Skip to content

Thibault Muzergues : l’Europe post-populiste

Par

Publié le

25 juin 2024

Partage

Auteur de Post-populisme, dans lequel il annonce la fin de l’ère populiste et le retour du clivage droite-gauche, Thibault Muzergues analyse les résultats des élections européennes ainsi que la séquence politique française.
© DR

Dans votre dernier ouvrage, vous montrez que le postpopulisme est progressivement en train de supplanter le populisme de la décennie dernière. Qu’entendez-vous par postpopulisme, et en quoi se distingue-t-il du populisme ?

Le postpopulisme est d’abord un moment, ce qui vient après le populisme : la crise populiste des années 2010 est déjà derrière un grand nombre de pays européens (hormis l’Allemagne et la France, qui y sont encore), et les populistes ne font plus recette : regardez l’Italie, où la Lega de Matteo Salvini est retombée sous la barre des 10% et termine derrière Forza Italia (pourtant menée par le fantôme de Silvio Berlusconi), alors que le Mouvement Cinq Étoiles, qui fait le plus mauvais résultat de son histoire dépasse tout juste cette barre des 10%. Le populisme, qui se basait sur un clivage entre le peuple et les élites, ne fait plus recette, et il est aujourd’hui dépassé par un retour au clivage classique entre la gauche et la droite – avec une droite plus conservatrice toutefois, et une gauche qui se cherche encore.

Lire aussi : Européennes : Giorgia Meloni en marche vers le triomphe

Au regard des résultats des droites aux dernières élections, la tendance au postpopulisme est-elle confirmée sur le continent ? Quelles conséquences sur le plan doctrinal ?

Le parlement européen est à la fois plus à droite, mais aussi dans une large mesure postpopuliste : les plus grands gagnants de cette élection, ce sont bien entendu les chrétiens-démocrates du PPE (centre-droit), qui ont généralement droitisé leur ligne et en tirent profit pour consolider leur place de plus grand groupe au Parlement européen. Les autres gagnants sont les Conservateurs et Réformistes européens (CRE) de Giorgia Meloni, qui eux aussi gagnent des sièges et pourraient bien se retrouver troisième plus grand groupe du parlement, coiffant ainsi au poteau le groupe Renew d’Emmanuel Macron. Un centre-droit qui s’est droitisé, une droite dure redevenue conservatrice et respectueuse des institutions, voilà un cocktail gagnant pour ces élections européennes.

Car le post-populisme est aussi une doctrine, notamment à droite : la droite postpopuliste fusionne certaines politiques publiques héritées de la crise populiste avec des éléments beaucoup plus traditionnels, et notamment le respect des institutions, par définition absent chez les populistes. Les postpopulistes conservent le libéralisme économique de la droite d’avant, ainsi que son attachement à l’occident, mais ils sont plus conservateurs sur le plan sociétal, plus protectionnistes, et beaucoup plus fermes sur l’immigration.

Vous dites que l’Italie fait figure de précurseur. Quelles conclusions tirer en particulier du scrutin italien ?

L’élection européenne italienne accentue les résultats des législatives de 2022 : on y voit les populistes (la Ligue de Salvini et le Mouvement Cinq Étoiles) continuer de s’affaiblir, tandis qu’une nouvelle droite, incarnée les Fratelli d’Italia de Meloni, et une nouvelle gauche menée par le Parti démocrate d’Elly Schlein, dominent les débats : la première obtient 29% des voix, la seconde 24.1%. Autant dire que la vie politique italienne revient à un débat droite-gauche plus traditionnel, ce qui est plus sain en soit mais pas sans dangers, dans la mesure où les vieilles blessures de la guerre civile de 1943-1945 sont en train de ressurgir à la faveur de cette nouvelle polarisation : à la Chambre des Députés ces derniers temps, les « Bella Ciao » entonnés par la gauche ont répondu aux signes de la « Decima Mas » émis par un député de la Lega en pleine séances.

On assiste à une grande recomposition de la droite française. Le RN, dont vous dites qu’il faisait figure d’exception, opère-t-il sa mue postpopuliste ? Cela signifie-t-il que nous inclinons vers un retour du clivage droite-gauche ?

