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Guerre d’attrition en Nord-Syrie

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Publié le

6 août 2019

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[Certaines des photos ou vidéos mises en lien dans cet article peuvent heurter par leur violence, NDLR.]

 

Le 6 mai 2019, jour du début du Ramadan, Bachar Al-Assad a lancé l’Armée Arabe Syrienne à la reconquête de l’enclave d’Idleb, dernière province encore majoritairement sous le contrôle des rebelles syriens. Depuis, l’offensive tourne à la guerre d’attrition.

 

 

L’opposition armée syrienne contrôlant la province d’Idleb regroupe des mouvements rebelles aux influences diverses. Ceux-ci, sont composés de Jaych al-Ezzah (nationalistes et « laïcs » au regard des standards syriens) et du Front National de Libération (nationaliste, islamiste et soutenu par la Turquie) tous deux membres de l’Armée Syrienne Libre, le premier groupe historiquement fondé aux débuts de la guerre civile. Est également présent le Parti Islamique du Turkestan, regroupant les djihadistes venus de Chine et des pays d’Asie Centrale, pour participer aux combats. Le Horas Al Dine s’est également implanté dans la province en tant que franchise officielle d’Al Qaïda pour la Syrie. Enfin, le Hayat Tahrir Al-Cham (HTS), organisation salafiste djihadiste émanant du Jabhat Al-Nosra, première incarnation d’Al Qaïda en Syrie avant de rompre avec celle-ci puis de rentrer par la suite en guerre à mort avec l’Etat Islamique. Le chef du HTS, Abou Mohammed Al Joulani, dispose de 30 000 combattants et constitue la principale force de la province. L’ensemble des rebelles défendant la poche d’Idleb est estimé entre 50 et 100 000 combattants. Idleb, la capitale éponyme de la province est contrôlée par le HTS et selon les renseignements américains, constitue aujourd’hui l’un des principaux centres de l’idéologie d’Al Qaïda sur la planète. La présence avérée et revendiquée de groupes salafistes djihadistes permet au régime syrien d’affirmer vouloir libérer les habitants du nord-est syrien de l’emprise terroriste. 

Idleb, la capitale éponyme de la province est contrôlée par le HTS et selon les renseignements américains, constitue aujourd’hui l’un des principaux centres de l’idéologie d’Al Qaïda sur la planète.

Pour reconquérir le territoire perdu, Bachar Al-Assad a principalement engagé son armée et ses milices mais sans bénéficier dans un premier temps de l’appui des milices chiites étrangères, des forces spéciales iraniennes ou des combattants du Hezbollah. Il a pu néanmoins s’appuyer sur deux atouts : sa « Force du Tigre », unité blindée rompue aux plus durs combats, commandée par le Général Souheil Al-Hassan, l’homme choisi par Moscou pour incarner l’alliance entre les deux pays et surtout le soutien aérien de l’aviation russe dont la puissance est devenue indispensable à sa victoire.

 

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Après avoir reconquis le sud syrien face à des rebelles décomposés, et réussi à réunifier l’axe urbain vital du pays, de Damas à Alep en passant par Homs, le régime ne pouvait que tenter de réduire la poche d’Idleb. Celle-ci regroupe trois millions d’habitants, dont la moitié ont refusé de vivre sous la tutelle de Bachar Al-Assad et sont venus s’y réfugier. Adossée à la frontière turque, elle permet un ravitaillement logistique et humain indispensable à la poursuite des combats. De plus, elle jouxte les montagnes côtières du pays alaouite, fief du clan Assad et constitue donc une menace permanente pour le régime.

 

Même si la province d’Idleb a été entamée par l’est en juillet 2017 par le régime lors de la prise de l’aéroport militaire stratégique d’Abou Douhour l’essentiel de la province restait aux forces d’opposition. Pour défendre la province d’Idleb, les rebelles disposaient encore d’une ceinture de sécurité avec les positions qu’ils défendent encore dans le nord de la province de Hama et l’est de la province de Lattaquié.

