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Qui croire et quoi faire ?

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Publié le

5 octobre 2020

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En démocratie moderne, chacun n’ayant ni l’heur ni le temps de se renseigner sur tout, pour savoir quoi faire, il faut savoir qui croire. La crise épidémique a donc vu se précipiter sur tous les plateaux de télévisions kyrielle de spécialistes en tous genres, censés nous renseigner sur l’évolution d’un virus à propos duquel ils se sont à peu près tous trompés. Certains l’ont reconnu, d’autres non.

Être honnête

C’est le premier critère, l’honnêteté, quand l’erreur est manifeste, qui valide une parole en général et en particulier celle d’un expert. Celui-ci n’étant pas omniscient, l’erreur fait partie de son quotidien, a fortiori quand il s’agit d’experts scientifiques. Errare humanum est, perseverare diabolicum. On peut donc tolérer d’un expert tous les ajustements à condition précisément qu’il nous explique pourquoi il ajuste et en vertu de quelle mise à jour de ses analyses. Untel qui ricanait de la grippette en janvier peut réclamer le confinement en mars, à condition de ne plus parler de grippette. Celui-là qui signale un virus « pas si méchant » ne peut se prévaloir de l’urgence pour vanter et prescrire un médicament sans le soumettre d’abord aux tests randomisés. Un autre qui annonçait plusieurs dizaines de milliers de morts à la sortie du confinement ne peut continuer à promouvoir la précision de son modèle mathématique.

On peut donc tolérer d’un expert tous les ajustements à condition précisément qu’il nous explique pourquoi il ajuste et en vertu de quelle mise à jour de ses analyses

Mais là encore la mauvaise foi ne vaut pas pour disqualification absolue. Si Didier Raoult s’est à peu près trompé sur tout, tout le temps, ne devant son étonnante survie médiatique qu’à une base populaire qu’il méprise en lui mentant, et à des médias complices de cet abrutissement, le docteur Martin Blachier et ses courbes mathématiques ont su, en effet, prévoir l’évolution de l’épidémie quoique dans des proportions largement moins catastrophiques que celles imaginées par ses graphiques de mai. On restera simplement circonspect face à ses déclarations sur la solidité de ses analyses : elles décrivent jusqu’à présent un mouvement à peu près juste sans en appréhender correctement l’ampleur – c’est très léger.

Fuir l’ultracrépidarianisme

Deuxième critère : fuir l’ultracrépidarianisme, défaut de l’intelligence qui fait que, par orgueil, le spécialiste reconnu d’un domaine va se considérer compétent pour donner son avis, avec le même niveau d’excellence, dans tous les domaines hors de son registre initial. Un urgentiste n’est pas forcément le mieux placé pour vous parler d’un virus, et un médecin ne peut guère, en tant que tel, se prévaloir de considérations politiques. C’est ainsi, parmi ceux que l’on appelle les rassuristes, qu’un Yonathan Freund n’a cessé depuis mai de voir l’épidémie ne pas remonter, analysant quasi systématiquement les chiffres en fonction d’une évolution positive et terminale de l’épidémie quand certains de ses confrères médecins épidémiologistes disaient l’inverse. L’avantage de notre urgentiste : son honnêteté qui lui fait reconnaître, quand c’est le cas et sans renier son optimisme roboratif, qu’il s’est trompé. Il fait partie de ceux qui ajustent leur raisonnement et expliquent pourquoi.

À l’opposé, toujours dans le camp des rassuristes, le professeur Jean-François Toussaint, qui n’est lui non plus ni virologue ni épidémiologiste, dont les analyses sont presque toujours infirmées par l’évolution de la maladie, partage chacune de ses interventions en un tiers de médecine, et deux tiers de politique pure où il analyse un discutable management par la peur, les dégâts économiques certains, etc., ajustant lui aussi son discours, mais sans jamais le reconnaître. Ainsi, s’il aime rappeler les prévisions apocalyptiques des modèles mathématiques pour s’en moquer, il se garde bien de signaler qu’en mars, il estimait, hors Chine, les morts, alors potentiels, de ce qu’on ne nommait pas encore affreusement la Covid, entre 20 000 et 50 000 – 500 000 dans le pire des cas, selon l’évolution naturelle de la maladie. Nous voici parvenu à plus d’un million avec la quasi totalité du monde en lutte active contre une épidémie toujours à l’œuvre.

