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Un documentaire mexicain sur Francis Wolff et la corrida

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Publié le

29 avril 2021

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Les réalisateurs mexicains Aaron Fernandez et Jesus Munoz ont eu l’idée de filmer Francis Wolff, philosophe français de renommée internationale (en pointe sur Aristote), au moment de son départ à la retraite de l’École Normale Supérieure et de le suivre dans une espèce de film routier dont les pérégrinations et les dialogues forment une méditation internationale sur la corrida. Ce documentaire nous offre-t-il la première parabole mondialisée contre le formatage global ?

Comment une sommité de l’esprit bardée de tous les éclats du prestige parisien peut-elle, au début du XXIe siècle, parmi de nombreux ouvrages de référence, signer des éloges de la corrida, ce spectacle désigné comme archaïque, cruel et voué à la disparition ? C’est pour élucider ce mystère apparent que les réalisateurs, ingénus et ouverts sur la question, se mettent à l’écoute des arguments du philosophe et d’autres personnalités éprises du toro bravo avec une sincérité et une humilité dans la démarche qui finissent par désarmer le spectateur et déployer, à travers le prisme de la tauromachie, une vision tragique de la globalisation et de ses corollaires : uniformisation, puritanisme, aseptisation. Un Philosophe dans l’arène, documentaire hardi et profond, a rayonné dans les salles obscures du Mexique où il a battu des records d’audience. Désormais disponible en France sur les plateformes de diffusion (unphilosophedanslarene.vhx.tv), obtiendra-t-il le même impact ? Et surtout, représente-t-il la première grande parabole mondialisée s’attaquant au revers de la globalisation ? Romaric Sangars n’a pas esquivé la question. Olé !

L’un des grands intérêts de ce documentaire est d’opposer à ce mouvement une internationale taurine résistant toujours à l’égaliseur, et portant le problème à la même échelle

OUI. IL S’AGIT BIEN D’UNE PARABOLE MONDIALE

Face à la mondialisation américaine et sa morale puritaine, face à l’internationale animaliste appliquant Marx aux bêtes, comme l’explique Francis Wolf, et faisant des animaux les ultimes prolétaires à affranchir, quitte à liquider au passage plus de dix mille ans d’interactions hommes-animaux, la corrida apparaît comme un résidu à la fois barbare et enraciné déjà condamné par l’inéluctable marche du Progrès. L’un des grands intérêts de ce documentaire est d’opposer à ce mouvement une internationale taurine résistant toujours à l’égaliseur, et portant le problème à la même échelle. Un philosophe français de renommée internationale, différents pays taurins, en France, en Espagne, au Brésil ou au Mexique. Une enquête franchissant les frontières et exposant les arguments des probables condamnés qui doivent se justifier de leur passion amorale tandis que les hordes de fanatiques débraillés exultent de haine dans tous les pays pour obtenir l’abolition de cet art, quitte à transformer les arènes, comme à Barcelone, en centres commerciaux, en substituant ainsi le veau d’or au taureau sanglant. À partir d’un sujet polémique à la portée qu’on pourrait croire limitée, les réalisateurs mexicains parviennent à questionner tout le phénomène du formatage mondial actuellement en œuvre.

OUI. CAR LA CORRIDA EST UN HYPERSYMBOLE

La corrida est un objet hybride comme le rappelle Wolf, dont les commentaires philosophiques émaillent le film sans le plomber mais en lui conférant une vraie puissance méditative. En effet, la corrida tient à l’art, mais sa dimension représentative n’est que partielle et la corne du taureau tue vraiment, comme le rappelle un Poladylès arrêtant à ce détail majeur la comparaison qu’on pourrait tirer de la corrida avec son métier de comédien. La corrida tient du combat, mais c’est un combat ritualisé, mis-en-scène, qui n’a jamais prétendu mettre à égalité l’homme et le taureau comme le lui reprochent des opposants qui suggèrent donc qu’il ne serait moral de se réjouir d’un tel spectacle qu’à condition que des humains y perdent plus régulièrement la vie. La corrida tient du sacrifice, mais elle n’est pas non plus un rite religieux et ne montre aucune prétention de la sorte. Mais cet objet hybride, insituable, à la croisée de l’art, du combat et du rite, des préoccupations du prêtre, du poète et du guerrier, a toujours fasciné les artistes, Picasso, Hemingway, Montherlant, pour les plus connus.

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Or, notre époque est une époque de confusion, qui ne sait plus distinguer l’homme de l’animal, la violence nécessaire de la cruauté, la vie de la mort. Ainsi ce spectacle hybride ne peut-il que la révulser parce qu’il manifeste avec éclat ce qu’il y a d’animal dans l’homme et pourquoi l’homme doit pourtant dominer l’animal; ce qu’il y a de violent dans la lutte pour la vie, et comment cette violence peut être une inutile cruauté qui humilie le torero autant que le taureau ou bien danse sacrée qui rend hommage à l’inévitable victime ; enfin, dans une époque où la mort est devenue le grand tabou, la corrida la met au centre de son spectacle et organise un memento mori à destination des foules, aussi déchirant que démonstratif, par le truchement du taureau.

OUI. AVEC ELLE LE TRAGIQUE UNIVERSEL S’OPPOSE AU PARC HUMAIN GLOBAL

Ce que véhicule la corrida, c’est une vision du monde fondée sur l’acceptation du tragique et sa sublimation, c’est aussi tout l’héritage culturel européen, antique comme moderne, que représentent, outre Wolf et ses collègues, Philippe Caubère ou le prix Nobel de lité- rature Mario Vargas Llosa, tous questionnés ici. En face, le rouleau compresseur de l’idéologie néo-progressiste refuse le tragique, la mort, et toute la réalité de l’incarnation. Elle inocule partout le fantasme d’une existence de consommateurs préservés de tout risque et de toute blessure narcissique ou concrète, un rêve de bétail anesthésié propre à formater la planète entière tant il fate la faiblesse humaine[...]

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