 

 

C’est donc avant toute chose à cette ceinture défensive que doit s’attaquer le régime pour progresser vers le nord. Ainsi c’est tout d’abord la reconquête de la ville de Kafr Nabudah, la plus au nord d’Hama qui a été entreprise par l’Armée Arabe Syrienne. Après une semaine de frappes massives sur l’ensemble des zones rebelles, le 6 mai 2019, premier jour du ramadan, le régime a repris l’initiative au sol afin d’atteindre cette première ville. D’emblée les combats ont été furieux et les pertes très lourdes dans chaque camp. Le schéma des affrontements a  été similaire la plupart du temps ce dernier trimestre. Bénéficiant d’un appui air-sol permanent de la part de la part de l’aviation russo-syrienne, précédée par un barrage d’artillerie, l’infanterie mécanisée appuyée par des chars investit les lieux en trois jours. Mais la ténacité et la valeur combative des combattants rebelles sont apparues dès les premières heures de l’offensive.

 

 

Même après la prise de la ville, des contre-offensives meurtrières notamment des djihadistes d’HTS sont engagées pour la reprendre, sans succès cependant, le régime syrien bénéficiant d’une totale suprématie aérienne. Les jours et semaines suivantes voient les forces de Bachar Al Assad commencer à investir les premiers objectifs visés dans le sud-est de la province d’Idleb. Néanmoins, chaque avancée se paye au prix fort pour les soldats syriens. Mines, lance-missiles anti-chars, roquettes, snipers, véhicule kamikaze, tous les moyens sont employés pour ralentir ou stopper l’avancée du régime. Le 21 mai HTS retente une contre-offensive massive sur Kafr Nabudah. 500 hommes et plusieurs chars sont engagés pour reprendre la ville qui repasse dans le camp rebelle après des combats acharnés.

 

 

Un déluge de feu tombe alors du ciel dans les jours qui suivent et les rebelles sont contraints le 26 mai d’abandonner définitivement la ville, rasée par les frappes aériennes.

 

Par ailleurs, simultanément à l’offensive menée dans le nord de Hama et le sud d’Idleb, le régime lance également une offensive le 6 mai dans la province de Lattaquié pour atteindre le village de Kabani. Celui-ci est niché dans les montagnes à proximité de la frontière turque, sur le point le plus haut du djebel Al-Akrad et se trouve être un véritable verrou protégeant la grande ville de Jisr Al Shougour, qui si elle était prise, permettrait au régime de s’emparer rapidement de la frontière turque et de progresser facilement sur Idleb. De plus, depuis ce point surplombant la grande plaine agricole d’Al-Ghab, les rebelles bombardent régulièrement Qardaha, la ville du clan Assad en zone alaouite.  L’assaut, principalement d’infanterie en raison du relief est lancé pour reprendre ces hauteurs stratégiques. Il est à noter que sur ce front les soldats syriens sont appuyés par les forces spéciales russes qui participent directement aux combats. Mais les pertes deviennent alors très lourdes pour le régime qui n’arrive pas à reprendre à cette hauteur. Depuis trois mois des dizaines d’assauts ont été lancés pour reprendre cet unique point et ont été systématiquement repoussés par les rebelles.

 

 

Selon des mercenaires russes interrogés sur place, la différence de motivation entre les deux camps est flagrante. Les rebelles, sont en effet bien plus motivés pour tenir le terrain que les troupes pro-régimes pour le prendre. Ils savent en effet qu’une fois acculés à la frontière turque il en sera fini de tout espoir de renverser le régime de Bachar Al Assad. De plus, de nombreux combattants de l’opposition ont bénéficié d’un entraînement militaire poussé par le groupe « Malhama Tactical », composés d’ancien militaires d’Asie Centrale aux sympathies djihadistes venus à Idleb pour dispenser leur savoir-faire. Dans le camp d’en face, il est fait état de nombreux anciens rebelles du sud syrien ralliés au régime qui sont envoyés en première ligne comme punition. Ceux-ci rechignent à prendre des risques, voire désertent lorsqu’ils en ont l’occasion. La « Force du Tigre » de Souhail Al Hassan n’arrive pas à remporter la victoire seule et celui-ci, pourtant favori de Moscou aurait été sévèrement recadré par l’armée russe au cours de cette campagne meutrière. Malgré ces déconvenues, l’armée syrienne peut compter sur l’aviation russe, ultime filet de sécurité de Bachar Al-Assad.