La mue du RN est en cours, en témoigne le virage à 180 degrés de Jordan Bardella sur la réforme des retraites. Et il est vrai qu’après un long travail de dédiabolisation, le RN est aujourd’hui en phase de construction de son acceptabilité, y compris dans les élites (un travail qui lui a d’ailleurs grandement été grandement facilité ces deux dernières années par les deux Éric, Zemmour et Ciotti, sans parler des relans populistes de Mélenchon).

Cela étant, le papillon n’est pas encore sorti de son cocon : dans son programme économique, le RN reste fondamentalement étatiste, voire socialiste. Quant à son positionnement sur l’Europe et les affaires étrangères, un énorme doute demeure. Tant que Marine Le Pen refusera de se positionner clairement sur le clivage droite-gauche, tant que le RN ne se fondra pas dans le mainstream sur les questions économiques et internationales, ce dernier restera bloqué à mi-chemin, avec des conséquences probables sur ses performances.


En fait, c’est paradoxalement l’union de la gauche qui fait revenir le vieux clivage sur le devant de la scène, tandis que Macron et Le Pen ont tout intérêt à faire durer leur duel entre élites et populistes. Jordan Bardella le comprendra-t-il à temps ? C’est l’un des enjeux de cette élection…

Comment voyez-vous le jeu d’alliances au sein des droites européennes, entre PPE, ECR et ID ?

Soyons clairs : le PPE ne fera pas alliance avec ID, qui reste radioactif au Parlement européen en raison de son tropisme pro-russe et de son positionnement anti-UE. EN revanche, il peut négocier des accords avec ECR et compter sur une neutralité d’ID sur certains sujets pour soutenir des politiques de droite. Néanmoins, il faut rester clairs : la plupart du temps, la majorité du parlement européen se jouera sur un consensus entre le centre-gauche, le centre-droit et les libéraux. La grande différence, c’est que le centre-droit disposera d’une alliance de rechange pour mettre la pression sur la gauche et imposer un agenda un peu plus raisonnable à Bruxelles.

Cette tendance au postpopulisme est-elle observable au sein de la gauche européenne ?

On y vient tout doucement, mais c’est encore compliqué – et surtout une doctrine claire n’est pas encore sortie : entre la gauche danoise de Mette Frederiksen qui veut stopper l’immigration pour sauver le modèle social national et la gauche italienne d’Elly Schlein, beaucoup plus acquise aux idées woke, il y a un gouffre qui rend la présentation d’une doctrine cohérente difficile, et les élections à venir ne vont rien faire pour arranger les choses : la victoire annoncée du Labour aux législatives va renforcer l’aile centriste, tandis qu’un bon score (voire une victoire) du « nouveau front populaire » tendrait à renforcer l’aile gauche…

Quelles incidences les élections en Grande-Bretagne puis aux États-Unis peuvent-elles avoir sur ces recompositions ?

Les élections britanniques ont un scénario assez clair : énorme victoire d’un Labour postpopuliste débarrassé de l’héritage de Jeremy Corbyn, mais défaite historique pour les Conservateurs qui vont devoir composer avec une poussée populiste dans leur propre parti, et en dehors avec Reform UK. À une victoire post-populiste devrait succéder un combat épique dans ce qui restera du Parti conservateur entre populistes et post-populistes.

Lire aussi : Geert Wilders : Meloni bis ?


Aux États-Unis, cela semble plus compliqué : le combat entre Joe Biden et Donald Trump ressemble de plus en plus à une bataille entre deux personnalités (et entre deux personnes âgées), et la doctrine passera probablement au second plan. Au vu des sondages et de la division nette du pays en deux camps étanches, difficile de pronostiquer qui l’emportera. Mais s’il est clair qu’une victoire de Donald Trump donnerait du baume au cœur aux populistes dans le cours d’une année qui leur aura tout de même peu souri, une présidence Trump pourrait nous surprendre et être justement plus post-populiste que populiste, tant le débat américain est lui aussi en train de se restructurer autour d’un clivage droite-gauche très puissant.

POST-POPULISME, THIBAULT MUZERGUES, L’Observatoire, 256 p., 21 €

EN KIOSQUE

Découvrez le numéro du mois - 6,90€

Soutenez l’incorrect

faites un don et défiscalisez !

En passant par notre partenaire

Credofunding, vous pouvez obtenir une

réduction d’impôts de 66% du montant de

votre don.

Retrouvez l’incorrect sur les réseaux sociaux

Les autres articles recommandés pour vous​

Restez informé, inscrivez-vous à notre Newsletter

Pin It on Pinterest