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Le mythe biblique de Caïn et Abel se fait drame théologique en musique à l’Opéra de Paris, grâce à une mise en scène raffinée et touchante du « Primo Omicidio », chef-d’œuvre méconnu de la musique baroque.
Même à l’opéra, Romeo Castellucci fait du grand théâtre. Cette fois-ci, la tâche n’est pas des plus aisées, puisqu’il s’agit d’ajouter une action dramatique à une œuvre qui à l’origine ne comportait ni scènes ni costumes, comme c’est dans le genre de l’oratoire auquel appartient ce superbe « Premier meurtre » d’Alessandro Scarlatti (1707).
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Fidèle à son abstractionnisme baroque, le metteur en scène italien invente un univers théâtral qui exalte l’esthétique de la pureté et développe la poésie théologique du livret avec une rare force symbolique. L’exploit est d’envergure : la gestion magistrale des rythmes, l’économie habile des moyens scéniques, la densité incomparable des symboles, tout sert à construire un équilibre raffiné entre méditation et drame.
La première partie est une réflexion sur le sort de l’humanité souillée par le péché. Les mouvements hiératiques des personnages sont à la frontière entre l’éternité perdue et le temps à venir. A travers le grand voile qui restreint la scène, ils n’aperçoivent que les éclats irisés d’une lumière lointaine. Puis descend sur scène, renversé, le retable de l’Annonciation de Simone Martini, qui préconise la promesse du salut. Plus tard, devant le même voile, les deux frères allument deux machines qui font monter la fumée de leur offrande douloureuse.
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— L'Incorrect (@MagLincorrect) February 8, 2019
Dans la deuxième partie, la scène est occupée par le pré où Caïn découvre le pouvoir d’ôter la vie de son frère, après que sa présence lui a ôté le privilège de garder « tout l’amour ». Mais le meurtre est perpétré par un autre Caïn, un enfant, et à partir de ce moment, tous les personnages sont incarnés par des enfants, qui jouent en synchronisant le mouvement des lèvres avec le chant des solistes provenant de la fosse. Un coup de génie !
Pourquoi des enfants ? Parce que Caïn inaugure une nouvelle humanité, régulée et sociale. Et parce que cette humanité nouvelle n’est plus libre de choisir le péché, donc elle est innocente. La réconciliation finale des personnages adultes et enfants par la rédemption n’est qu’une nécessité.
Fidèle à son abstractionnisme baroque, le metteur en scène italien invente un univers théâtral qui exalte l’esthétique de la pureté et développe la poésie théologique du livret avec une rare force symbolique.
Si la mise en scène favorise la contemplation sans jamais ennuyer, la direction musicale, au contraire, ne produit aucun sursaut d’émotion, tant elle est conditionnée par l’austérité avec laquelle René Jacobs, grand expert du répertoire baroque, décode la partition. Le B’Rock Orchestra applique à la lettre le dépouillement voulu par le chef, au prix d’estomper toute exubérance et de lisser le clair-obscur des passions se débattant sur scène. Le résultat est d’une admirable finesse mais il manque ces contrastes de lumière que l’on aime entendre vibrer dans la musique de Scarlatti.
Les solistes s’adaptent le plus souvent au même précepte de la retenue. A l’exception de la seule Voix de Lucifer de la basse Robert Gleadow, dont la fougue excessive va jusqu’à caricaturer l’agressivité féroce et sournoise du personnage. Dans l’excès contraire glisse le contre-ténor Benno Schachtner (Voix de Dieu) qui, en plus d’une diction italienne pas impeccable et malgré un timbre séduisant dans le registre aigu, manque de l’autorité vocale nécessaire.
Entre les deux frères gagne la performance somptueuse de la mezzo-soprano Olivia Vermeulen, dont la voix douce et lumineuse incarne à merveille l’humble pureté d’Abel. Déçoit, en revanche, l’autre mezzo, Kristina Hammarström (Caïn), forcée de chanter trop souvent dans son registre grave, où elle peine à trouver le naturel de l’agilité et surtout la force de projection nécessaire pour exprimer le combat intérieur du protagoniste.
Dans cette distribution correcte mais jamais très enjouée, se distingue la performance remarquable des parents, grâce au timbre chaleureux et homogène du ténor Thomas Walker (Adam), et à l’identification touchante et intense de la soprano Brigitte Christensen (Eve). C’est à eux deux le moment musical le plus inoubliable de la soirée, le magnifique duo de la deuxième partie “Mon époux, je sens en mon cœur”, où leurs souffrances pour le sort des deux enfants s’entrelacent avec une émouvante intensité.
Palais Garnier, Paris
le 9 février 2019
Paolo Kowalski
Il Primo Omicidio, ovvero Caino
Musique : Alessandro Scarlatti
Direction musicale : René Jacobs
Mise en scène, décors, costumes, lumières : Romeo Castellucci
Jusqu’au 23 février
De 25 à 185 euros – operadeparis.fr
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