir leurs photos de profil. Cette mobilisation des juristes comme des facultés de droit, extrêmement peu familiers de la grève, est suffisamment rare pour qu’il en soit souligné l’importance et la gravité.

Enfin, plus spectaculaire encore, quatre sections (correspondant à différentes disciplines) du CNU ont annoncé publiquement cesser, pour une durée indéterminée, l’ensemble de leurs activités : les sections 01 (droit privé), 02 (droit public), 03 (histoire du droit) et 04 (science politique).

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L’on ne manquera pas de noter, du côté gouvernemental, l’insoutenable morgue de Mme Vidal. Particulièrement impopulaire, le ministre avait déjà fait tristement savoir sa conception de l’enseignement et de la recherche lors d’un débat en 2019 sur les frais d’admissions pour les étudiants étrangers. Au Sénat, Frédérique Vidal affirmait que les universités sont des établissements publics, si bien que les professeurs et maîtres de conférences, en tant que « fonctionnaires d’État », doivent « porter les politiques publiques décidées par l’État » et sont soumis à un « devoir d’obéissance et de loyauté ». Des propos qui, au-delà du mépris, révèlent une méconnaissance profonde de notre pacte constitutionnel : les universitaires, précisément, ne sont pas des fonctionnaires d’État comme les autres, puisque le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, autrement dit un principe constitutionnel. Plus récemment, la communauté universitaire n’a, du reste, pas manqué de s’étouffer à la lecture de la tribune de Mme Vidal dans Le Monde du 12 novembre 2020, indiquant que « sa porte reste ouverte » et qu’elle demeure ouverte au dialogue, ceci alors que l’amendement a été adopté sans concertation du CNU et sans débat en commission parlementaire…

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