 

Abou Mohamed Al Joulani, appelle tous les hommes en âge de combattre à rejoindre le front et les femmes, vieillards et enfants à creuser des tranchées et remplir des sacs de sable autour des futures zones de combats. Les différents groupes rebelles qui s’étaient si souvent entretués ces dernières années s’unissent militairement dans une seule chambre d’opérations au nom équivoque : « La Conquête de Damas ».

 

 

Le 6 juin 2019, un mois après l’offensive du régime dont la progression a été limitée, les rebelles lancent une contre-offensive sur le flanc sud-est du front ouvert par le régime, dans un mouvement tournant visant à encercler les troupes syriennes. La colline stratégique de Tall Malah est prise au régime. Le revers est de taille. Les rebelles poussent alors leur avantage le 9 juillet en conquérant la ville de Hamamiyat et sa forteresse, ce qui menace les lignes d’approvisionnement du régime. Mais selon un scénario bien connu la ville est alors copieusement bombardée par l’aviation et les rebelles l’abandonnent au régime, mettant ainsi un coup d’arrêt à leur contre-offensive.

 

Plus limitée, mais spectaculaire, une autre offensive est lancée le même jour par le groupe Horas Al Dine (affilié à Al Qaïda) qui mène un assaut audacieux sur les positions syriennes dans les montagnes de Lattaquié . Probablement lancé pour tester les défenses du régime, cet assaut voit toutes les lignes de défense s’effondrer en quelques heures. Cependant, les djihadistes qui ne s’attendaient pas à une victoire éclair comme celle-ci n’ont pas le temps de fortifier les positions prises et les abandonnent après avoir récupéré les armes et munitions de leurs ennemis.

 

 

Ces évolutions tactiques limitées mais meurtrières se déroulent sur la ligne de front mais de part et d’autre, les bombardements sur les zones civiles se poursuivent quotidiennement. Si les rebelles et djihadistes n’hésitent pas à utiliser leurs roquettes et missiles de confection parfois artisanale pour bombarder les villages des zones tenues par le régime, notamment le village chrétien de Suqaylabiyah dans le nord de Hama ou les zones alaouites de Lattaquié, tuant des civils innocents, leur puissance de frappe est sans commune mesure avec celle du régime. En effet, depuis trois mois, des frappes aériennes massives ont lieu chaque jour sur l’ensemble de la province d’Idleb, touchant villes et villages de manière indiscriminée et tuant des dizaines de civils alors fort éloignés des lignes de front. Nombre de ces bombardements quotidiens peuvent être objectivement considérés comme des crimes de guerre. 

 

Que ce soit des djihadistes qui décapitent un soldat syrien capturé pour ensuite lui créer un compte Facebook à son nom avec sa tête coupée en photo, ou un soldat syrien qui se prend en photo de son hélicoptère avant de larguer un baril d’explosif pour tuer tout ce qui se trouvera dessous, femmes et enfants compris, l’horreur est quotidienne en Syrie et si aucune guerre ne pourra jamais se targuer d’être propre, celle-ci est particulièrement sale.

 

 

Face à l’impasse de la situation, Bachar Al Assad relance l’offensive le 28 juillet pour reprendre la colline de Tall Malah. Appuyée cette fois par les forces du Hezbollah (à la valeur guerrière incontestée) et sous un déluge de feu, l’armée syrienne reprend enfin cette hauteur stratégique dans la nuit avant de poursuivre vers Lataminah, point central du dispositif rebelle dans la ceinture défensive de Hama.

 

 

Confrontés à l’attrition des combats, les deux camps acceptent une trêve qui, comme toutes les trêves de cette guerre, vole en éclat dans les heures qui suivent. Après un millier de morts dans chaque camp et 400 civils tués, les combats pour Lataminah qui s’apprêtent à être livrés seront décisifs pour la suite de l’offensive.

