La salle de l’orangerie, au rez-de-chaussée du célèbre hôtel parisien le Lutétia, ne compte qu’un seul oranger, aux branches nues, et l’on se demanda longtemps, hier, si un seul spécimen justifiait qu’on baptisât ainsi l’endroit, auquel cas un seul cerisier dans votre jardin vous autoriserait à vous dire possesseur d’une cerisaie, ce qui est très tchékovien, très snob et ma foi d’un goût excellent, mais tout de même exagéré. En revanche, la salle était plantée d’une foule nombreuse de sapins littéraires plus ou moins décorés mais rigoureusement arrosés de champagne, laquelle sapinière bruissa aimablement durant le discours de Fabrice Lucchini, recevant un prix hommage en l’honneur des dix ans de la récompense la plus grisante de Saint-Germain-des-Prés. Fondé par le regretté Christian Millau et les avocats Marina Cousté et François Jonquères, le prix des Hussards, célébrant l’esprit d’insolence et le mépris de l’air du temps, aura déjà récompensé Patrice Jean (l’an dernier), Christian Authier ou Sylvain Tesson. Il célébra aussi Nicolas d’Estienne d’Orves d’un coup de shako et d’une belle statuette en l’honneur de son livre exquis, Le Dictionnaire du mauvais goût. L’expert monta sur l’estrade vêtu d’une veste d’un rouge flamboyant du dernier chic, et remercia avec esprit pour l’honneur de cette distinction, puis offrit au public, en guise d’apéritif, une remarque de mauvais goût, en rappelant que le 20 avril était la date d’anniversaire d’Adolf Hitler.

Lire aussi : Les lettres de mon Maulin

Le moment tant attendu arriva de dévoiler l’identité du lauréat 2023 du prix. Éric Naulleau, qui, dans une autre vie et du temps des regrettées éditions de l’Esprit des Péninsules avait été son premier éditeur, prononça le nom du célèbre roi de Montmartre, prince des poètes et ataman cosaque : Olivier Maulin, dont le plastron acheva de ressembler à celui d’un dictateur africain en se voyant orner d’une médaille supplémentaire : le voici duc des Hussards pour tout l’an 23 ! Dans la foule, plusieurs cosaques dissimulés de ci de là hurlèrent des « Vive le roi Maulin ! » Les vivats se multiplièrent, l’immortel auteur des Lumières du ciel et de Gueule de bois, honoré pour son dernier roman Le Temps des loups, prononça un discours remarquable de son exorde à sa péroraison qui déclencha des éclats de rires et quelques larmes émues. La sapinière de l’orangerie s’illumina toute entière, comme un Noël à minuit. Les dernières bouteilles roulèrent vident sur le sol. Patrick Eudeline, derrière ses lunettes noires, me confiait qu’il écrivait un livre pour expliquer à quel point c’était mieux avant. « Oui, mais avant quelle date, précisément ? », m’étais-je enquis. « Avant 1978. », me répondit-il, implacable. Sans doute, me dis-je avant de quitter la salle, c’était évidemment mieux avant 1978, mais après 1978, nous aurons tout de même eu The Young Pope, les bières IPA et les romans d’Olivier Maulin, ce qui nuançait le déclin. Ayant oublié mes cigarettes, je retournai dans la salle après qu’elle eut été désertée. Je me souvins que j’avais arrêté de fumer mais en profitais pour observer une dernière fois l’oranger solitaire. Quelque chose maintenant pendait à sa branche supérieure : un fruit magnifique, qui luisait d’un orange éclatant, et qui avait dû surgir tandis que le public lui tournait le dos, comme si la nature entière devait se réjouir de l’événement qui venait de se produire, ce 20 avril, au Lutétia.

Pour célébrer à sa manière cette nouvelle merveilleuse, L’Incorrect vous offre les deux entretiens réalisés ces derniers mois avec les lauréats d’hier.

• Olivier Maulin, le retour du roi

• Nicolas d’Estienne d’Orves : les sept nuances du mauvais goût