Pourquoi avoir rédigé un rapport sur les violences subies par les musulmans convertis ?
Tout est parti d’une intuition et d’informations parcellaires transmises par des associations sur le terrain. Nous savions qu’il y avait des difficultés et nous avons donc eu envie d’enquêter, puisque l’ECLJ est spécialisé en matière de liberté religieuse et de droits de l’homme.
Quels grands enseignements tirez-vous de cette enquête ?
Le grand enseignement, c’est qu’il y a un vrai problème en la matière en France et dans tous les pays européens avec d’importantes communautés musulmanes. Quitter l’islam est un enjeu de fond. Nous ne pouvons pas dire que tous les musulmans qui quittent l’islam sont persécutés, mais c’est difficile pour tout le monde et il y a un nombre de persécutions significatif. Il leur faut être discret car ils craignent d’être découverts. Beaucoup sont rejetés par leur famille et doivent prendre leurs précautions pour ne pas être battus, lynchés ou harcelés sur leurs lieux de travail ou de vie par d’autres musulmans radicaux.
Il existe une grande inconnue : combien sont-ils ? Beaucoup n’osent pas franchir le pas tant la pression est forte. Certains se convertissent puis reviennent par la suite à l’islam ; d’autres se dirigent vers des communautés chrétiennes diverses. Il est très difficile de mesurer exactement le phénomène. Dernier problème : l’absence de connaissances et de réactions des églises chrétiennes qui accueillent. Beaucoup sont naïfs et ne comprennent pas du tout à quel point il peut être difficile pour le converti de quitter l’islam. Certains empêchent même les convertis de rejoindre une communauté chrétienne en leur disant que cela ne sert à rien. Il y a de grandes difficultés d’accueil de ces convertis dans la communauté chrétienne.
Quel type de persécutions subissent ces musulmans convertis ?
Le mépris, le rejet verbal, les insultes sont des choses que l’immense majorité des convertis subissent si leur conversion est connue. Cela vient principalement de la famille. Ensuite, il y a plusieurs possibilités. La famille peut encourager le converti ou l’ex-musulman à ne rien dire, à se comporter comme un musulman, à vivre sa foi ou son absence de foi de manière cachée. Si la personne arrive à quitter la banlieue ou l’endroit dans lequel il y a une forte communauté musulmane, il n’aura normalement pas d’autres problèmes.
« Les jeunes filles risquent d’être séquestrées dans leur chambre si elles sont encore chez leurs parents en attendant qu’elles reviennent à l’islam »
Christophe Foltzenlogel
La famille peut aussi très mal réagir, et avec elle le quartier. Le converti peut alors subir du harcèlement et des menaces, ses biens peuvent être détruits. La menace pour les jeunes filles est encore plus grande. Elles risquent d’être séquestrées dans leur chambre si elles sont encore chez leurs parents en attendant qu’elles reviennent à l’islam ; elles ont un délai d’une semaine à quinze jours. Ou alors elles peuvent être renvoyées dans le pays d’origine de la famille, mais cela dépend des liens qu’entretient encore la famille avec un pays musulman comme le Pakistan, l’Algérie ou le Maroc. Dans quelques rares cas, cela peut aller jusqu’aux violences physiques : au Royaume-Uni par exemple, deux personnes ont été battues et poignardées, et ont échappé à la mort par chance. Il y a des meurtres et des assassinats chaque année.
Comment expliquer ces persécutions ?
Il y a un phénomène familial, social et culturel compréhensible : quand un enfant quitte la religion de sa famille, ça fait mal. Par exemple au Japon, si l’on se convertit au christianisme, la famille le vit très mal. Il y a donc une question de tradition, de culture et d’héritage de manière générale. Seulement, la problématique est plus forte dans l’islam car il y a la notion de « communauté musulmane » qui fait que l’on est musulman quand on naît dans une famille musulmane. Et tout homme devrait être musulman ; il existe tout un débat théologique sur le fait que l’homme naît musulman. Donc quitter l’islam, c’est vraiment trahir sa communauté : l’apostat est un traître. Dans le Coran et les règles de la charia, celui qui apostasie mérite une peine grave. Là aussi il existe un débat sur l’application de la peine. Le fait est qu’à ce jour, une douzaine de pays musulmans appliquent la peine de mort ou la prison à perpétuité pour les apostats, et ceux qui persécutent les convertis ou les ex-musulmans le font sur la base des hadiths.