Lire aussi : Le discours de la méthode

Le ridicule qu’il dénonce chez ses adversaires, s’il était honnête, il devrait d’abord se l’adresser à lui qui cet été parlait de la fin de l’épidémie pour désormais évoquer une épidémie en cours, en citant régulièrement des chiffres plus ou moins tronqués à son avantage. On l’a vu ainsi prendre en exemple le décompte macabre d’une journée, en partie faussé par un rattrapage de plusieurs semaines ajouté aux morts quotidiennes, pour dire que l’épidémie décroissait sur trois jours, alors qu’il figure en première liste de ceux qui débunkent, à juste titre, ce genre de score artificiellement alarmiste. Il argue aussi régulièrement du faible nombre de morts lors que le nerf de la guerre ce ne sont pas les morts, mais la saturation des services de réanimation comme quiconque d’un peu honnête qui s’intéresse à ce qui se passe le sait depuis mars, lesquels, en effet, menacent de saturer, n’en déplaise à ceux comme Toussaint qui déclaraient, péremptoires, durant les dernières vacances qu’il ne se passait plus rien. J’en passe…

Penser contre soi

Troisième critère : rejeter le fameux biais de confirmation qui nous condamne à être bêtes parce que nous cherchons moins à nous construire un avis renseigné qui puisse nous permettre de savoir comment agir de la façon la plus juste possible, qu’à avoir raison, et moins encore à avoir raison qu’à croire ce qu’il nous fait plaisir de croire. Les catastrophés aimeront les catastrophistes, les rassurés, les rassuristes. Autrement dit, dans la mesure où vous n’êtes ni épidémiologiste, ni aux affaires, que vous ne disposez pas d’informations autres que celles dont tout le monde dispose, et si vous n’avez pas oscillé entre toutes les variations du spectre médiatique de l’épidémie, de la grippette à la peste noire en passant par le « on nous fait chier pour rien ! » et le « ça craint quand même ! », que vous êtes droit dans vos bottes depuis le début, sans jamais douter de rien et que vous pensez avoir vu juste sur tout, ne cherchez plus : vous vous trompez, en conséquence vous agissez n’importe comment, vous propagez la maladie, vous accentuez le cataclysme économique, vous témoignez de la nécessité de mesures liberticides, vous êtes le problème !

Vous vous trompez, en conséquence vous agissez n’importe comment, vous propagez la maladie, vous accentuez le cataclysme économique, vous témoignez de la nécessité de mesures liberticides, vous êtes le problème ! 

Mais si, péniblement, vous tentez de vous faire un avis humble et renseigné, que vous vous faites plus Socrate que sophiste, que vous apprenez à ne pas voir que ce qui ravit vos yeux : alors sans doute la démocratie, au sens noble du terme, la liberté qui constitue son cœur atomique, et la lutte contre le virus peuvent se conjuguer toutes les trois, non sans sacrifice, et être pour la première défendue, pour la seconde conservée, et la troisième remportée…

Pour résumer : qui croire pour quoi faire ? D’abord, ceux qui tentent d’être honnête, et qui ne se vantent pas seulement de l’être ; ceux qui parlent ensuite sans déborder leur domaine d’expertise ; et nous-mêmes enfin, si l’on a pris soin de penser d’abord contre soi et qu’on ne confond pas l’exigence que réclame la décision politique avec une tribune de supporters. Le cas échéant, on n’aura rien fait qu’accroître la débilité d’une époque qui n’en manque pas, on sème la barbarie et on prépare la tyrannie qui la couronne, peu importe qu’on évoque l’intelligence, qu’on fasse mine de se soucier des vieux ou de l’économie, et qu’on défende la liberté ou la précaution : on est déjà du troupeau et mûrs pour l’esclavage.

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