 

© Syria Intelligence@syriaintel

 

Pour les rebelles en revanche, l’heure de vérité approche. Incontestablement leur capacité à repousser les offensives du régime voire à contre-attaquer est établie. Leur équipement en missiles anti-chars (provenant largement des réseaux turcs) inflige de lourdes pertes au régime. Cependant, leur faiblesse vient de leur total dénuement face aux attaques provenant du ciel. S’ils peuvent parfois réussir à abattre un hélicoptère ou un vieux MIG syrien, ils ne peuvent rien face aux Sukhoï Su-35 russes. Et chaque offensive qu’ils mènent en terrain ouvert ou désertique les met à la merci de bombardements dévastateurs. En raison des craintes d’utilisation terroriste, les Etats-Unis interdisent (à raison) toute fourniture de missiles sol-air à des groupes rebelles comme cela avait été fait en Afghanistan, résister aux attaques aériennes devient impossible. A l’été 2019, envisager une victoire stratégique des rebelles syriens qui serait le résultat de multiples victoires tactiques comme en 2015 (ce qui a déclenché l’intervention russe) semble impensable. Si les rebelles ne cherchent qu’à repousser les offensives du régime ou à lancer des raids de représailles limités, leur guerre est alors perdue d’avance. Immanquablement, les coups de boutoirs des armées russo-syriennes finiront par avoir raison des défenses rebelles et le nord de la Syrie repassera entièrement sous contrôle du régime.

Si l’armée turque et ses alliés lançaient une offensive sur les positions tenues conjointement par les Kurdes et les forces du régime au nord et à l’est d’Alep, les rebelles d’Idleb pourraient alors profiter de cette extension du front pour conquérir la ville par l’ouest, dans l’espoir que ce mouvement de prise en tenailles puisse entraîner l’effondrement des lignes du régime dans tout le nord de la Syrie.

La seule option restante à l’opposition syrienne, est de relancer le combat dans les villes, où la puissance de feu aérienne et d’artillerie du régime est bien moins décisive. La seule grande ville qui reste à portée des rebelles est Alep, dont ils ont été chassés à la fin de l’année 2016 par le régime après plus de quatre ans de combats urbains. Depuis, le Hayat Tahrir Al-Cham , a conservé toute la ligne de front à la porte ouest de la ville qui est désormais solidement fortifiée par rapport à l’offensive rebelle de 2012. Si les rebelles observent l’ensemble des évolutions géostratégiques, ils n’ont pu qu’observer les menaces d’offensive turque imminente sur les territoires contrôlés par les Forces Démocratiques Syriennes majoritairement issus de la milice des YPG Kurdes. Ceux-ci, considérés comme terroristes par Ankara du fait du vieil antagonisme turco-kurde sont les alliés des forces américaines et françaises dans la lutte contre l’Etat Islamique et également ponctuellement, les alliés de circonstance du régime syrien face aux rebelles djihadistes pro-turcs. Une ironie loin d’être unique au cours du conflit syrien. Si l’armée turque et ses alliés lançaient une offensive sur les positions tenues conjointement par les Kurdes et les forces du régime au nord et à l’est d’Alep, les rebelles d’Idleb pourraient alors profiter de cette extension du front pour conquérir la ville par l’ouest, dans l’espoir que ce mouvement de prise en tenailles puisse entraîner l’effondrement des lignes du régime dans tout le nord de la Syrie.

 

Lire aussi : La France et l’OTAN en Syrie : entretien avec Roland Hureaux

 

Le schéma présenté par cette offensive pour la reconquête d’Idleb se montre en réalité à l’image de la stratégie de Bachar Al-Assad depuis le début de la guerre. Après le largage indiscriminé d’un tapis de bombes syriennes et russes, qui fait fuir les civils et sape le moral de l’opposition, il n’engage ses forces d’infanterie qu’avec parcimonie afin de conquérir des objectifs stratégiques. En effet, il sait que ses forces sont numériquement limitées, surtout en ce qui concerne ses troupes d’élite et chaque offensive repoussée par les rebelles coûte des dizaines de soldats au régime. S’il peut compter sur l’appui de ses alliés, ceux-ci, on l’a vu, ne sont pas prêts à s’engager pleinement s’ils ne jugent pas cela indispensable. Néanmoins, son ravitaillement illimité en armes de la part de son allié russe lui permet de faire la différence en termes de matériels lourds. Tout cela sans parler bien évidemment du rouleau compresseur russe et sa force aérienne qui lui permet d’engranger chaque avancée depuis 2015 et l’intervention de son allié. Toutefois, au bout de trois mois d’une offensive qui tourne à la guerre d’attrition, le régime n’a reconquis qu’une centaine de kilomètres carrés de terrain, sur lequel les localités sont détruites par des mois de bombardement. Assurément, l’armée syrienne est à l’offensive mais pour Bachar Al-Assad, la victoire est encore loin.

 

Romain Sens

 

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