Lire aussi : Révélations : les ex-musulmans convertis en France ou l’enfer des persécutions
Y-a-t-il des différences entre les pays européens ? Si oui, quelles tendances lourdes avez-vous remarqué ?
Il est difficile de répondre car il faudrait continuer de travailler sur la question. Pour la France, nous avons réussi à obtenir des informations assez complètes. J’ai parlé avec différents responsables associatifs, à plus d’une quinzaine de témoins dans diverses villes, etc. En revanche, pour les autres pays européens, je n’ai parfois pu parler qu’à une ou deux personnes représentant une ou deux associations, donc l’information reste parcellaire. Il semblerait toutefois qu’au Royaume-Uni, la situation soit sensiblement proche de celle la France. Ils ont eux aussi de très grosses communautés musulmanes issues de leurs anciennes colonies, avec une certaine quantité de musulmans qui essayent de s’intégrer et qui pratiquent un islam occidentalisé, mais une minorité active de salafistes ou de fréristes qui ont une vision rigoriste de l’islam (parfois plus que des pays qui pratiquent la charia).
En résumé, la situation est sensiblement la même en France, en Belgique et en Angleterre. Pour les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Autriche, les quelques indices dont je dispose me laissent penser que la situation est tout aussi problématique, ou peut-être un petit peu moins. Pour d’autres pays comme le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, il n’y a pas la même concentration communautaire musulmane dans les grandes villes et donc le problème est moindre.
En face, des structures sont-elles mises en place pour parer à ces persécutions, notamment par les chrétiens ?
Trop peu. Dans les communautés protestantes, chaque église est indépendante et dispose de personnes chargées de l’accueil des nouveaux convertis. Il faut bien comprendre que le converti quitte sa famille, et c’est la principale chose qu’il espère retrouver quand il rejoint une communauté chrétienne. Malheureusement, c’est souvent la douche froide pour ceux qui rejoignent l’Église catholique. Ils sont seuls puisque dans la plupart des paroisses, il n’y a pas d’accueil spécial pour les convertis musulmans. Certes, au diocèse de Paris, un prêtre a été nommé pour l’accueil des musulmans, donc il y a un embryon de quelque chose.
« En raison du dialogue interreligieux, les pasteurs et des prêtres ne veulent pas se vanter ou promouvoir les conversions car c’est perçu comme du vol de brebis »
Christophe Foltzenlogel
Mais globalement, il y a une frilosité des pasteurs et des prêtres en raison du dialogue interreligieux et de la paix sociale avec l’islam. Ils ne veulent pas se vanter ou promouvoir les conversions car c’est perçu comme du vol de brebis. Aussi, ils considèrent qu’accueillir des musulmans en soulignant à quel point ce fut difficile pour eux serait pointer du doigt l’islam, ce qui ne participe pas à un dialogue interreligieux et à une paix interreligieuse profitable pour le pays. Souvent, les convertis sont très critiques de l’islam, mais aussi des chrétien avec lesquels ils discutent parce que ceux-ci leur disent qu’ils vont trop loin, qu’ils ne peuvent pas être si critique à l’égard de l’islam. C’est un vrai choc pour ces ex-musulmans de ne pas être entendus et accueillis tant personnellement que théologiquement.
Les institutions européennes se sont-elles emparées du sujet ? Des initiatives sont-elles prévues ?
Non, pas du tout. Il faut dire que le sujet est nouveau. Il y a trente ans, nous ne pouvions pas parler en Europe occidentale de persécutions des ex-musulmans car ceux qui étaient là en général ne subissaient pas le salafisme, et il n’y avait pas encore de grosses communautés musulmanes implantées dans les grandes villes. Cette persécution s’aggrave depuis le début du XXIè siècle, ce qui en fait un problème assez nouveau en droit international en matière de liberté religieuse. En droit international, la question de l’islamophobie et de l’antisémitisme est beaucoup plus prégnante quoique le terme de christianophobie commence à être utilisé.